Cass. Com., 10 janv. 2024, n° 22-20.466, Publié au bulletin
GÉNÉRALITÉS SUR LE SCHÉMA CONTRACTUEL DU LEASING DE MATÉRIEL
Le leasing est une opération contractuelle tripartite impliquant un fournisseur, un locataire et une société de location, en vue de la location d’un matériel.
Généralement, les rôles des parties se présentent de la manière suivante :
- La société de leasing doit acheter au fournisseur, le matériel dont le locataire a besoin,
- Le fournisseur doit livrer le matériel et en assurer la maintenance pendant toute la durée de la location,
- Le locataire doit verser le loyer convenu à la société de leasing, généralement sur une durée de 5 ans.
S’il y a incontestablement des opérations de leasing qui se passent très bien, il y en a d’autres qui se passent très mal pour le locataire qui se retrouve enfermé dans un véritable piège contractuel.
En particulier, si le fournisseur dépose le bilan (fait faillite), le locataire peut se retrouver avec un matériel défectueux, mal entretenu et impropre à servir à l’usage auquel il est destiné.
Le locataire peut également se retrouver à devoir supporter seul le poids des loyers du contrat de location alors même que le fournisseur défaillant s’était engagé à lui verser une somme d’argent à intervalles réguliers afin réduire le coût de la location.
Dans les arnaques à la location de matériel, il arrive que le fournisseur fasse de telles promesses, avant de disparaître et de laisser seul le locataire avec la société de leasing.
Dans une telle hypothèse, le locataire souhaite naturellement cesser de payer les loyers pour du matériel qui ne lui sert à rien ou qui est devenu trop coûteux.
Il va lors prendre contact avec la société de leasing qui lui dira qu’il n’a d’autre choix que de continuer à payer les loyers, qu’elle est intervenue « à titre purement financier » etc.
L’argument principal de la société de leasing sera de dire qu’elle n’était pas au courant de l’opération d’ensemble et que dans ce cas, l’article 1186 du code civil empêche de prononcer la caducité de son contrat de location.
C’est une véritable supercherie en droit, un numéro de prestidigitation juridique.
En effet et contrairement à ce que soutiennent certaines sociétés de leasing, si le fournisseur fait défaut, il est tout à fait possible d’obtenir la caducité du contrat de leasing et d’éviter ainsi de continuer à payer inutilement des loyers pour du matériel qui ne sert absolument à rien.
LES FAITS DE L’ESPÈCE
Dans l’affaire commentée, une Association avait conclu une opération de leasing avec la société LEASECOM (société de leasing) et la société SMRJ exerçant sous l’enseigne ALLBUROTIC (fournisseur du matériel), pour la location et la maintenance d’un photocopieur.
Un contrat a été signé entre l’Association et la société LEASECOM pour la location du photocopieur et d’accessoires, avec une durée d’engagement de 21 trimestres (5 ans) et des loyers trimestriels de 7.336 euros H.T., soit un coût total de 184.867,20€, ce qui semble exorbitant.
Un contrat de maintenance du même photocopieur a été signé le même jour entre le fournisseur SMRJ et l’Association.
Le fournisseur du matériel a fait défaut dans la mesure où il a été placé en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire.
Suite à des dysfonctionnements du matériel, l’ASSOCIATION a notifié au liquidateur judiciaire la résiliation du contrat de maintenance. Elle a également déclaré une créance de 67 956,72 euros, ce qui correspond probablement à des engagements du fournisseur à verser une somme d’argent pour atténuer le coût de la location.
Le liquidateur a répondu à l’Association pour lui indiquer que le contrat de maintenance ne pouvait se poursuivre.
L’Association a cessé de régler les loyers à la société LEASECOM.
La société LEASECOM l’a assignée en justice pour demander sa condamnation au paiement d’une indemnité de résiliation de 105.638, 40 €.
L’Association s’est prévalue de la résiliation du contrat de maintenance pour demander la caducité du contrat de location de la société LEASECOM et le rejet de ses demandes en paiement.
La société LEASECOM s’est opposée à la caducité de son contrat de leasing en invoquant des arguments tirés des alinéas 2 et 3 de l’article 1186 du code civil issu de la réforme du droit des obligations de 2016.
