Le "foeticide" volontaire en pratique

Publié le 13/05/2024 Vu 2 027 fois 1
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Je vous propose un exercice de qualification et quelques réflexions autour du "foeticide volontaire"... A vos stylos !!!!

Je vous propose un exercice de qualification et quelques réflexions autour du "foeticide volontaire"

Le "foeticide" volontaire en pratique

Librement inspiré d’un cas concret –

 

Sami est un homme de 35 ans assez peu scrupuleux dans sa vie sentimentale. Il papillonne de femme en femme sans prendre garde à se protéger ou à protéger ses compagnes. Plus encore, le mensonge et la trahison sont son ses techniques de séduction privilégiées…

 

Il vit avec Germaine et la fidélité n’est pas son fort.

 

Un jour Germaine lui annonce sa grossesse. Il en pleure de désespoir. Il tente de la convaincre d’avorter, rien n’y fait.

 

Finalement il lui préparer un smoothie avec trois pilules abortives provoquant une fausse couche.

 

Arrivée à l’hôpital, les UMJ délivrent à Germaine une ITT de 2 jours.

 

Quid Juris ?

 

 

 

Le « foeticide » volontaire est punissable par une infraction pénale spécifique. Toutefois, cette infraction fait double emploi avec celle de violences ou d’administration de substances nuisibles. L’application de cette infraction par une juridiction d’appel permet de raviver le débat sur l’inadaptation du droit positif. Ainsi, la valeur protégée n’est pas claire. L’infraction est-elle destinée à protéger le fœtus ou la mère ? Plus encore, quelle interruption de travail occasionne la perte d’un fœtus ? 

 

 

1. le « foeticide » involontaire – Le « foeticide » a longtemps fait l’objet d’interrogations devant les juridictions pénales, jusqu’à ce que la Cour ne pose une distinction simple reposant sur l’interprétation stricte de la loi pénale[1] considérant que si l’enfant était né vivant, même après un court laps de temps, l’homicide involontaire pouvait être retenu[2]. A l’inverse, si l’enfant ne naissait pas vivant, la qualification ne pouvait être retenue et ce, même s’il était viable[3]. Néanmoins, dans cette hypothèse, l’auteur des faits était susceptible d’être condamné pour des blessures involontaires[4] sur la mère. Dès lors, la répression dépend de l’interruption totale de travail occasionnée à la femme qui a perdu son enfant. La position des juridictions françaises ne contrevient pas aux exigences relatives au droit à la vie[5] posées par la Convention européenne des droits de l’homme[6]. Malgré plusieurs propositions visant à incriminer spécialement de tels agissements[7], le droit positif est resté figé dans cette position. En effet, indirectement une infraction réprimant l’interruption involontaire de grossesse, aurait pu remettre en cause le droit à l’avortement. Toutefois, cet état du droit positif ne concerne que l’hypothèse du « foeticide » involontaire.

 

2. le « foeticide » volontaire – S’agissant du « foeticide » volontaire, le droit positif connaît l’hypothèse d’une infraction spécifique, à savoir l’interruption de grossesse imposée[8]. Cette infraction n’a pas donné lieu à un contentieux particulièrement important. En effet, les faits auxquels renvoie cette infraction semblent difficilement concevables. Pourtant, dans un arrêt d’une juridiction de fond, l’infraction a été appliquée[9]. Dans cet arrêt comme notre cas d’espèce, le compagnon de la femme enceinte ne souhaitait pas qu’elle ait l’enfant, il lui a préparé une boisson contenant une ou plusieurs pilules abortives, ce qui a déclenché une fausse couche. Il a bien évidemment été condamné sur ce fondement, mais également sur celui d’administration de substances nuisibles.

De façon générale, cet arrêt conduit à s’interroger sur la répression de l’avortement imposé. Est-il adapté ?

En effet, l’infraction semble créer nécessairement un concours idéal de qualifications (I), ce qui conduit à s’interroger sur son utilité juridique (II).

