Les actes de vente portant sur des immeubles ou sur des droits immobiliers, comme la constitution d’une hypothèque par exemple, doivent obligatoirement être notariés dès lors que la loi prévoit une mesure de publicité en vue d’informer les tiers de l’existence et de l’étendue des droits immobiliers portant sur un immeuble[1]. Le notaire est rémunéré pour les actes notariés qu’il rédige et les services de conseil et d’assistance qu’il rend en vue de la bonne gestion d’un patrimoine immobilier[2]. Les clients bénéficiaires s’attendent, en contrepartie, à être judicieusement guidés dans les arbitrages qu’ils ont à faire d’un point de vue juridique. Lorsque le notaire ne remplit pas correctement sa mission, qu’il néglige son devoir de conseil ou qu’il ne veille pas à l’accomplissement des formalités, sa responsabilité professionnelle peut être engagée. Les conséquences de ses défaillances sont parfois si lourdes que les parties ayant recours à ses services ne peuvent subir sans réagir.
En l’absence de définition légale, la responsabilité notariale s’est construite autour de la jurisprudence. Celle-ci retient la responsabilité du notaire sur le fondement d’une responsabilité civile de nature délictuelle qui sous-entend que le notaire n’engage pas sa responsabilité en vertu d’un contrat mais parce qu’il est tenu à des obligations en raison du caractère spécifique de son statut. La mise en œuvre de sa responsabilité civile professionnelle implique donc que le demandeur rapporte la preuve de l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité par application de l’article 1382 du Code civile.
Malgré tout, les actions en justice à l’encontre des notaires sont de plus en plus fréquentes en France et les tribunaux ont tendance à reconnaître plus facilement la faute notariale. Dans ce contexte, il apparaît opportun de revenir sur le régime de la responsabilité professionnelle du notaire concernant les obligations lui incombant. Si la jurisprudence est parvenue à élucider certaines questions majeures à ce sujet (I), d’autres sont en revanche éludées (II).
I.- Les questions élucidées :
Par son statut et la nature des rapports qu’il entretient avec ses clients, le notaire se voit soumis à un devoir de vérification et de contrôle des actes qu’il dresse (A) et de conseil vis-à-vis du client désireux de connaître les options qui s’ouvrent à lui ainsi que les conséquences des actes qu’il va signer (B).
A.- Le devoir de vérification et de contrôle :
Le notaire peut, tout d’abord, voir sa responsabilité civile professionnelle engagée pour cause de manquement à son obligation d’assurer la bonne exécution des actes qu’il élabore. Son obligation professionnelle provient de son intervention et non des actes qu’il rédige. Ainsi le notaire est-il tenu d’assurer la protection juridique complète des signataires, de vérifier si l’acte qu’on lui demande de rédiger n’est pas frauduleux et si les parties signataires ont les qualités requises.
Selon une jurisprudence ancienne et constante, « le notaire est tenu d’éclairer les parties et de s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes rédigés par lui »[3]. Concrètement cela signifie qu’il doit veiller à ce que l’objectif poursuivi par ses clients soit pleinement atteint en évitant toute erreur qui entraînerait la nullité de l’acte. Ainsi, un notaire a-t-il été déclaré responsable pour ne pas avoir indiqué dans l’acte qu’il avait rédigé que les locaux étaient libres de toute occupation[4]. En effet, dans le cas d’espèce, le notaire ne pouvait pas ignorer le fait que trois logements étaient occupés puisqu’il est l’auteur de l’acte par lequel le vendeur avait acheté le bien, plusieurs mois auparavant.
Le notaire se doit d’être particulièrement vigilant, et tenir compte d’un certain nombre d’exigences liées à son devoir de vérification dont la méconnaissance est réprimée avec une grande sévérité. Il doit d’abord garantir la validité des actes qu’il élabore au regard des règles de droit applicables. Par exemple, s’agissant de l’obligation de vérifier le contenu d’un acte de partage, la Cour de cassation a jugé que la perte de la propriété d’un fonds de commerce résulte pour partie de l’omission fautive du notaire de vérifier l’intégralité de l’actif successoral et que sa responsabilité devait donc être engagée[5].