Pour rappel, selon l’article 1186 du code civil :
« Un contrat valablement formé devient caduc si l'un de ses éléments essentiels disparaît.
Lorsque l'exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d'une même opération et que l'un d'eux disparaît, sont caducs les contrats dont l'exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l'exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie.
La caducité n'intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'il a donné son consentement. ».
La société LEASECOM s’est prévalue des 2 derniers alinéas de ce texte pour soutenir deux arguments.
En premier lieu, la société LEASECOM a soutenu que la caducité de son contrat de leasing ne pouvait être prononcée car l’Association ne démontrait pas qu’il lui était impossible de faire assurer la maintenance de l’appareil par une société différente du fournisseur du matériel (alinéa 2 de l’article 1186 du code civil).
En second lieu, la société LEASECOM a plaidé l’ignorance en soutenant qu’elle ne connaissait pas l’existence de l’opération d’ensemble (alinéa 3 de l’article 1186 civil du code civil).
La cour d’appel de Paris a donné raison à la société LEASECOM sur ces deux points et condamné l’Association à payer à LEASECOM la somme de 105.638, 40 euros, après avoir infirmé le jugement de première instance.
Saisie de cette affaire, la Cour de cassation, plus haute juridiction de l’ordre judiciaire, a cassé la décision de la Cour d’appel de Paris en commençant par rappeler sa jurisprudence habituelle sur l’interdépendance des contrats concomitants ou successifs incluant une location financière.
LA CONSOLIDATION DE LA JURISPRUDENCE HABITUELLE SUR L’INTERDÉPENDANCE DES CONTRATS INCLUANT UNE LOCATION FINANCIÈRE
Dans notre cabinet d’avocats, nous pratiquons quotidiennement le contentieux du leasing de matériel.
Il arrive souvent que les mêmes arguments tirés de l’article 1186 du code civil nous soient opposés par les sociétés de leasing pour tenter d’empêcher l’anéantissement de leurs contrats (LEASECOM, NBB LEASE, BNP PARIBAS LEASE GROUP, CM-CIC LEASING SOLUTIONS, FRANFINANCE LOCATION, XEROX FINANCIAL, NANCEO, SIEMENS LEASE etc.).
Dès décembre 2021, nous avons publié un article sur notre blog et sur notre site internet pour dire que les arguments invoqués par les sociétés de leasing et tirés de l’article 1186 du code civil, ne peuvent prospérer en droit et relèvent d’une profonde méconnaissance de la jurisprudence de la Cour de cassation.
Il faut savoir que ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation se prononce sur la caducité de contrats de location financière.
En effet, au visa de l’ancien article 1134 du code civil, la Cour de cassation a jugé à de multiples reprises que les contrats concomitants ou successifs incluant une location financière étaient par nature interdépendants.
Elle a ajouté qu’aucune clause contractuelle ne peut s’opposer à cette interdépendance et que l’anéantissement de l’un quelconque des contrats interdépendants entraîne par voie de conséquence, la caducité de tous les autres contrats. Com., 12 juil. 2017 n° 15-27.703 Publié au bulletin ; Com., 11 sept. 2019 n° 18-11.401 Publié au bulletin ; Cass. Ch. mixte, 17 mai 2013 n° 11-22.927 P+B+R+I ; Civ. 2e, 2 juillet 2020 n° 17-12.611 F-P+B+I.
Alors les sociétés de leasing ont trouvé dans l’adoption du nouvel article 1186 du code civil, un refuge derrière lequel elles pouvaient s’abriter, pour empêcher l’anéantissement de leurs contrats de location.
Elles disaient en résumé que le nouvel article 1186 du code civil avait mis fin à la jurisprudence de la cour de cassation sur l’interdépendance des contrats incluant une location financière.
Plusieurs cours d’appel ont rejeté ces arguments.
Dans l’arrêt du 10 janvier 2024, la Cour de cassation rappelle expressément que sa jurisprudence habituelle sur l’interdépendance des contrats incluant une location financière, est toujours applicable : « Les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière étant interdépendants, […].
Dans les contrats formant une opération incluant une location financière, sont réputées non écrites les clauses inconciliables avec cette interdépendance. ».
C’est en cela que l’arrêt du 10 janvier 2024 est une grande première.