 

I. Un concours de qualifications inhérent à l’incrimination d’avortement imposé

 

3. les infractions en concours – L’incrimination d’avortement imposé renvoie à des faits susceptibles d’être également qualifiés soit de violences, soit d’administration de substances nuisibles. Ces deux infractions sont particulièrement proches, non seulement dans le Code pénal, mais sont punies par renvoi aux mêmes textes.

 

4. les violences – De prime abord, l’avortement imposé semble devoir entrer en conflit avec la qualification de violences. Ainsi, les faits susceptibles d’entrainer une fausse couche peuvent résider en des violences physiques ou même morales commises sur la femme enceinte. A ce titre, il convient de rappeler que la Cour de cassation considère que les violences morales sont susceptibles d’être retenues dès lors qu’il s’agit d’actes de nature à provoquer un choc émotif ou une perturbation psychologique[10]. Le législateur lui-même, depuis une loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants rappelle que les violences peuvent également avoir une nature psychologique[11]. Dès lors, de nombreux agissements peuvent être punis sur le fondement de l’infraction, qu’il s’agisse de porter des coups à la femme enceinte ou encore de la menacer de façon à provoquer chez elle un choc émotif. Ainsi, dans l’une des autres rares illustrations jurisprudentielles d’avortement imposé, il est évoqué l’hypothèse de violences[12].

 

5. l’administration de substances nuisibles – Ensuite, de façon plus exceptionnelle, les faits peuvent parfois, comme dans l’arrêt de la cour d’appel d’Amiens, être qualifiés d’administration de substances nuisibles. L’utilité de cette incrimination a été discutée lors de l’adoption du nouveau Code pénal. En effet, les agissements qu'elle englobe semblent susceptibles d'être qualifiés de violences. Ainsi, « [i]l n'était pas, en conséquence, utile ou à tout le moins indispensable, de maintenir une incrimination spécifique »[13]. Pourtant, l’incrimination s’applique dès lors qu’est administrée, de façon intentionnelle, une substance de nature à nuire à la santé. En l’espèce, il s’agissait justement d’un « smoothie » contenant une ou plusieurs pilules abortives, ce qui a entraîné aux termes de douleurs aiguës de la part de la femme enceinte, une fausse couche. La distinction entre cette infraction et celle de violences résulte donc du mode de commission de l’infraction.

 

6. la possibilité de retenir cumulativement deux infractions – les faits peuvent donc être qualifiés à la fois d’avortement illégal et de violences ou d’administration de substances nuisibles. Il s’agit d’un concours idéal de qualification. Pourtant, dans la mesure où les infractions semblent protéger des valeurs sociales distinctes[14], à savoir la protection de volonté de la femme enceinte de mener à terme sa grossesse pour l’avortement imposé et la protection de l’intégrité physique pour les violences ou l’administration de substances nuisibles, elles peuvent être retenues cumulativement, ce qui ne contrevient pas à la règle non bis in idem[15].

 

7. la peine encourue – Dès lors que deux infractions sont susceptibles d’être retenues cumulativement, il s’agit d’un concours réel et il est possible de condamner sur les deux fondements en prononçant la peine maximale la plus élevée[16]. S’agissant de l’avortement illégal, la peine est de 5 ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende. Concernant les violences ou l’administration de substances nuisibles, la peine varie en fonction de l’interruption de travail occasionnée[17].

 

II. L’utilité juridique discutable de l’incrimination d’avortement imposé

 

8. la valeur sociale protégée – La valeur sociale préservée par l’incrimination d’avortement imposé ne ressort pas, avec évidence, des textes. Ainsi, le délit préserve non seulement la volonté de la femme enceinte mais également indirectement l’intégrité du fœtus ainsi que de sa mère. Quant aux infractions de violences et d’administration de substances nuisibles, elles ne semblent susceptibles que de protéger la mère. C’est du moins en ce sens que s’oriente la jurisprudence.

