Ces dernières semaines n'ont pas été de tout repos pour notre Président de la République Emmanuel Macron.
Force est de constater que diriger un pays expose...
1. Le passé lointain
Henri III en 1589 ou Henri IV en 1610, la France n'a pas été épargnée par l'assassinat de ses souverains même si l'Histoire ancienne comme récente retient davantage les assassinats spectaculaires de Jules César par Brutus son propre fils adoptif - avec le fameux "tu quoque mi fili" - ou encore de John Fitzgerald Kennedy...
La Révolution française a abouti au jugement, à la condamnation et à la décapitation de Louis XVI.
Plus près de nous, des motivations politiques ont conduit à l'assassinat de Sadi Carnot ou de Paul Doumer.
L'assassinat de Paul Doumer par Gorguloff le 6 mai 1932 a d'ailleurs conduit à une décision de principe du droit pénal. Ainsi, Gorguloff, un émigré russe blanc aurait assassiné le Président de la République en exercice à des fins anarchistes entre les deux tours des élections législatives.
Subjectivement, l'assassinat serait donc motivé par des considérations politiques. En revanche, objectivement, l'assassinat n'est pas décrite dans le Code pénal (l'ancien bien sûr!) comme une infraction politique...
Le débat n'est pas purement théorique, loin s'en faut !
En effet, Gorguloff est condamné à la peine capitale en juillet 1932. Or, la peine de mort a été supprimée pour les infractions politiques par le Gouvernement provisoire par décret des 26 et 29 février 1848. Cette abolition sera confirmée par l'article 5 de la Constitution du 4 novembre 1848 et l'article 1er de la loi du 1er juin 1850.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation va écarter les mobiles de l'infraction pour juger ou non de sa nature politique ou non et ne censurera pas l'arrêt d'assises.
Gorguloff a donc été exécuté et le principe d'indifférence des mobiles consacré au travers de la formule suivante :
« Mais attendu que l’article 5 de la constitution susvisée ne profite qu’aux crimes exclusivement politiques et non à l’assassinat qui, par sa nature et quels qu’en aient été les mobiles, constitue un crime de droit commun ;
Qu’il ne perd point ce caractère par le fait qu’il a été commis sur la personne du Président de la République, l’article 86 du Code pénal, qui, par une survivance du crime de lèse-majesté, prévoyait spécialement les attentats contre la vie ou contre la personne de l’Empereur ou des membres de la famille impériale, se trouvant, par suite de la disparition du régime monarchique, implicitement abrogé »...
Quant à Pétain, sa peine de mort sera commuée par le Général de Gaulle.
Mais laissons cette histoire sanglante de côté pour s'attacher à l'honneur des représentant de la Nation et plus précisément de leurs dirigeants.
2. L'actualité
Après avoir été vivement chahuté au Salon de l'Agriculture, voici désormais qu'une députée lui suggère d'arrêter les substances psychotropes après que le chef de son parti l'ait traité de schizophrène.
Les politologues estiment qu'il y a quelques années cela aurait été impossible. C'est vrai et c'est faux à fois.
C'est d'ailleurs à la fois une bonne et une mauvaise chose...
Revenons-en au droit c'est à dire à l'épopée "casse-toi pauv con". Cette phrase prononcée par Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, au salon de l'agriculture en 2008 a ensuite été reprise sur une pancarte par un opposant politique notamment lors d'une visite que le Président avait effectuée à Laval.
L’arrogant ayant bravé le Président avait été poursuivi et condamné pour offense envers le chef de l'Etat, délit prévu par l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. La peine prononcée avait particulièrement retenu l'attention : 30 euros d'amende avec sursis !
La notion d'offense a été précisée par la jurisprudence.
