Le lien de subordination juridique est caractérisé par "l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné", rappelle la Chambre sociale de la Cour de cassation depuis 1996.
Dans l'immense majorités des cas, la subordination du travailleur est évidente : horaires et lieu de travail identiques depuis des années, hiérarchies, ordres, sanctions disciplinaires, exclusivités des services, matériel fourni...
Néanmoins pour certaines activités comme le chauffeur d'Uber ou le coursier de Deliveroo, leur subordination juridique n'est pas évidente et la question représente un enjeu important fiscalement et socialement car tout salarié est affilié au régime général protecteur de la sécurité sociale.
Dès lors, la subordination juridique apparaît comme un critère du contrat de travail (I) placé sous le signe de l'ordre public de protection (II).
I - La subordination juridique comme critère actuel du contrat de travail
Pour qualifier un contrat de travail comme tel, le juge utilise la technique du faisceau d'indices (A). Néanmoins, l'affaire médiatique d'Uber pose quelques difficultés (B).
A - La méthode du faisceau d'indices en cas de contestation
En cas de contestation, et après avoir vérifié que cette catégorie professionnelle ne bénéficie pas d'une présomption de salariat édictée par le Code du travail tels que journalistes, VRP, artistes...il faudra examiner concrètement, dans sa vie de tous les jours, s'il est juridiquement subordonné grâce à la méthode du faisceau d'indices : reçoit-il des ordres et sont-ils contrôlés dans leur mise en oeuvre ? Est-il inclus dans un service organisé ? Est-il soumis à des horaires dans un lieu précis de travail, avec un matériel fourni par l'entreprise ? Peut-il prendre des congés quand il veut ? Avec cette technique, peu importe le contrat qui a pu être signé : droit issu de la pratique, le droit du travail s'attache à la réalité concrète et quotidienne, démasquant ainsi les fraudes au nom de l'ordre public de protection.
Reste à savoir dans quelles mesures le statut des "partenaires" d'Uber ou Deliveroo peut-il être qualifié.
B - Les "partenaires" d'Uber : salariés, indépendants... ou autre ?
En mai 2016, l'URSSAF d'Ile de France a assigné Uber France devant le TASS de Paris pour récupérer les millions d'euros de redressement qu'elle lui avait "infligé" en 2015 et qu'Uber refuse de payer, soutenant que son modèle économique repose sur le non-salariat.
En l'absence de loi indiquant qu'ils sont assimilés aux salariés, il faut se livrer à l'enquête habituelle, comme l'a fait la Cour d'appel de Paris le 20 avril 2017. Dans cette affaire la Cour d'appel retient que le coursier avait une totale liberté dans son activité se caractérisant par le choix de ses journées de travail, de fixer ses périodes d'inactivité, ses congés, leur durée.
Quid des partenaires d'Uber ? On peut considérer qu'ils travaillent à l'évidence dans un service organisé, s'agissant de plateformes c'est la base même de leur organisation. Néanmoins cela ne veut pas dire qu'ils soient soumis à des ordres ou des directives : si le chauffeur reste maître de ses horaires, il reste indépendant.
Toutefois, la loi du 8 août 2016 a renoncé à une présomption irréfragable de non-salariat qui aurait écarté tout procès en requalification. Mais elle a créé, dans le code du travail une "responsabilité sociale des plateformes" des donneuses d'ordres.
Néanmoins, le droit sanction les abus aussi sophistiqués, montages dont certains finissent par faire soupleurer : car si elle est avérée, la fraude corrompt tout.
II - L'ordre public de protection et le principe de réalité
L'exemple très commun est celui de l'auto-entrepreneur dont la vie quotidienne ressemble à celle d'un salarié (A). Là encore, le juge aplique le prinicpe de réalité au nom de l'ordre public de protection afin de requalifier le contrat (B).
A - Le faux artisan, le faux auto-entreprenuer mais vrai salarié
En droit du travail, l'employeur est responsable de la sécurité dans son entreprise en cas d'accident, il risque de passer devant le tribunal correctionnel et d'être pénalement sanctionné.
Pour éviter ce risque et payer moins de charges sociales, des employeurs du bâtiment avaient demandé à leurs salariés (plâtriers, plombiers) de démissionner et de s'inscrire très officiellement comme artisans indépendants. Leur travail resterait le même, les horaires identiques et ils ne toucheraient non plus un salaire mais une rémunération, d'ailleurs supérieure puisqu'ils devaient faire face eux même à leur protection sociale.
Hélas ! L'un deux fit une chute ! Lorsque l'inspecteur de travail vint à constater les faits, le chef de chantier indiqua que le malheureux était un artisan, donc indépendant comme le démontre son inscription régulière au Registre des métiers. Lui-même ne pouvait pas être déclaré responsable de cet accident, qui n'était pas un accident du travail.
Or, l'enquête menée par l'inspecteur montra dans les faits, ces nouveaux artisans (ex-salariés !) avaient les mêmes conditions de subordination qu'auparavant : même chef de chantier, même horaires, matériel fourni par l'entreprise.
Dans cet affaire du 29 octobre 1985, l'entreprise de bâtiment fut déclarée responsable de l'accident, malgré cette mise en scène juridique. La Chambre criminelle de la Cour de cassation retient que la seule volonté des intéressés est impuissante à soustraire le travailleur au statut social.
Le droit du travail déjoue donc les éventuelles fraudes en appliquant le principe de rélaité.
B - L'enrayement par le droit du travail d'éventuelles fraudes
Au-delà du contrat formel, le juge constate la réalité quotidienne : "l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de faits dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs" (Cour de cassation, Assemblée plénière, 4 mars 2003).
L'accord exprès du salarié n'est donc pas déterminant puisqu'il s'agit d'une matière placée sous le signe de l'ordre public de protection : il faut travailler pour vivre.
Ainsi de certains franchisés, curieux commerçants, "dont l'unique fournisseur fixait les conditions d'exercice de cette activité et le prix de vente des marchandises" (Ch. Soc., 8 février 2005). Et a fortiori des "vendeurs de librairie ayant démissionné mais effectuant dès le lendemain le même travail comme auto-entreprenueur, la société a cherché à s'exonérer des obligations liées au contrat de travail, et des charges sociales" (Cass. Crim., 10 janvier 2017 - délit de travail dissimulé).
Le travail illégal (au noir) fait l'objet d'une lutte croissante mais ambivalente : certes protéger les salariés non déclarés et ainsi leur associer la rémunération dans une juste mesure de leur salaire ; mais aussi garantir une concurrence loyale aux entreprises respectueuses de leurs obligations fiscales et sociales, tout en luttant contre l'immigration clandestine.
Si tels est le cas de faux artisans, la technique de requalifaication permettra d'écarter l'artifice dissimulant la réalité du lien de travail et de faire bénéficier le travailleur de l'ensemble des garanties liées à l'état de salarié : durée de travail, congés...mais aussi le régime très protecteur de la sécurité sociale.
S'agissant des auto-entrepreneurs, une requalifaication n'est pas impensable dans la mesure où ils continuent de travailler exclusivement pour leur ex-employeur transfiguré en donneur d'ordre comme dans l'affaire d'Uber, car plane toujours le menaçant article L8221-6-II du Code du travail qui dispose qu'un contrat de travail existe lorsque les personnes fournissent des prestations à un donneur d'ordres les plaçant dans un lien de subordination juridique permanente.
Le donneur d'ordre devenu employeur contre son gré devra s'acquitter de l'ensemble des responsabilités correspondantes : charges sociales, responsabilité en cas d'acccident du travail.
Restant à votre disposition.