A l'heure où un journaliste, Thierry Vincent, se dit outré d'avoir subi des violences de la part d'un CRS lors des manifestations du 12 octobre, il m'a semblé judicieux de poser le débat, de prendre du recul, et de porter un regard juridique sur tout cela.
Tout d'abord, la vidéo :
Nous avons donc un journaliste dont les policiers ont accepté la présence, qui brandit sa carte de presse. Ce journaliste se situe à une latitude et à une longitude incompatible avec la marche vaillante et vigoureuse des Compagnies Républicaines de Sécurité. Comme le dirait Mathias Malzieu, la mécanique du bras d'un CRS entraîne le déplacement d'une matraque qui entre en contact avec ledit journaliste. Le journaliste se plaint de ce que sa qualité de journaliste a été bafouée. Et le diffuseur de la vidéo d'arguer « demain, à qui le tour? ».
Juridiquement !
La question qui se pose à nous est de savoir dans quelle mesure le fait d'être journaliste, c'est-à-dire d'exercer une mission d'information mettant en oeuvre la liberté d'expression, est-il incompatible avec des violences policières.
Commençons par définir. La liberté d'expression est une faculté d'autodétermination. Elle est consacrée par l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, l'article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, et l'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.
Toutefois, elle n'est pas absolue. La Cour Européenne des Droits de l'Homme, notamment dans une affaire Roy et Malaurie contre France du 3 octobre 2000, affirme qu'une restriction est possible, si elle est prévue par la loi, nécessaire dans une société démocratique, et proportionnée par rapport au but à accomplir.
Cependant, dans cette affaire, sommes-nous véritablement face à un problème de liberté d'expression ?
Il y a lieu de constater que le simple fait d'être sur les lieux d'une manifestation et de filmer n'est pas considéré au sens strict comme une manifestation de la liberté d'expression. Filmer n'est pas s'exprimer, alors que diffuser est s'exprimer. Il s'agit, à tout le mieux, d'un moyen permettant de s'exprimer, puisque les images seront destinées à diffusion. Par conséquent, le journaliste ne bénéficie d'aucune protection physique particulière. Dès lors, brailler « je suis journaliste » n'octroie aucune immunité sur le terrain. Cela explique pourquoi les journalistes grands reporters, réalisant leur travail en situation de guerre, sont formés par les militaires pour ne pas mettre leur propre sécurité en péril, et pour ne pas gêner l'opération militaire en elle-même. Le journaliste, peu importe la grandeur de sa mission, doit se comporter en professionnel, et ne pas demander à un policier face à une situation de crise d'être « poli ». Ce n'est absolument pas pertinent.
Par conséquent, la liberté d'expression, excipée par notre cher Thierry Vincent, n'octroie aucune prérogative particulière sur le terrain. Elle ne permet pas de refuser d'obtempérer à l'ordre d'un policier. La liberté d'expression justifie que le journaliste puisse se rapprocher des policiers, mais elle ne permet pas au journaliste de gêner leur mission.
Aussi, le fait que l'on lie journalisme et violences policières dérange profondément. La problématique de l'affaire n'est pas du domaine de la liberté d'expression, mais de la dignité humaine.
Thierry Vincent a été frappé. Or, il n'apparaissait dangereux ni pour autrui ni pour lui-même. Il a subi des actes de violences qui n'étaient absolument pas nécessaires. Ces actes ont, en outre, été commis par une personne dépositaire de l'autorité publique. Les conditions de l'infraction prévue et réprimée par l'article 222-13, 7° du Code pénal sont donc réunies :
Les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant entraîné aucune incapacité de travail sont punies de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende lorsqu'elles sont commises :
7° Par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission ;
Au surplus, aucune légitime défense ne pourrait être avancée.
Je ne peux que soutenir Thierry Vincent dans une éventuelle plainte pour violences commises par une personne dépositaire de l'autorité publique.