Ainsi, l’offense est constituée par « toute expression offensante ou de mépris, par toute imputation diffamatoire qui, à l’occasion tant de l’exercice de la première magistrature de l’Etat que de la vie privée du président de la République, ou de sa vie publique antérieure à son élection, sont de nature à l’atteindre dans son honneur ou sa dignité » (Cass. Crim, 21 déc 1966, Bull crim. n° 302). L’offense doit en principe viser la personne même du président de la République et non sa politique ou les actes de son Gouvernement. Toutefois, l’offense adressée à l’occasion des actes politiques atteint nécessairement la personne. Dans un arrêt du 12 avril 1967, la Cour de cassation s’est exprimée comme suit :
« Qu’il appert de cet examen qu’au-delà d’une critique objective de la politique du général de Gaulle avant et pendant l’occupation, et pendant et après la libération, les passages en cause constituent bien, ainsi que l’énonce la cour d’appel, une « diatribe », qui « n’est pas, comme le prétendent les prévenus, un simple commentaire des événements auxquels a assisté l’auteur du livre, mais une attaque délibérée, violente et injurieuse, contre la personne même du président de la République, auquel sont prêtés des sentiments et des mobiles vils et bas » ;
Qu’en particulier, le chef de l’état est qualifié, dans ces passages, d’âme ambitieuse et incapable de règle, avide de domination jusqu’au vertige en état d’hallucination, ayant abandonné son poste devant l’ennemi, tente d’exploiter à son profit la défaite et le malheur du pays, fomente la division entre Français, pratique un despotisme outrageant, bafoue la justice dont il aurait fait l’instrument de ses colères, de ses rancunes et de ses haines, et été la cause exclusive, enfin, par sa seule faute, que « les infections ont peu à peu pourri le corps et l’âme de la nation » ;
Attendu qu’en cet état, c’est à bon droit que l’arrêt attaqué a dit que les faits imputés au demandeur entrent dans les prévisions des articles 26 et 61 de la loi du 29 juillet 1881, comme ayant été commis par l’un des moyens énumérés à l’article 23 de la même loi ;
Attendu en effet que si le droit de libre discussion appartient à tout citoyen en vertu des principes généraux du droit tels qu’ils sont reconnus par la constitution du 4 octobre 1958, et s’il est conforme à celle-ci d’étendre l’exercice de cette liberté publique à la discussion des actes politiques du président de la République, ce libre exercice s’arrête là où commence l’offense au chef de l’état ;
Que l’offense adressée à l’occasion des actes politiques atteint nécessairement la personne ;
Que lorsque les faits relevés par la prévention ont été commis par l’un des moyens énoncés dans l’article 23 et dans l’article 28 de la loi du 29 juillet 1881, et que l’intention d’offenser est établie, le délit prévu et puni par l’article 26 de la loi sur la presse est matériellement constitué par toute expression offensante ou de mépris, par toute imputation diffamatoire qui, à l’occasion tant de l’exercice de la première magistrature de l’état que de la vie privée du président de la République, ou de sa vie publique antérieure à son élection, sont de nature à l’atteindre dans son honneur ou dans sa dignité ;
Que la critique historique ou qui se prétend telle n’échappe pas plus à ces règles que la controverse politique ; (...) ».
Revenons-en à Monsieur Eon....
Parfois, certains clients ont des principes et veulent agir quoiqu'il leur en coûte. C'est assurément le cas de Monsieur Eon, l’auteur de la pancarte. Un pourvoi en cassation a donc été formé et rejeté puis la Cour européenne des droits de l'homme a été saisie. Cette dernière a - dans un tonitruant - arrêt Eon c. France du 14 mars 2013 considéré que ce délit spécifique au chef de l'Etat constituait une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression...
Ce délit était d'ailleurs assez largement tombé en désuétude. Les poursuites furent nombreuses sous la présidence du Général de Gaulle. Sous la présidence de Georges Pompidou, il n’y eut qu’une seule poursuite engagée sur ce fondement et aucune action ne fut intentée sous celles de MM. Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac entre 1974 et 2007.
A peine quelques mois plus tard, l'article 21 de la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France abrogeait la disposition litigieuse.
Quelle magnifique victoire de la liberté d'expression prévue notamment par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme...
Cette abrogation n'a pas laissé un vide juridique puisqu'il est toujours possible d'agir sur le fondement des articles 31 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la diffamation ou l'injure.
Or, indiquer que le Président souffre d'une maladie mentale ou se drogue semble effectivement porter "atteinte à son honneur et à sa considération" et donc constituer une diffamation.
De tels propos particulièrement virulents semblent se multiplier.
Bien sûr, le Président de la République pourrait systématiquement agir. Mais ce faisant, ne risquerait-il pas de donner du crédit à ceux qui pensent qu'il entendu limiter la liberté d'expression...
Plus encore, de tels propos ne sont-ils pas les prémices d'actions plus violentes... . Sous couvert de critique, des responsables politiques ne risquent-ils d'inciter leurs partisans à commettre des actes de violences, voire même un mouvement insurrectionnel, infractions prévues et punies par le Code pénal.
Réprimer de tels propos conduirait leurs auteurs à se victimiser et donc à capitaliser de la sympathie et des voix.
Finalement comme le disait Voltaire « une société sans liberté de parole est une prison ».
3. Conclusion très personnelle
Vous l'aurez compris, j'estime que l'offense peut conduire à la violence et pousser quelques déséquilibrés à passer à l'acte et à tuer.
Je devrais ici citer Jean Jaurès et son assassinat à la veille de la Première Mondiale pour terminer sur une note positive en rappelant son entrée au Panthéon en 1924.
Hélas, un autre exemple me vient à l'esprit...l'assassinat du Premier Ministre israélien Yitzhak Rabin par un extrémiste israélien en 1995.
Après une carrière militaire, ce dernier se lance dans une carrière politique en occupant tour à tour les fonctions de Ministre de la Défense puis de Premier ministre. En 1993, il participe activement aux négociations de paix avec la Palestine qui aboutissent aux accords d'Oslo. Il obtient d'ailleurs le Prix Nobel de la Paix en 1994...
Son assassinat a enterré - je l'espère provisoirement - tout espoir de paix durable au Proche-Orient comme l'illustre une actualité brûlante et sanguinaire....