Mardi 13 décembre 2011. Aujourd'hui, je ne me rends pas au cabinet du Procureur général de la Cour de cassation. Une des magistrates nous a proposé, à ma collègue et moi, de passer une matinée à la permanence des délits et des crimes commis par des majeurs, au tribunal de grande instance de Paris, autrement dit à la section P12 du parquet du tribunal – escalier Y, pour ceux qui, comme moi, se repèrent dans le Palais avec les lettres des escaliers.
9 heures 15. Je suis en avance – ma collègue ne l'est pas. Ce matin, on commence à sentir que l'hiver a touché Paris. Le ciel est gris et couvert comme une porte de prison, il tombe un crachin désagréable. Le boulevard du Palais est encombré. Les avocats et justiciables montent les marches du Palais a vive allure, pressés de se mettre à l'abri dans un Palais lui-même traversé par les courants d'air.
9 heures 30. Nous arrivons devant le gendarme qui garde l'entrée du P12. Il s'agit en effet d'une zone dont l'accès est restreint. Notre statut d'élève-avocat ne nous permet pas d'y entrer en principe : seuls les magistrats, les avocats et les personnes convoquées peuvent y accéder. Un grand hall, des bancs en bois, avec à gauche les services du parquet. La lumière, comme trop souvent dans les Palais de justice de France, ne rend pas les lieux spécialement chaleureux.
Nous voici pour la première partie de la matinée à la permanence téléphonique. Cette permanence, c'est le lien entre policiers et magistrats. Les officiers de police judiciaire doivent en effet informer le parquet du placement en garde-à-vue d'une personne suspectée d'avoir commis une infraction. Plusieurs centaines d'appels par jour. Le scénario est à peu près toujours le même : un policier relate le contexte de l'interpellation et l'infraction envisagée. Il indique au magistrat l'heure de placement en garde-à-vue, l'heure de la notification des droits, l'heure de l'avis à parquet. Ensuite, le magistrat peut orienter la procédure. Par exemple, il peut suggérer l'audition d'une personne.
Mais aucune question particulière sur l'avocat. Si l'avocat est désormais plus présent qu'avant en garde-à-vue, cela ne transparaît pas.
Ce matin, la plupart des affaires ont trait au port d'arme, aux violences et à la législation sur les étrangers. Souvent, ces trois composantes se mélangent.
Un substitut du procureur vient nous chercher pour assister aux défèrements, sur reconnaissance préalable de culpabilité. Nous l'accompagnons jusqu'à une petite salle dont la configuration est assez proche d'une salle d'interrogatoire. D'un côté, l'avocat et son client – à noter que la chaise réservée au client n'avait pas de dossier... De l'autre, le procureur, et nous derrière lui.
Le défèrement, c'est la présentation du prévenu à un magistrat. Ce terme de présentation est bien choisi, puisque c'est la première fois que l'un et l'autre se rencontrent. La reconnaissance préalable de culpabilité, procédure issue de la loi du 9 mars 2004, s'applique aux délits punis à titre principal d'une peine d'amende ou d'une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à cinq ans. Si le prévenu reconnaît les faits, que l'affaire est simple et en état d'être jugée, le procureur de la République peut recourir à cette procédure simplifiée : il propose alors une peine au prévenu.
On remarque immédiatement l'avocat habitué au P12. Il sait qu'il est plus facile de négocier la nature de la peine que le quantum. Autrement dit, si le procureur propose deux mois d'emprisonnement avec sursis, plutôt que de suggérer de réduire à un mois de sursis, l'avocat proposera une peine de jour-amende ou un travail d'intérêt général.
On constate également qu'au P12 défilent tous types de prévenus. Il peut s'agir un homme de soixante ans, reconnaissant avoir conduit en état d'ivresse, et faisant part de problèmes d'alcools et de dépression. Il peut s'agir du trader qui a trop fait la fête. Il peut s'agir du jeune maghrébin qui a pris le volant éméché et explique avoir fui des gens qui le poursuivaient. Tous les profils et toutes les excuses se retrouvent.
Si le prévenu et le procureur parviennent à un accord, ils signeront une sorte de transaction. Le prévenu devra ensuite comparaître à une audience dite d'homologation, qui a lieu en principe le jour même, dans une salle spéciale du tribunal correctionnel. Son président est haut en couleurs, à la fois désintéressé, théâtral et impatient. Il ne met pas toujours le rabat de sa robe dans le bon sens. Il homologue la plupart des peines proposées par le procureur, et devant lui ne se tient aucun véritable débat. Le prévenu repart directement avec son jugement. La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité est vraiment une procédure très particulière.