C’est sur la base de ce principe d’interdépendance entre les contrats incluant une location financière que la Cour de cassation a rejeté techniquement et brillamment, l’ensemble des arguments de la société LEASECOM.
LE CARACTÈRE ALTERNATIF DES CONDITIONS DE L’ALINÉA 2 DE L’ARTICLE 1186 DU CODE CIVIL
Souvenez-vous que le premier argument de la société LEASECOM consistait à dire qu’en cas de défaillance du fournisseur du matériel et de rupture du contrat de maintenance, la caducité du contrat de location ne peut être invoquée que si le locataire démontre qu’il lui est impossible de faire assurer la maintenance par un tiers.
Les sociétés de leasing qui utilisent ce type d’arguments ont une stratégie bien rodée que nous avons observée dans de très nombreux dossiers impliquant des fournisseurs qui ont fait faillite.
Dès que le fournisseur du matériel fait faillite, la société de leasing se dépêche d’adresser un courrier recommandé au locataire, pour l’informer de cette faillite et pour lui demander de se rapprocher de telle autre société qui pourra continuer à assurer la maintenance.
Ce courrier a pour seul et unique but de permettre ultérieurement à la société de leasing de dire devant la justice que la poursuite de la maintenance n’était pas impossible et que par conséquent, son contrat n’est pas caduc.
Ce type de stratégie ne sert absolument à rien car comme l’a jugé la Cour de cassation, l’anéantissement du contrat de maintenance entraîne automatiquement la caducité du contrat de location sans qu’il soit nécessaire pour le locataire d’avoir à prouver qu’il lui est impossible de faire assurer la maintenance par une autre société.
En effet, dans l’arrêt du 10 janvier 2024, la Cour de cassation rappelle qu’il ressort de l’alinéa 2 du code civil que lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs :
- les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition,
- ainsi que les contrats pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie.
Les deux conditions posées par ce texte sont des conditions purement alternatives. Il faut simplement en remplir une, n’importe laquelle, pour pouvoir invoquer la caducité, si la condition posée par l’alinéa 3 est remplie.
La Cour de cassation rappelle ensuite sa jurisprudence habituelle selon laquelle les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants et que les stipulations contractuelles qui s’y opposent sont réputées non écrites.
Elle ajoute qu’il résulte de cette interdépendance que « l’exécution de chacun de ces contrats est une condition déterminante du consentement des parties, de sorte que, lorsque l’un d’eux disparaît, les autres contrats sont caducs » si la dernière condition tenant à la connaissance de l’existence de l’opération d’ensemble est remplie.
Ainsi, la plus Haute juridiction confirme que l’aléa 2 de l’article 1186 du code civil est subdivisée en deux conditions alternatives totalement autonomes :
- soit la disparition de l’un des contrats rend impossible l’exécution des autres contrats,
- soit l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie à s’engager dans l’opération contractuelle.
Cette décision est logique et elle était prévisible.
Pour cause, dans les contrats interdépendants incluant une location financière, l’exécution du contrat de maintenance par le fournisseur est toujours une condition déterminante de l’engagement du locataire.
En effet, le locataire s’engage avec le leaseur parce que le fournisseur s’engage à assurer le bon état de fonctionnement du matériel pendant la durée du leasing.
Par conséquent, la Cour d’appel ne pouvait en aucun cas juger que le locataire de LEASECOM devait prouver l’impossibilité d’exécuter les autres contrats consécutivement à l’impossibilité de faire assurer la maintenance par un tiers.
La Cour d’appel a commencé à se tromper dès qu’elle a pris en compte les clauses du contrat de LEASECOM qui s’opposent à l’interdépendance des contrats car aucune clause ne peut être invoquée pour faire obstacle l’interdépendance des contrats incluant une location financière.
C’est le principe de bonne foi dans les relations contractuelles posé par l’ancien article 1134 et le nouvel article 1104 du code civil, qui justifie l’interdépendance des contrats incluant une location financière.
Tant qu’il y aura dans le code civil, l’obligation pour les parties de former et d’exécuter de bonne foi les contrats, les contrats incluant une location financière seront toujours interdépendants nonobstant toute stipulation contraire.