Le notaire doit aussi s’assurer de l’efficacité juridique des actes qu’il rédige ou qu’il reçoit. Il s’agit là d’une obligation complexe qui peut s’avérer déterminante lorsqu’il existe notamment un lien de dépendance entre différents actes. Ainsi, dans une affaire, deux personnes morales avaient constitué entre elles une SCI et une SARL en vue notamment de la construction d’une résidence hôtelière et de son exploitation commerciale. L’acte de prêt finançant cette opération comportait une clause interdisant aux SCI et SARL emprunteuses de « réaliser (sans accord de la banque) tout ou partie de leur patrimoine immobilier ». Mais par plusieurs actes notariés postérieurs, les sociétés ont cédé à des tiers la totalité de leurs parts. Invoquant la clause interdisant toute cession sans son accord, la banque assigna les sociétés en paiement du solde du prêt restant dû et appela en garantie les notaires rédacteurs des actes de cession ayant violé l’interdiction stipulée à l’acte de prêt. Constatant le lien de dépendance entre les actes successifs, la Cour de cassation a estimé que les notaires avaient l’obligation d’examiner les actes initiaux de prêt[6].
Le notaire doit enfin vérifier les informations données par les parties sur la situation juridique du bien au regard du droit ; il est tenu de vérifier les affirmations qui lui sont faites. Dans une espèce, l’acquéreur d’un logement dans un immeuble en copropriété avait dû démolir sa salle de bains, car celle-ci avait été construite par le vendeur alors qu’elle empiétait sur la cour privative, sans autorisation de l’assemblée générale de la copropriété. Le juge a condamné le notaire à indemniser l’acquéreur, au motif qu’il n’avait pas procédé « au préalable, aux vérifications qui s’imposaient à lui quant à la régularité des travaux réalisés »[7]. Par contre, le notaire, recevant un acte en l’état de déclarations erronées d’une partie quant aux faits rapportés, engage sa responsabilité seulement s’il est établi qu’il disposait d’éléments de nature à faire douter de leur véracité ou de leur exactitude[8].
L’accomplissement de son obligation de vérification ou, au contraire, l’impossibilité d’y procéder ne l’exonère pas de son obligation accessoire d’informer ses clients.
B.- Le devoir de conseil :
Le notaire est tenu à un devoir de conseil auprès de son client[9]. Il doit, à ce titre, informer son client sur les risques encourus et l’alerter sur les particularités du montage d’une opération immobilière ou d’une hypothèque. Tout manquement à son obligation d’information est constitutif d’une faute pouvant engager sa responsabilité civile professionnelle.
En l’absence de définition légale du devoir de conseil, la jurisprudence a été amenée à préciser cette notion en la reliant à une obligation générale de prudence, de diligence et à un devoir de mise en garde impartiale[10]. Cela signifie que le devoir de conseil du notaire n’est plus limité au contenu des actes qu’il rédige mais s’étend également aux conséquences économiques et fiscales de ces derniers. Il découle de cette formulation générale deux interprétations particulières. Le notaire ne doit pas se contenter des déclarations des parties sur la situation juridique du bien au regard du droit des sûretés : il est tenu de vérifier l’exactitude des affirmations qui lui sont faites[11]. Il doit également informer les parties sur les risques économiques et fiscaux de l’opération que celles-ci s’apprêtent à réaliser et les alerter sur les particularités du montage[12].
Cette charge qui découle de sa double fonction d’officier public et de mandataire contractuel, et non du seul mandat donné par les parties, l’oblige à renseigner les parties sur les conséquences des engagements qu’elles contractent. La vigilance de la Cour de cassation, à cet égard, ne cesse de s’amplifier de sorte que le notaire doit impérativement informer ses clients sur les règles applicables et les conséquences juridiques et fiscales de l’opération projetée[13]. Ainsi par exemple, le devoir de conseil doit être accompli même lorsque le notaire n’intervient que pour rédiger l’acte principal ou pour authentifier une convention pré-établie. Le notaire agissant en qualité de mandataire contractuel se doit également de conseiller ses clients et de les inciter au respect de la loi. L’obligation est quasi-absolue puisque le devoir de conseil est exigé même en présence de clients avisés ou expérimentés ou assistés par des avocats ou notaires[14]. En revanche, il n’a pas à s’immiscer dans l’équilibre du contrat, l’opportunité de l’acte restant l’affaire des seules parties.