 

9. le rejet implicite de la qualité de victime au fœtus – Conformément aux décisions rendues concernant le foeticide, mais aussi de l’évolution du droit positif concernant le droit à l’avortement, il semble inconcevable de retenir une quelconque infraction en considérant que la victime est le fœtus. A défaut, les infractions d’assassinat[18] ou d’empoisonnement[19] auraient pu être retenues.

 

10. l’inadaptation de la répression pénale – Les faits entrainent donc une peine encourue minimale de 5 ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende, à savoir la peine prévue pour l’avortement imposé et maximale de réclusion criminelle, hors circonstances aggravantes si l’avortement entraîne le décès de la femme enceinte. Si cela ne paraît pas, a priori, disproportionné aux faits, il convient de relever que les UMJ n’ont retenu qu’une interruption totale de travail de 2 jours, ce qui a minoré la peine. La réduction de la peine en raison du degré de résistance physique de la femme enceinte semble problématique.

 

11. une présomption de fait de séquelles permanentes – La peine encourue en cas de violences et d’administration de substances nuisibles est, hors circonstances aggravantes, de 10 ans d’emprisonnement et de 150.000 euros d’amende[20]. L’idée selon laquelle un avortement imposé occasionne nécessairement une infirmité permanente semble pouvoir être avancée, bien que jusqu’ici la Cour de cassation adopte une définition restrictive de la notion de « mutilation ou infirmité permanente ». Ainsi, la mutilation n’est retenue qu’en cas de retrait d’un organe ayant un caractère irréversible[21]. Or, rien n’atteste que, de façon systématique, un avortement imposé n’occasionne une perte irréversible, sauf à considérer le fœtus comme étant partie intégrante du corps de sa mère. Sa perte présente alors un caractère définitif. En effet, l’idée selon laquelle, la femme peut à nouveau tomber enceinte semble conduire à considérer qu’un fœtus serait un organe interchangeable. Sans aller jusqu’à cette extrémité, il est possible de considérer qu’une atteinte définitive aux facultés mentales caractérise une infirmité permanente[22]. Or, comment ne pas considérer qu’il en aille ainsi en cas d’avortement imposé par un tiers ? En effet, elle produit nécessairement un traumatisme définitif qu’un nouvel enfant ne saurait effacer. Dans cette hypothèse, l’avortement imposé serait alors puni par des peines criminelles dans la mesure où la victime est particulièrement vulnérable[23] en raison de son état de grossesse[24].

 

12. conclusion – l’application de l’infraction d’avortement imposé à un cas d’espèce risque de relancer un débat houleux autour de la nécessité de modifier le droit positif. Plus spécifiquement, il semble des progrès, tant législatifs que prétoriens, soient envisageables afin d’assurer une protection effective au fœtus… . En effet, alors que le législateur a cru bon de prévoir une peine de 5 ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende, il semble concevable de retenir une qualification criminelle pour punir de tels agissements. L’utilité de l’infraction d’avortement imposé réside alors uniquement dans la reconnaissance du caractère spécifique des agissements commis. Elle permet de considérer que la femme enceinte est non seulement victime de violences ou d’administration de substances nuisibles, mais aussi d’un agissement allant à l’encontre de son fœtus.  

 

Toute ressemblance avec un cas réel serait totalement fortuit.



[1] C. pén., art. 111-4.

[2] Cass. crim., 2 déc. 2003, n° 03-82.344 : JurisData n° 2003-021533 ; Bull. crim. 2003, n° 230 ; Revue pénit. juin 2004, n° 2, p. 414 à 416, note J.-Y. Chevallier.

