L'expulsion d'une personne de nationalité étrangère suit une procédure administrative prévue par les articles L. 522-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il s'agit d'une mesure de police applicable aux étrangers, qui a pour effet de les éloigner du territoire national au motif qu'ils troublent l'ordre public ou qu'ils constituent une menace grave à son égard.
L'expulsion est un corollaire de la souveraineté d'un Etat sur son territoire. Quand certaines conditions sont remplies, il est possible d'éloigner une personne, et ce tant que la mesure d'expulsion n'est pas abrogée.
Dans le cadre de cet article, nous nous intéresserons à l'expulsion prévue par l'article L. 521-1 du code, c'est-à-dire l'expulsion pour menace grave à l'ordre public.
Quelques considérations générales peuvent être dégagées (I), avant de nous pencher la notion de menace grave à l'ordre public (II).
I – Considérations générales
Tout d'abord, nous pouvons rappeler, même si cela peut surprendre, que certaines juridictions considèrent que l'expulsion d'un ressortissant étranger, en tant que mesure de police administrative, n'a pas le caractère d'une sanction. Pour les magistrats, elle est exclusivement destinée à assurer l'ordre et la sécurité publics (CE, 20 janv. 1988, Min. int c/ Elfenzi : Lebon, 17). Tel n'est évidemment pas le point de vue de la personne qui fait l'objet de cette mesure.
Le Conseil a toutefois affirmé que l'expulsion constitue une mesure qui restreint l'exercice d'une liberté publique (Cons. Const, 3 sept. 1986, n°86-216 DC).
Nous sommes donc en présence d'une contradiction. Pour certains, l'expulsion n'est pas une sanction. Pour d'autres, il s'agit d'une restriction à une liberté fondamentale – et une telle restriction n'est-elle pas une sanction ?
La sanction, selon Laquièze, est toute mesure, peine, réparation ou récompense, prise dans le but d'assurer le respect d'une obligation juridique. L'éloignement d'un territoire n'a-t-il pas pour but de faire respecter l'ordre public, qui serait alors l'obligation juridique ?
Pour Lorrin (Morale fondamentale), « les sanctions sont les joies et les peines qui récompensent et punissent les actes bons ou mauvais. Elles peuvent être considérées, juridiquement, comme ce qui est dû, en justice, au mérite et au démérite du sujet qui a observé ou violé l’ordre moral objectif ». Selon cette analyse, l'éloignement est dû au démérite du sujet, qui constitue une menace pour l'ordre public. Il s'agirait encore d'une sanction.
Sans pour autant clore ce débat, nous en conclurons qu'il convient d'émettre les plus expresses réserves quant à l'affirmation selon laquelle l'expulsion n'est pas une sanction.
En revanche, nous ne pouvons qu'être d'accord avec le Conseil constitutionnel, sur le fait que la mesure d'expulsion a un objectif différent de la répression pénale (Cons. Const, 9 janv. 1980, n°79-109 DC). L'expulsion ne constitue pas une mesure prononcée à l'égard d'une personne ayant commis une infraction. Mais la réalité peut être plus complexe : le danger pour l'ordre public peut être caractérisé par la commission d'une infraction... (CE, 11 juin 1993, Min. int c/ Bourkia : req. N°121424).
II – La notion de menace grave à l'ordre public
Comme il a été vu, l'expulsion ne peut être ordonnée que s'il existe une menace grave à l'ordre public.
Cette menace, tout d'abord, doit s'apprécier à la date de l'arrêté d'expulsion. Ainsi, le Conseil d'Etat a pu estimer, qu'eu égard au long délai devant s'écouler entre la date de l'arrêté d'expulsion et celle de la libération du requérant, la présence de ce dernier sur le territoire ne pouvait être regardée comme constituant une menace grave pour l'ordre public. (CE, 6 mars 1998, M. M'rah : req. N°173216).
Il faut ensuite noter qu'en principe, les juridictions considèrent qu'il existe une indépendance entre l'existence d'une menace grave et la commission d'une infraction. Ainsi, les infractions commises par un étranger ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une mesure d'expulsion. L'autorité administrative doit caractériser précisément en quoi la présence de l'intéressé constitue une menace pour l'ordre et la sécurité publics. (CE, 24 janv. 1994, M'Barki : Lebon 28).
Toutefois, à de nombreuses reprises, le Conseil d'Etat a confirmé que des infractions pénales pouvaient être prises en compte pour établir cette menace, même si elles avaient donné lieu à des condamnations amnistiées (CE, 27 oct. 1993, M. Stangret : req. N°126320). Le Conseil a également pu juger que l'existence d'une condamnation pénale pour des faits d'une particulière gravité pouvait justifier l'expulsion (CE, 11 juin 1993, Min. int c/ Bourkia : req. N°121424 – meurtre).
Le principe est donc particulièrement faible.
Il est en revanche intéressant de noter que les juridictions estiment que des infractions « bénignes » ne peuvent justifier l'expulsion, à l'instar de l'entrée et du séjour irrégulier (CE, 3 févr. 1975, Min. int. C/ Pardoc : Lebon 83), voire des condamnations pour des faits plus graves, comme de non-représentation d'enfant (CE, 21 mars 1980, Ifrah : Lebon 820).
Enfin, de manière classique, il est à relever que le juge doit se livrer à un contrôle de proportionnalité entre la menace à l'ordre public et l'intensité de la vie familiale en France de l'intéressé, au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH, 10 juill. 2003, Benhebba c/ France : req. N°53444/99 ; 15 juill. 2003, Mokrani c/ France : req. N°52206/99).
Il y aurait également beaucoup à dire sur le contrôle juridictionnel de ces mesures d'expulsion.
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