La Chambre criminelle de la Cour de cassation, statuant en formation plénière, vient de prononcer trois arrêts particulièrement intéressants et surprenants.
I – La garde-à-vue française ne respecte pas les exigences conventionnelles.
Depuis les arrêts Medvedyev contre France, Salduz contre Turquie, Dayanan contre Turquie et Brusco contre France, la doctrine comme les professionnels émettaient les plus grandes réserves quant à la conventionnalité de la garde-à-vue française. En effet, sur la base de l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme de 1950, la Cour de Strasbourg estimait que le gardé-à-vue devait bénéficier de l'assistance effective d'un avocat : dès lors, l'entretien de trente minutes, sans accès au dossier, était insuffisant. En outre, la Cour, comme le Conseil dans sa décision du 30 juillet, insistait sur l'importance de notifier au gardé-à-vue son droit de garder le silence. La notification, en France, n'était plus obligatoire depuis 2003.
La Chambre criminelle livre une série de règles d'interprétation.
Tout d'abord, elle affirme que le régime actuel de la garde-à-vue est contraire à l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, tant de droit commun que spécial. La Chambre criminelle ajoute que les régimes spéciaux de garde-à-vue ne peuvent reposer sur la nature de l'infraction poursuivie. Au contraire, la Cour de cassation estime qu'ils doivent répondre de « raisons impérieuses », reprenant ainsi le raisonnement de la Cour Européenne. La Cour de cassation semble ainsi inciter le législateur à prévoir une réforme des régimes spéciaux, ce que nous ne pouvons qu'approuver. En effet, la Cour Européenne ne distingue pas selon le type d'infraction. Une réforme globale de la garde-à-vue semble donc nécessaire pour satisfaire aux exigences conventionnelles.
Ensuite, la Chambre criminelle estime que la personne gardée à vue doit être informée de son droit de garder le silence. L'existence de ce droit n'est donc pas, au sens de la Cour, suffisante. Il faut en revenir aux dispositions antérieures. Toutefois, quelle sera la nature de la notification ? L'avant-projet actuel prévoit que le gardé-à-vue sera informé de son droit de répondre à des questions, de faire des déclarations ou de garder le silence, ce qui est moins protecteur qu'une simple notification du droit de garder le silence.
Enfin, et il s'agit d'une grande satisfaction personnelle, la Chambre criminelle estime que le gardé-à-vue doit bénéficier de l'assistance d'un avocat dans des conditions lui permettant « d'organiser sa défense et de préparer avec lui ses interrogatoires, auxquels l'avocat doit pouvoir participer ». La Cour de cassation écarte donc d'un revers de la main tout projet de réforme a minima. Elle suit en ce sens les arrêts Dayanan, Salduz et Brusco.
II – La Chambre criminelle livre trois arrêts à la frontière d'arrêts de règlement, avec effet différé, ce dont elle aurait pu s'abstenir sans mettre en péril la garde-à-vue dans son principe.
Les règles d'interprétation sont définies très clairement dans le communiqué de presse. Toutefois, la lecture des arrêts porte à la plus grande confusion.
En premier lieu, quant à la technique. Nous avons vu que les enseignements de la Cour de cassation sont très clairs. La technique est plus alambiquée. En effet, dans un premier arrêt, elle rejette le pourvoi dirigé à l'encontre d'un arrêt d'une Chambre de l'instruction qui avait refusé de faire application de l'article 6 de la Convention Européenne, et dans les deux autres la Cour annule des arrêts de la Chambre de l'instruction ayant appliqué l'article 6. La Chambre criminelle a donc raisonné par contradiction de motifs.
La Chambre criminelle l'explique de la manière suivante : pour elle, l'application immédiates des nouvelles règles porterait atteinte aux principes de sécurité juridique et de bonne administration de la justice. Ces règles d'interprétation ne devront donc prendre effet qu'après l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, soit au plus tard le 1er juillet 2011.
Le report dans le temps peut paraître logique, à première vue. Avec le report, la Chambre criminelle se contenterait en effet de livrer une interprétation, et de se conformer à la position du Conseil constitutionnel, ce qui est respectueux d'une certaine hiérarchie des juridictions, telle que l'entend la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008.
Toutefois, à tête reposée, il n'en est rien. Au contraire. Depuis l'arrêt Jacques Vabre de 1975, il était établi que la Cour de cassation reconnaissait qu'en vertu de l'article 55 de la Constitution, le traité était supérieur à la loi. Par ces décisions, la loi sera considérée comme supérieure à la Convention Européenne des Droits de l'Homme pendant huit mois.
Dès lors, une personne placée en garde-à-vue ne peut rien faire. Elle ne peut invoquer l'inconventionnalité, puisque la Chambre criminelle vient de l'écarter. Par conséquent, il n'y a plus de voies de recours internes efficaces : il est donc possible de saisir directement la Cour Européenne des Droits de l'Homme.
A titre de conclusion, notons qu'il est évident que la Chambre criminelle aurait pu aller plus loin. L'application immédiate des nouvelles règles d'interprétation n'aurait pas eu pour conséquence de permettre aux délinquants d'agir en toute impunité. En effet, l'annulation d'une garde-à-vue n'implique pas une libération automatique. Les éléments à charge ne proviennent pas nécessairement et uniquement de déclarations recueillies en garde-à-vue.
Pour aller plus loin:
Je vous renvoie notamment à:
- Maître Eolas;
- Maïtre Mo;
- La réaction de Madame le Garde des Sceaux;
- La contre-circulaire du Syndicat de la magistrature;
- La circulaire du 4 novembre 2011 de Madame la directrice des affaires criminelles et des grâces.
Publié le 19 octobre, mis à jour le 23 octobre et le 4 novembre 2010.