La tendance actuelle est à l’aménagement des terrasses d’immeubles, qu’elles soient situées sur les toits ou en prolongement d’un appartement. Ces espaces de pleins airs offrent une opportunité d’agrandir un logement privatif. L’extension est, certes, valorisante pour le logement, mais demeure toutefois une source potentielle de désordres et de conflits pour la copropriété qui, elle, n’en profite pas.
En effet, dans un immeuble, s’il est incontestable que le copropriétaire concerné a un droit de jouissance exclusif sur une terrasse partie commune, il se doit d’obtenir l’agrément de l’assemblée générale des copropriétaires avant de concrétiser son projet d’aménagement. Le conseil syndical sera informé en amont. Dans le cas contraire, la copropriété risque de se trouver confronter à une annexion sauvage de partie commune, à des désordres répétées sur l’étanchéité et à des contentieux sans fin quant à la charge des travaux.
Le Syndicat des copropriétaires, par l’intermédiaire de son syndic, a ainsi la faculté d’agir en justice lorsque l’aménagement d’une terrasse partie commune cause des problèmes aux voisins. Il pourra saisir soit le tribunal de grande instance pour mettre fin à l’occupation jugée illicite et obtenir réparation d’un préjudice, soit le tribunal administratif pour contester l’autorisation de construire délivrée par les services de l’urbanisme en application de l’article R. 421-17 du Code de l’urbanisme. Il faut savoir qu’en la matière, les tribunaux font preuve d’intransigeance à l’égard du copropriétaire n’ayant pas sollicité au préalable une autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires. C’est pourquoi il est essentiel pour les copropriétaires, pris collectivement et individuellement, de connaître leurs droits et de se montrer vigilant.
I.- Les droits du copropriétaire en matière d’aménagement d’une terrasse
Il est essentiel pour le copropriétaire de connaître ses droits et de prendre des précautions avant toute réalisation de son projet de construction.
A) Le cadre légal et jurisprudentiel
L’article 25 b de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, prévoit que tout copropriétaire souhaitant effectuer des travaux en vue de se procurer la jouissance exclusive ou l’acquisition d’une terrasse partie commune, mais qui seraient susceptibles de modifier les parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble, doit obtenir préalablement l’autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires. Ces derniers voteront à la double majorité de la loi du 10 juillet 1965, autrement dit tous les copropriétaires représentant au moins les deux tiers des voix. La même majorité est requise lorsque le projet d’aménagement d’une terrasse partie commune rend nécessaire une modification de la répartition des charges de copropriété ou du règlement de copropriété . Dans d’autres cas, et notamment si l’aménagement d’une terrasse porte atteinte à la destination de l’immeuble eu égard à sa qualité architecturale et à son standing, l’unanimité est nécessaire.
En résumé, lorsque des aménagements transforment l’aspect extérieur d’un immeuble ou modifient la destination d’une copropriété, l’autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires est obligatoire, peu importe que les travaux soient effectués sur des parties communes ou privatives . Ainsi, à titre d’exemple, les tribunaux ont jugé illicites la mise en place d’une véranda et la pose de films protecteurs sur les vitres , la peinture de la façade , la pause de barreaux aux fenêtres du rez-de-chaussée d’une maison composée de deux logements .
Le fait que d’autres copropriétaires aient réalisés des aménagements sans autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires ou que les aménagements du copropriétaire mis en cause soient légers et seulement décoratifs, de sorte qu’ils n’affectent pas l’harmonie de la façade de l’immeuble, ne sont pas des arguments recevables. Il en a été décidé ainsi dans une affaire où le mur de l’immeuble ne comportait que quelques carreaux de faïence et, de surcroît, d’autres balcons avaient également été aménagés, au motif que le règlement de copropriété de l’immeuble en question prévoit que « les copropriétaires qui bénéficient de la jouissance exclusive de loggias pourront procéder à des aménagements et décorations, mais à la condition que ceux-ci ne portent en rien atteinte à l’aspect extérieur ou à l’harmonie de l’ensemble immobilier sous contrôle du syndic » (Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 17 mai 2003, n° 12/08258). Dans cette affaire, on retiendra que les travaux auraient dû être soumis à autorisation, d’autant plus la règle légale est reprise dans le règlement de copropriété.
B) Les points de vigilance
Il faut distinguer deux situations, selon que la terrasse est située dans le prolongement du logement privatif ou sur le toit.