LA PRÉSOMPTION DE CONNAISSANCE DE L’OPÉRATION D’ENSEMBLE EN CAS D’INTERDÉPENDANCE (ALINÉA 3 DE L’ARTICLE 1186)
Une fois que l’une ou l’autre des deux conditions alternatives de l’alinéa 2 de l’article 1186 du code civil est remplie, il faut y ajouter la troisième condition posée par l’alinéa 3 du même article, pour pouvoir se prévaloir de la caducité du contrat de leasing.
C’est la raison pour laquelle le second argument de la société LEASECOM consistait à dire qu’il n’est pas prouvé qu’elle connaissait l’opération d’ensemble lorsqu’elle s’est engagée.
Ce type d’argument nous a toujours étonné.
Comment la société de leasing peut-elle ignorait l’existence de l’opération d’ensemble alors que les contrats ont été signés le même jour et porte sur le même matériel ?
C’est aussi crédible qu’un individu qui tente de raconter le rêve de son voisin.
D’ailleurs, avec beaucoup d’humour, la Cour d’appel de Paris a récemment rappelé à la société NBB LEASE qu’elle ne peut sérieusement dire qu’elle ignorait le contrat de maintenance et donc l’existence de l’opération d’ensemble CA Paris, pole 5 ch. 11, 27 oct. 2023, n° 21-18474.
Pour rappel, le troisième alinéa de l’article 1186 du code civil dispose : « La caducité n'intervient toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble lorsqu'il a donné son consentement. ».
Dans le cas d’espèce, la Cour d’appel a refusé de prononcer la caducité du contrat de leasing en mettant sur le locataire, la charge de prouver que la société LEASECOM connaissait l’opération d’ensemble au moment où elle s’est engagée.
La Cour de cassation a censuré l’arrêt de la cour d’appel en rappelant que dans le cadre de contrats interdépendants, les parties connaissent nécessairement l’opération d’ensemble au moment où elles se sont engagées : « En statuant ainsi, alors que le contrat étant inclus dans une opération comportant une location financière, la société LEASECOM avait NÉCESSAIREMENT connaissance de l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’elle avait donné son consentement, la cour d’appel a violé le texte susvisé. ».
Le raisonnement à la fois simple et percutant se déroule en deux étapes :
- Dès lors que les contrats incluent une location financière, ils sont tous automatiquement interdépendants,
- S’ils sont interdépendants, les parties sont présumées connaître l’existence de l’opération d’ensemble au moment où elles s’y sont engagées.
Par conséquent, le locataire n’a pas à prouver autrement, la connaissance de l’opération d’ensemble par le leaseur qui plaide souvent l’ignorance.
La première chose que le locataire doit prouver est qu’il s’est engagé dans une opération contractuelle incluant un contrat de location financière.
Dans ce cas, l’interdépendance entre les contrats est automatique.
La seconde chose que le locataire devra prouver est l’anéantissement de l’un quelconque des contrats composant l’ensemble contractuel (résolution, résiliation, nullité, rétractation etc.).
C’est la raison pour laquelle il ne faut jamais oublier de mettre en cause le fournisseur ou le liquidateur le cas échéant. C’est extrêmement important.
Ensuite tous les autres contrats y compris le contrat de leasing, s’effondrent comme un château de cartes.
Autrement dit, il suffit de s’attaquer efficacement au contrat le plus faible juridiquement, pour faire tomber tous les autres contrats quel que soit le « blindage juridique » dont ils font l’objet.
Nous vous avons toujours dit que le schéma contractuel des opérations de leasing était extrêmement fragile et que les arguments invoqués par les sociétés de leasing pour échapper à l’anéantissement de leurs contrats n’avaient aucune assise en droit.
Si un tribunal vous dit le contraire, vous devez immédiatement contester sa décision en exerçant les voies de recours prévues à cet effet.
Le contentieux contractuel est un magnifique contentieux.
Si vous êtes avocat et que vous souhaitez le pratiquer à nos côtés pour défendre les victimes de contrats abusifs, vous pouvez nous envoyer votre CV et votre lettre de motivation.
Si vous êtes locataire et que vous entendez contester un contrat de leasing qui ne vous convient pas, vous pouvez nous contacter.
De même, si une société de leasing vous attaque en justice ou menace de le faire, n’hésitez pas à nous solliciter.
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