Sacha Raoult, docteur en droit, dans la Gazette du Palsi (31 juill-2 août, n°212 à 214, p. 15 et s.) met l'accent sur un arrêt du 18 mai rendu par la Première Chambre civile.
Dans cette affaire, un étranger était en rétention. Le requérant faisait grief au juge des libertés et de la détention d'être plus un juge de la détention que des libertés. En effet, sur le fondement d'une étude statistique de ses décisions, il était établi que ledit juge favorisait dans "une proportion suspecte", selon le mot du S. Raoult, le maintien en détention.
La Cour de cassation, saisie d'un pourvoi, estime que l'étude statistique n'est pas de nature à remettre en cause l'impartialité du juge.
Ainsi, les tendances profondes d'un juge peuvent ne pas remettre en cause son impartialité, impartialité qui, rappelons-le, peut être définie comme le fait d'être juste, neutre, équitable, objectif, et est protégée par l'article 6 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme.
La formule de la Cour est claire: "même à le supposer établi, le fait que la position du juge sur une question de droit qui lui est soumise soit prévisible n'est pas de nature à remettre en cause son impartialité".
Mais elle est ambiguë: si la position du juge est connue, peut-on dire que le juge examinera l'affaire avec un regard neutre et objectif? Cette question relève plus de la philosophie que du droit.
Il est bien sûr souhaitable que le droit laisse au juge une marge d'appréciation. C'est ce qui le rend vivant. La Cour Européenne des Droits de l'Homme a d'ailleurs reconnu au magistrat une part de partialité subjective (28 nov. 2002, Lavents c/ Lettonie). Mais, pour reprendre le vocabulaire de la Cour, tout est question de proportionnalité.
En outre, la Première Chambre civile, par cette formule, évite la question de la preuve statistique. Les statistiques sont trompeuses. Il faut les appréhender avec beaucoup de précaution. Le magistrat mis en cause n'a pas nécessairement pour objectif premier de remplir les centres de rétention. Peut-être a-t-il simplement eu plus de dossiers que ses collègues nécessitant le maintien en détention. Ou peut-être considère-t-il que le maintien en détention est conforme à l'ordre public. Le doute profite au magistrat.
Enfin, il ne semble pas que la question du maintien en détention ait été soulevée: il y a donc à parier que la décision était parfaitement motivée.
Dès lors, si le magistrat se contente d'appliquer le droit et motive correctement ses décisions, en effet, on ne peut lui en faire grief. Même s'il est forcené de la détention.
La Cour de cassation, qui exerce un contrôle du droit, ne pouvait qu'aboutir à cette solution.