Lorsque la terrasse est conçue, depuis l’origine de la construction, comme le prolongement du logement, elle est qualifiée par le règlement de copropriété de partie commune à jouissance exclusive. Ce droit d’usage exclusif est presque toujours attaché au lot, mais peut aussi, dans certains cas, être lié à la personne de l’occupant et, dans ce cas assez rare, il ne se transmettra pas d’un copropriétaire à un autre. Dans tous les cas de figure, la jouissance exclusive de nature privative ne permet pas à son titulaire de faire ce qu’il veut, ne serait-ce que parce qu’elle ne constitue pas un droit de propriété au sens légal du terme ; ce dernier étant, par principe, absolu et donc inviolable . C’est la raison pour laquelle la jouissance privative d’une terrasse peut être encadrée par le règlement de copropriété, parfois de façon très stricte. Il arrive que ce document contienne des clauses interdisant purement et simplement toutes plantations ou encore des bacs d’une certaine dimension en raison du poids qu’ils génèrent. D’autres règlements de copropriétés peuvent, au contraire, ne contenir aucune restriction quant à l’aménagement des terrasses. Il est donc essentiel d’en consulter le contenu avant d’y réaliser le moindre aménagement.
Dans le cas de l’annexion d’un toit-terrasse, les précautions à prendre sont renforcées dans la mesure où il s’agit d’une surface sur laquelle, le plus souvent, seul le personnel d’entretien est sensé y avoir accès pour l’entretien ou la maintenance des équipements de la toiture (canalisations, conduits de cheminées, antenne de télévision, ventilateur de climatisation, machinerie d’ascenseur, etc…). Ces surfaces, en tant que telles, n’ont pas vocation à accueillir une terrasse, pour des raisons à la fois de sécurité (lorsqu’une seule échelle permet d’y accéder) et technique (lorsque les garde-corps sont inadaptés, voire inexistants). A partir du moment où un copropriétaire souhaite réaliser un projet de transformation du toit terrasse en terrasse privative, il est indispensable que toutes les garanties soient portées à la connaissance du syndicat des copropriétaires en termes d’étanchéité, d’isolation thermique ou phonique, de poids des aménagements, d’entretien et de pérennité de l’ouvrage. A cet effet, un descriptif précis des travaux envisagés, établit par un architecte, ainsi que d’autres documents (projet de modificatif au règlement, proposition de compensation financière, attestation de qualification et d’assurance des entreprises appelées à intervenir sur le chantier) devront être transmis aux copropriétaires avant la tenue de l’assemblée générale.
Que ce soit sur le toit-terrasse ou sur une terrasse prolongeant le logement, l’autorisation d’aménager implique de vendre la partie commune. Une telle cession peut théoriquement comporter un double avantage : pour l’intéressé, celui d’augmenter la surface de son logement et, de surcroît, sa valeur vénale sur le marché ; pour le syndicat des copropriétaires, celui de pouvoir augmenter le budget de fonctionnement de la copropriété ou financer des travaux collectifs coûteux. En pratique, la situation est beaucoup plus complexe. L’usage privatif d’une partie commune implique que le copropriétaire intéressé ne prenne en charge que les frais occasionnés par le revêtement superficiel de la terrasse, par exemple le remplacement des dalles ou du carrelage. En revanche, au motif que la terrasse servant de toiture à l’immeuble ou prolongeant les logements constitue une partie commune affectée à l’usage de la copropriété ou à l’utilité de plusieurs copropriétaires au sens de l’article 3 de la loi du 10 juillet 1965, les frais de réfection du complexe d’étanchéité et d’isolation des murs de l’immeuble resteront à la charge de la copropriété, à moins que le règlement de copropriété n’en décide autrement, ce qui est plutôt rare. Il n’est donc pas certain que l’autorisation de l’assemblée générale soit aisément acquise.
Cependant, l’autorisation donnée par l’assemblée générale des copropriétaires ne préjuge en rien de l’obligation de respecter les formalités d’urbanisme : l’intéressé doit donc s’engager à demander aux services d’urbanisme de la commune les autorisations requises au regard du plan local d’urbanisme (PLU) ou du plan d’occupation des sols (POS) qui peut contenir des servitudes particulières, rendant impossible tout aménagement. Les autorisations administratives doivent également figurer dans le procès-verbal de l’assemblée générale des copropriétaires.