[3] Cass. ass. plén., 29 juin 2001 : JurisData n° 2001-010321 ; Bull. crim. 2001, n° 165 ; JCP G 2001, II, 10569, rapp. conforme P. Sargos, concl. contraires J. Sainte-Rose et note M.-L. Rassat ; Dr. pén. 2001, chron. 34, par L. Demont ; rapp. C. cass. 2001, p. 510 ; Gaz. Pal. 2002, 1, p. 12, note S. Monnier ; Rev. pénit. 2002, p. 137, obs. D. Vigneau ; JCP G 2002, I, 146, note Ch. Byk ; D. 2001, inf. rap. p. 2179 ; D. 2001, jurispr. p. 2917, note Y. Mayaud.

[4] C. pén., art. 222-19 et 222-20.

[5] Conv. EDH 4 nov. 1950, art. 12.

[6] CEDH, gde ch., 8 juill. 2004, n° 53924/00, Vo c. France : D. 2004, p. 245, note J. Pradel ; JCP G 2005, I, 110, obs. M. Nadaud ; JCP G 2004, act. 379.

[7] Proposition de loi n° 3572 de M. Claude Gaillard relative à la protection pénale de l'enfant à naître contre les atteintes involontaires de la vie déposée à l'Assemblée nationale le 6 février 2002 ; proposition de loi n° 837 de M. Jean-Paul Garraud portant création d'un délit d'interruption involontaire de grossesse déposée à l'Assemblée nationale le 14 mai 2003 ; amendement n° 281 proposé par M. Jean-Paul Garraud lors la discussion en deuxième lecture du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

[8] C. pén., art. 223-10 ; C. santé publ., art. L. 1110-1.

[9] CA Amiens, ch. corr., 1er septembre 2014, n° 13/01128, 710 : JurisData n° 2014-026669.

[10] Cass. crim., 2 sept. 2005, n° 04-87.046 : JurisData n° 2005-029802 ; Bull. crim., n° 212, D. pén. 2008, comm. 84.

[11] C. pén., art. 222-14-3.

[12] T. corr. Bobigny, 3 juill. 2009, cité par H. Angevin, Juris- Classeur Pénal, Art. 223-10, Fasc. 20 : interruption de grossesse sans le consentement de l’intéressée, § 7.

[13] M.-L. Rassat, Droit pénal spécial, Infractions des et contre les particuliers, Dalloz, 3ème éd. 2001, n° 286. Voir dans le même sens J. Pradel et M. Danti-Juan, Droit pénal spécial, Cujas, 2ème éd. 2001, n° 58.

[14] Cass. crim., 3 mars 1960, Bull. crim., n° 138 ; Rev. sc. Crim. 1961. 105, obs. Légal. 

[15] CEDH, 30 juillet 1998, n° 25711/94, Oliveira c. Suisse, Recueil 1998-V.

[16] C. pén., art. 132-3.

[17] Art. 222-8 et suivants C. pén.

[18] C. pén., art. 221-3.

[19] C. pén., art. 221-5.

[20] C. pén., art. 222-9.

[21] V. concernant la ligature des trompes subie par des femmes (Cass. crim., 19 janv. 2005, n° 03-87.210 : JurisData n° 2005-027055 ; Dr. pén. 2005, comm. 55, note M. Véron).

[22] Cass. crim., 25 mars 1980 : JCP G 1980, IV, p. 223 ; Bull. crim. 1980, n° 101 ; D. 1981, jurispr. p. 660, note W. Jeandidier ; Rev. sc. crim. 1981, p. 87, obs. G. Levasseur.

[23] Circonstance aggravante prévue par l’article 222-10 2° du Code pénal.

[24] De plus, dans les seules espèces ayant retenu la qualification, l’auteur est le conjoint de la victime, ce qui caractérise une autre circonstance aggravante (C. pén., art. 222-10 6°) portant alors la peine encourue à 20 ans de réclusion.

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1 Publié par Zénas Nomikos
20/05/2024 15:01

Merci infiniment pour tout Maître Mikaël Benillouche!
Un article magistral ni trop long ni trop court, clair et complet dans un style simple : quel privilège de pouvoir vous lire avec un simple accès à internet sans avoir à acheter des revues papier super chères et réservées aux spécialistes.
Encore merci!
Shalom shalom!

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