Il est également intéressant de consulter un arrêt de la Cour d’appel de Colmar selon lequel le notaire ne peut se décharger de sa propre responsabilité professionnelle par une clause contenue dans l’acte de vente authentique[15]. En l’espèce, un notaire, qui n’ignorait pas les projets de construction de l’acquéreur, se devait de solliciter en temps utile un certificat d’urbanisme plus complet qu’une simple note de renseignement et d’avertir l’acquéreur du risque encouru de ne pas pouvoir réaliser son projet immobilier.
Ainsi, le régime de la responsabilité notariale dans la sphère immobilière est précisé avec certitude s’agissant des obligations lui incombant. Si ces questions ont été élucidées par la jurisprudence, d’autres restent en revanche en suspend.
II.-Les questions éludées :
Des incertitudes persistent quant à la reconnaissance de la responsabilité civile du notaire lors de la mise en place de sûretés (A) ou à l’occasion de l’exécution d’un mandat de représentation des parties (B).
A. La mise en place de sûretés :
La responsabilité notariale du fait de l’accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés a fait l’objet d’un arrêt rendu le 3 mars 2011 par le première Chambre civile de la Cour de cassation. Cette dernière y énoncent dans une formule de principe que « le notaire, tenu de prendre toutes dispositions utiles pour assurer la validité et l’efficacité des actes auxquels il prête son concours ou qu’il a reçu mandat d’accomplir doit, sauf s’il en est dispensé expressément par les parties, veiller à l’accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l’exécution, dont, quelles que soient ses compétences personnelles, le client concerné se trouve alors déchargé »[16]. La solution semble frappée du sceau du bon sens : elle vient confirmer la jurisprudence antérieure soucieuse de préserver la sécurité juridique des parties. La Cour de cassation a déjà été amenée à se prononcer en la matière dans un arrêt de 2008[17] dans lequel elle affirme que le notaire est tenu d’assurer l’efficacité non seulement des actes auxquels il prête son concours en qualité d’officier public, mais aussi de ceux qu’il est chargé d’accomplir en qualité de mandataire contractuel.
Cette apparente simplicité ne doit pas pour autant masquer le doute qui subsiste s’agissant de la cohérence des conditions de mise en œuvre de la responsabilité du notaire lors de la mise en place de sûretés. Ainsi, en l’occurrence, la référence dans le double visa des articles 1147 et 1382 du Code civil atteste qu’il n’y a pas lieu de différencier les titres auxquels le notaire intervient pour déterminer la nature de sa responsabilité, voire l’atténuer ou l’exonérer, en cas de manquement à son obligation de veiller à la mise en place des sûretés. Le notaire est responsable pour les fautes commises dans l’exercice de ses fonctions tant d’officier public que de mandataire contractuel, sauf s’il en est dispensé expressément par les parties, que ce soit au titre de la rédaction des actes que du devoir de conseil. Malgré la nuance rédactionnelle des articles 1147 et 1382 du Code civil, les exigences de validité et d’efficacité des actes auxquels le notaire prête son concours ou qu’il a reçu mandat d’accomplir font naître les mêmes obligations, notamment celle de prendre « toutes dispositions utiles » pour assurer la validité et l'efficacité des actes auxquels il prête son concours. Faut-il voir dans le caractère général de l’obligation une extension responsabilité notariale au motif que le notaire est tenu de veiller à la mise en place des sûretés ?
En résumé, la portée de l’arrêt du 3 mars 2011 est considérable. Il appartient aux praticiens d’en explorer l’univers, moyennant le strict respect du régime de la responsabilité professionnelle du notaire en la matière, y compris lorsque le notaire reçoit mandat d’agir au nom et pour le compte d’une partie.
