Suite aux propos de M. Jean-Paul Guerlain au journal télévisé de France 2, le vendredi 15 octobre courant, la diffamation, la discrimination et la question du racisme envers les personnes de couleur noire est d'actualité. A l'occasion de ce journal télévisé, M. Guerlain avait « dérapé », selon ses propres termes, et avait exprimé des doutes sur la faculté de travail des « nègres ». Comment peut-on qualifier ces propos ?
Mme Elise Lucet, présentatrice du journal, avait présenté ses excuses sur le site internet de France 2, et les avait réitérées lors du journal du lundi suivant. Elle regrettait notamment ne pas avoir réagi immédiatement. Le Comité supérieur de l'audiovisuel, dans sa décision du 19 octobre, a sanctionné ces propos, invoquant une « non-maîtrise de l'antenne ». Plusieurs associations ont décidé de porter plainte. Enfin, un rassemblement a été organisé devant la boutique Guerlain des Champs-Elysées.
La liberté d'expression est consacrée, en droit interne, par l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789. Elle l'est également par l'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme du 4 novembre 1950. Elle est le corollaire de la liberté de pensée. En principe, chacun peut donc dire ce qu'il pense.
Toutefois, ces libertés ne sont pas absolues. La seconde phrase de l'article 11 de la Déclaration de 1789, comme l'alinéa 2 de l'article 10 de la Convention, prévoient des restrictions. Ces restrictions s'expliquent par le souci de réprimer les abus de cette liberté.
Plusieurs restrictions sont posées par le Code pénal et la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté d'expression.
Ainsi, l'article 225-1 du Code pénal définit la discrimination comme toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs moeurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. En l'espèce, les propos de M. Guerlain semblent établir une distinction entre les personnes physiques et les personnes de « race » noire, selon les termes de l'article 225-1.
Cette discrimination est passible, d'après l'article 225-2, d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 45.000€ d'amende, lorsqu'elle est matérialisée par un refus précis. Tel ne semble pas être le cas en l'espèce. En somme, même si les paroles de M. Guerlain sont discriminatoires, un fait matériel fait défaut.
Peut-on rechercher la responsabilité pénale sous une autre qualification?
L'article 32 al. 2 de la loi du 29 juillet 1881 incrimine la diffamation publique commise envers une personne ou un groupe de personnes à raisons de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion, d'un an d'emprisonnement et d'une amende de 45.000€. Il faut donc caractériser une déclaration publique, une imputation diffamatoire, et une « cible » discriminatoire.
Par exemple, dans un arrêt du 8 octobre 1991, la Chambre criminelle a considéré que l'imputation d'exploiter la légende de l'Holocauste, faite aux juifs américains, vise un groupe de personne à raison de leur appartenance à une religion déterminée, et entre dans les prévisions de l'article 32, al. 2.
En l'espèce, M. Guerlain a bien réalisé un discours public. La première condition est donc remplie. De plus, il a directement visé les personnes de couleur noire, à qui il a imputé une propension au travail très médiocre. Ces propos sont de nature à porter atteinte à l'honneur et à la considération d'un groupe de personne, en raison de leur « race », ce qui caractérise la nature diffamatoire.
Je n'irai pas plus loin, au risque de porter atteinte à la présomption d'innocence dont doit bénéficier M. Guerlain, et laisse à chacun en tirer les conclusions qu'il souhaite.