Certains ont un avis très tranché sur la question, la dénonciation des faits délictueux doit avoir lieu auprès du procureur de la République ! Je ne partage pas tout à fait cette option. Pour d'autres, livrer les auteurs de harcèlement à la vindicte populaire est nécessaire pour éradiquer ces modes de comportements machistes. Je penche plutôt dans cette direction.
Quoiqu’il en soit, en agissant de la sorte, les courageuses victimes s'exposent à des poursuites pour injure et diffamation. En effet, l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme l’allégation ou l’imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération. Or, accuser une personne de harcèlement caractérise bien l’infraction. Quant à l’injure, elle est commise par les commentaires accompagnant ces agissements et notamment l’emploi du terme « porc » dans le hashtag.
Certes, s’agissant de la diffamation, les victimes pourront invoquer l'exceptio veritatis pour échapper à une condamnation (article 35 de la loi du 29 juillet 1881), mais comment pourront-elles prouver la véracité des faits dénoncés ? Un tweet même accompagné par la suite d'un témoignage ne semble pas être une preuve suffisante et il convient de rappeler ici le principe de la présomption d'innocence. Ainsi, la personne désignée à la vindicte populaire est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été prononcée définitivement par une juridiction (article 9 de la Déclaration des droits de l’homme ou 6 paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’homme).
Or, depuis que l'affaire Wenstein a éclaté, il n'y a pas un de mes cours où je ne traite pas de l'infraction avec mes étudiants. Je décortique certaines décisions et revient sur l’origine du délit, à savoir l’érotisation de la relation de travail. Certains articles de presse me servent même de support pédagogique, la victime y est tantôt décrédibilisée et la présomption d'innocence fréquemment bafouée. Plus encore, un étudiant a même cru bon de s’interroger : l’actrice qui monte dans la chambre d’hôtel d’un individu qu’elle sait être un harceleur, finalement n’est-elle pas déjà consentante ? Et là, il faut calmement expliquer : non, elle ne l’est pas, elle garde son libre-arbitre…elle demeure libre d'accepter ou de refuser !
S’agissant du hashtag, les faits dénoncés sont fréquemment anciens, le délit est souvent prescrit. Certes, depuis la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, le délai de prescription des délits est de 6 ans (article 8 du Code de procédure pénale), mais cet allongement du délai ne permet pas de poursuivre à nouveau des infractions déjà prescrites (article 112-2 4° du Code pénal). Il n'y aura donc pas de poursuites. Plus encore, le harcèlement est souvent délicat à prouver, les faits se déroulent souvent sans témoin ou le harceleur invoque l’humour ou la séduction pour justifier ses agissements. Pourtant, simplement, il suffit de rappeler que harceler c’est aller contre la volonté d’autrui. C'est justement là où le mode de dénonciation - twitter - semble finalement assez adapté pour prouver un harcèlement (non prescrit). En effet, si le suspect - formule préférée à celle de présumé harceleur - est mentionné une fois sur le réseau, il pourra nier, mais si ses victimes sont nombreuses, cela ne caractérise-t-il pas un faisceau d'indices suffisant pour pouvoir le condamner ou en tout cas entamer des poursuites ? En libérant la parole des femmes, en leur faisant écho puis en recoupant les informations ne va-t-on pas finalement parvenir à faire juger des harceleurs ?
Au-delà même de l'image d'une société machiste où toute forme de pouvoir devient un instrument de domination sur les femmes qui, traitées comme des objets destinés à satisfaire les désirs du "mâle dominant", cette affaire pourrait - il me semble - rebondir devant les tribunaux... . Grâce à twitter, la justice pourrait alors peut-être être rendue... Au Moyen-Age, on publiait les appels à témoins au prône des paroisses, désormais c'est sur twitter que se retrouvent et s'unissent les victimes...