II.- Les droits du syndicat des copropriétaires en matière d’aménagement d’une terrasse
L’aménagement d’une terrasse partie commune peut occasionner des désordres ou des troubles anormaux de jouissance à un ou plusieurs copropriétaires de l’immeuble ou à tout autre occupant d’un immeuble voisin. A défaut d’entente amiable, le syndicat des copropriétaires peut agir en justice, soit devant le juge civil pour obtenir la cessation de l’occupation illicite de la partie commune et, le cas échéant, réparation du préjudice subi à travers le versement de dommages et intérêts, soit devant le juge administratif pour obtenir l’annulation de l’autorisation administrative de construire.
A) L’action devant le juge civil
Le syndicat des copropriétaires peut saisir le tribunal de grande instance pour obtenir la remise en l’état antérieur de la terrasse annexé au logement privatif. L’action en justice doit être exercée dans un délai de dix ans à compter de la découverte de l’occupation illicite et abusive de la partie commune . Il ne s’agit pas d’une action réelle soumise à la prescription trentenaire, mais plutôt d’une personnelle soumise à la prescription décennale, car, selon la jurisprudence, les installations de structures légères sur des espaces objet d'un droit de jouissance exclusive et privative ne modifiait pas la nature juridique de ce droit . Il en va ainsi, par exemple, d’une véranda , d’une clôture de balcon , d’un abri de jardin, a fortiori avec un ancrage au sol, ou encore de plantations, dont l’existence ne peut ériger le droit de jouissance exclusive en un droit de propriété. Il s’agit là d’installations impliquant une emprise sur les parties communes et/ ou les affectant dans leur consistance matérielle ou les modalités de leur usage .
Au vu des pièces du dossier et éventuellement d’une expertise judiciaire, le tribunal détermine les mesures propres à faire cesser le trouble anormal du voisinage, peu importe que les autorisations d’urbanisme aient été obtenues, dès lors que le copropriétaire mis en cause a édifié une construction en infraction avec le règlement de copropriété. Ce dernier sera condamné à réaliser des travaux de remise en état d’origine, au besoin, sous astreinte s’il ne respecte pas le délai imparti pour exécuter la décision judiciaire. Enfin, le tribunal peut condamner le fautif au versement de dommages et intérêts au demandeur à l’action pour compenser le préjudice subi. Les sommes allouées varient selon le cas d’espèce, la durée de la période considérée et l’intensité du trouble. Pour prendre sa décision, le juge civil se fonde souvent sur l’avis rendu par l’expert judiciaire au cours de la procédure. Néanmoins, en application de l’article 246 du Code de procédure civile, le juge n’est pas lié par les conclusions de l’expert et peut fort bien statuer en sens inverse.
B) L’action devant le juge administratif
A supposer que le projet d’aménagement d’une terrasse partie commune ait été autorisé par les services de l’urbanisme, le syndicat des copropriétaires, un ou plusieurs d’entre eux, ainsi que tout occupant d’un immeuble voisin peuvent contester devant le tribunal administratif la validité de la déclaration préalable ou du permis de construire délivré. En effet, l’autorisation administrative est délivrée sous réserve du droit des tiers. Le délai pour agir est de deux mois à compter du premier jour de l’affichage au bas de l’immeuble. Intenter un recours en annulation de l’autorisation préalable suppose d’invoquer un motif sérieux et légitime, tel que la méconnaissance des règles de l’urbanisme en matière de hauteur, les limites de ce qu’autorise le coefficient d’occupation des sols (COS), ou encore la distance d’implantation. Mais il faut être prudent avant de déposer un tel recours, car s’il est abusif ou malveillant ou si le requérant n’a pas d’intérêt personnel et direct à agir , il risque de se retrouver à son tour attaqué en justice par le copropriétaire mis en cause qui aurait perdu du temps dans l’avancement de ses travaux légitimes.
L’article R. 600-4 du Code de l’urbanisme dispose en effet que « Saisi d'une demande motivée en ce sens, le juge devant lequel a été formé un recours contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager peut fixer une date au-delà de laquelle des moyens nouveaux ne peuvent plus être invoqués ». L’objectif de cette nouvelle mesure introduite par le décret n° 2013-879 du 1er octobre 2013 relatif au contentieux de l’urbanisme en application de l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative aux contentieux de l’urbanisme est de lutter contre une prolongation artificielle d’une procédure qui pourrait résulter de l’invocation par un requérant de nouveaux moyens purement dilatoires.
Mourad MEDJNAH