B.- L’exécution d’un mandat :
Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 17 novembre 2011, vient apporter des précisions quant à l’étendue de la responsabilité du notaire lorsque les formalités nécessaires à la rédaction d’un acte pour lequel il a reçu mandat, n’ont pas été effectuées[18]. En l’espèce, après avoir donné mandat à son notaire de vendre moyennant un prix déterminé sept hectares de sa propriété à un couple d’acquéreurs, la venderesse a assigné ces derniers en nullité pour dol et recherché la responsabilité du notaire, qui n’avait pas inclus dans l’acte de vente certaines mentions figurant au compromis de vente, à savoir l’obligation de clôturer les lots limitrophes et l’interdiction pour les acquéreurs de faire édifier plus de cinq habitations sur le terrain acquis. La Cour de cassation précise que le principe selon lequel « le notaire qui a reçu un mandat de vendre, même en termes généraux, doit accomplir fidèlement sa mission compte tenu de l’intention de son mandant et dans son intérêt » ne met pas à la charge du mandataire l’obligation de conditionner la signature de l’acte de vente à l’inclusion du nombre de maisons pouvant y être construites ni à l’édification d’une clôture par les acquéreurs. La solution ainsi dégagée met en avant une difficulté supplémentaire. Les obligations du notaire consistant à s’assurer de l’efficacité de l’acte qu’il a rédigé s’étend au-delà du mandat qui lui a été confié lorsque la réalisation des formalités liées à l’acte de vente n’entre pas dans le cadre dudit mandat. Bien que la solution dégagée se fonde sur le besoin de sécurité juridique, le schéma de la responsabilité notariale gagne néanmoins en complexité.
Conclusion
S’il faut s’interroger sur l’avenir de la responsabilité à l’égard du notaire, ce n’est pas en termes de pertinence mais de cohérence avec l’ensemble du droit de la responsabilité. En effet, la tendance est à la sévérité dans le dessein de placer le notaire sur le même plan que l’ensemble des professionnels du conseil à l’égard desquels tout manquement à leurs obligations professionnelles suffit à fonder une action en responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle dès lors que ce manquement a causé un préjudice[19]. L’autre raison d’être de l’élargissement de la responsabilité notariale est de respecter la prévision des parties, soucieuses d’une plus grande prévisibilité juridique dans la conduite de leurs affaires. De ce point de vue, la Cour de cassation semble manifestement se livrer à une appréciation très concrète des risques susceptibles de découler de l’activité notariale. Nous ne pouvons que louer la position de la haute juridiction. Il revient donc à la profession notariale de se montrer très vigilant et d’avoir systématiquement recours à des compagnies d’assurance qui supporteront la couverture financière du dommage causé à un client.
[1] Décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière, JO du 7 janvier 1955, p. 346
[2] G. SAINT GENIEST, Émoluments et honoraires des notaires, éd. Librairies techniques, Paris, 1984.
[3] Cass. 1e civ. 4-1-1966 : Bull. civ. I n° 7 ; Cass. 1re civ., 7 décembre 2004, n° 01-21128 ; Cass. 3e civ. 3-5-2006 n° 538 : RJDA 11/06 n° 1121.
[4] Cass. 1re civ., 27 mai 1997, n° 94-19092.
[5] Cass. 1re civ., 19 novembre 2009, n° 08-15937.
[6] Cass. 1re civ., 19 novembre 2009, n° 08-19173.
[7] Cass. 1re civ., 13 novembre 1997, n° 95-20123.
[8] Cass. 1re civ., 8 janvier 2009, n° 07-18780.
[9] C. BIGUENET-MANUEL, Le devoir de conseil des notaires, Tome 16, Defrénois – Doctorat & Notariat, Paris 2006.
[10] CA d’Aix-en-Provence, 28 décembre 2010, n° 10-00219.
[11] Cass. 1re civ., 13 novembre 1997, n° 95-20123.
[12] Cass. 1re civ., 21 janvier 2006, n° 04-15797 ; Cass. 1re civ., 13 décembre 2005, n° 03-11443 ; Cass. com., 12 octobre 1993, n° 1993-002726.
[13] Cass. 1re civ., 3 avril 2007, n° 06-12.831.
[14] Cass. 1re civ., 4 mars 1997, JCP, n° 44-45.
[15] CA Colmar, 2e Ch., sect. B, 25 octobre 2002, R. G. n° 2B 01/01864.
[16] Cass. 1re civ., 3 mars 2011, n° 09-16091.
[17] Cass. 1re civ., 16 octobre 2008, n° 07-14695 et 07-16270 : Bull. civ., n° 226 ; Defrénois 2008, art. 2526, obs. R. Libchaber.
[18] Cass. 1re civ., 17 novembre 2011, n° 10-19973.
[19] V., en ce sens, Cass. ass. Plén., 6 octobre 2006, n° 05-13255 : Bull. ass. Plén. 2006, n° 9.