Depuis deux ans, la garde-à-vue telle que la prévoit notre procédure pénale subit de terribles attaques, en ce qu'elle n'apparaît pas conforme aux principes constitutionnels et aux droits fondamentaux. Le Conseil constitutionnel, par une décision du 30 juillet 2010, la déclare inconstitutionnelle...
On se souvient de l'arrêt de la Cour Européenne des Droits de l'Homme d'octobre 2008, Medvedyev contre France, condamnant la France en ce que la garde-à-vue, réalisée sous le contrôle du Procureur de la République (qui n'est pas une autorité judiciaire au sens de la Convention Européenne des Droits de l'Homme), n'est pas conforme à ladite Convention. On se souvient du Bâtonnier de Paris, Me Christian Charrière-Bournazel, tempêtant contre une procédure contraire aux droits fondamentaux. On se souvient du collectif « Je ne parlerai qu'en présence de mon avocat », qui proposa, dès octobre 2009, un modèle de conclusions pour soutenir la nullité de la garde-à-vue.
On se souvient des critiques quant au respect de la dignité humaine, de la présomption d'innocence, de l'arbitraire, des droits garantis...
Dès lors, il était évident qu'une question prioritaire de constitutionnalité allait être soulevée.
La question prioritaire de constitutionnalité est une nouvelle procédure, prévue à l'article 61-1 de la Constitution. Elle est issue de la réforme constitutionnelle du 23 février 2008, et a été organisée par la loi organique du 10 décembre 2009. En deux mots, toute partie à un procès peut désormais soulever une question de constitutionnalité au cours de l'instance. Après un double filtre, de la juridiction devant laquelle est portée le litige puis de la Cour de Cassation ou du Conseil d'Etat, la question peut être transmise au Conseil constitutionnel.
Ainsi, le Conseil a été saisi le 1er juin 2010 par trente-six requérants. Les questions portaient sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 62, 63, 63-1, 63-4, 77 et 706-73 du Code de procédure pénale, relatifs au régime de garde-à-vue.
Le Conseil évacue la question des régimes spéciaux (stupéfiants, terrorisme...), s'étant déjà prononcé sur la question le 2 mars 2004.
En revanche, elle accepte de se prononcer sur le régime de droit commun. Et c'est sans appel.
Tout d'abord, le Conseil retient que le gardé-à-vue ne bénéficie pas de l'assistance effective d'un avocat. Il est vrai qu'aujourd'hui, l'avocat n'a droit qu'à une visite de courtoisie de 30 minutes, et ne peut consulter le dossier.
Il reconnaît également le droit au silence comme droit de la défense, et déplore que le juge d'instruction soit écarté...
Ensuite, il estime que, compte tenu des « évolutions survenues depuis vingt ans », la garde-à-vue actuellement prévue ne garantit pas l'équilibre des libertés constitutionnellement garanties et la prévention des infractions.
En somme, la garde-à-vue n'apporte pas les garanties nécessaires à l'effectivité des droits de la défense. Le Conseil déclare donc les articles 62, 63, 63-1, 63-4, alinéas 1er à 6, et 77 du Code de procédure pénale contraires à la Constitution.
J'ajoute, en conclusion, que cette décision est rendue au visa des articles 9 et 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. Je ne peux m'empêcher de reproduire ces articles, et de savourer la lecture qu'en a fait le Conseil:
Article 9 - Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.
Article 16 - Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.
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(article du 30 juillet 2010 republié)