Cela fait un petit moment que la décision du Conseil constitutionnel relative à la motivation des arrêts d'assises, rendue sur question prioritaire de constitutionnalité le 1er avril 2011, trône sur mon bureau.
Les Sages devaient évaluer la conformité à la Constitution des articles 349, 350 et 357 du Code de procédure pénale.
L'article 349 prévoit que:
Chaque question principale est posée ainsi qu'il suit : "L'accusé est-il coupable d'avoir commis tel fait ?"
Une question est posée sur chaque fait spécifié dans le dispositif de la décision de mise en accusation.
Chaque circonstance aggravante fait l'objet d'une question distincte.
Il en est de même, lorsqu'elle est invoquée, de chaque cause légale d'exemption ou de diminution de la peine.
L'article 350 prévoit quant à lui que:
S'il résulte des débats une ou plusieurs circonstances aggravantes, non mentionnées dans l'arrêt de renvoi, le président pose une ou plusieurs questions spéciales.
Enfin, l'article 357 dispose:
Chacun des magistrats et des jurés reçoit, à cet effet, un bulletin ouvert, marqué du timbre de la cour d'assises et portant ces mots : "sur mon honneur et en ma conscience, ma déclaration est ...".
Il écrit à la suite ou fait écrire secrètement le mot "oui" ou le mot "non" sur une table disposée de manière que personne ne puisse voir le vote inscrit sur le bulletin. Il remet le bulletin écrit et fermé au président, qui le dépose dans une urne destinée à cet usage.
En somme, au terme des débats, la Cour répond à des questions simples par oui, par non, ou en déposant un bulletin blanc qui compte pour non, en vertu de l'adage "le doute profite à l'accusé" (ou in dubio pro reo, pour les latinistes).
Si les questions sont ambigües, l'arrêt peut être attaqué pour vice de complexité.
Au-delà de cette procédure qui, en elle-même, ne pose pas de difficulté, se profile la question de l'absence de motivation des arrêts d'assises.
En effet, la personne condamnée ne dispose que d'une feuille de questions, et d'un arrêt de condamnation rendu sur l'intime conviction des magistrats et jurés.
Saisi de cette question, le Conseil constitutionnel affirme que
"L'obligation de motiver les jugements et arrêts de condamnation constitue une garantie légale du principe constitutionnel selon lequel la procédure pénale doit garantir contre toute forme d'arbitraire dans le jugement des affaires pénales."
A la lecture de cette phrase, nous pourrions avoir l'impression que l'absence de motivation est donc proscrite.
Le Conseil poursuit:
"Si la Constitution ne confère pas à cette obligation de motivation un caractère général et absolu, l'absence de motivation en la forme ne peut trouver de justification qu'à la condition que soient instituées par la loi des garanties propres à exclure l'arbitraire".
L'obligation n'est pas absolue. Soit. Mais peut-être va-t-on censurer les dispositions? L'intime conviction n'a pas à être expliquée ; elle porterait donc en elle une source d'arbitraire.
Le Conseil ne le voit pas ainsi. Pour lui, l'intime conviction est basée "sur les seuls éléments de preuve et les arguments contradictoirement débattus".
La perception de la Cour des éléments de preuve et des arguments débattus suffirait, la formulation simple des questions, les modalités de délibération suffiraient donc à exclure l'arbitraire.
Admettons. Juridiquement, la loi ne peut prévoir des dispositions admettant l'arbitraire.
Deux questions persistent toutefois.
La première est d'ordre logique. La Cour d'assises juge les crimes, c'est-à-dire les infractions les plus graves. Les jugements des Tribunaux de police et correctionnels sont motivés, alors qu'ils traitent d'infractions moins graves. Selon le Conseil, si la loi le prévoit, il serait donc de bonne logique judiciaire que les décisions de justice portant sur les faits les plus graves soient moins motivées que celles portant sur les faits les moins graves.
La seconde est relative aux droits de la défense. La personne condamnée par un Tribunal correctionnel dispose des arguments du Tribunal pour étudier un éventuel recours. Elle n'en dispose pas si elle a été condamnée par une Cour d'assises. Les droits de la défense, dans ces conditions, sont-ils effectifs?
Il est possible, en conclusion, d'effectuer un parallèle. Avant la loi du 15 juin 2000, il n'était pas possible de faire appel d'un arrêt d'assises. Robert Badinter dénonçait alors le même manque de logique: il était possible de faire appel d'une condamnation pour des faits moins graves, mais pas pour les faits les plus graves. Aujourd'hui, il est possible de connaître les raisons de la condamnation pour des faits moins graves, mais pas pour les faits les plus graves.