Une nouvelle jurisprudence et un nouveau texte permettent d’anéantir un contrat d’exploitation de site internet en invoquant le déséquilibre significatif entre les obligations des parties.
L’ancien article L.442-6 du Commerce, dans sa version antérieure à l'Ordonnance du 24 avril 2019 disposait : « I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : [...]
2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; ».
S'agissant du contentieux de la création de sites internet, la notion de « partenaire commercial » au sens de ce texte, a fait l'objet d'un débat juridique intéressant.
La question qui se posait était celle de savoir si la notion de partenariat commercial pouvait être invoquée dans le cadre des relations tripartites entre une agence web, le client à qui elle a concédé une licence d’exploitation de site internet et la société de location financière qui a financé l'opération.
L’enjeu de cette qualification est de faire sanctionner le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties à un contrat portant sur l’exploitation d’un site internet.
Dans une décision rendue le 27 septembre 2017, la Cour d'appel de Paris a estimé que : « Un partenaire se définit comme le professionnel avec lequel une entreprise commerciale entretient des relations commerciales pour conduire une activité quelconque, ce qui suppose une volonté commune et réciproque d'effectuer de concert des actes ensemble dans des activités de production, de distribution ou de services, par opposition à la notion plus large d'agent économique ou plus étroite de cocontractant.
Il ressort de ce qui précède que deux entités deviennent partenaires, soit par la signature d'un contrat de partenariat, soit parce que leur comportement traduit la volonté de développer des relations stables et établies dans le respect des règles relatives à la concurrence pour coopérer autour d'un projet commun. Le contrat de partenariat formalise, entre autre, la volonté des parties de construire une relation suivie. Cette notion implique un examen concret de la relation entre les parties et de l'objet du contrat.
Or, en l'espèce, les contrats de mise à disposition de site Internet conclus entre la société COMETIK et ses clients sont des contrats de location ». CA Paris - Pôle 05 ch. 04 - 27 septembre 2017 - n° 16/00671
Autrement dit, pour la Cour d’appel, pour que la notion de partenariat commercial soit reconnue entre deux personnes, il faut une réelle proximité d’affaires entre elles, des relations étroites qui se manifestent par une volonté commune et réciproque d’effectuer ensemble un certain nombre d’activités économiques.
Cette conception semblait trop restrictive dans la mesure où elle tendait à assimiler les partenaires commerciaux à des associés ou des membres d’un GIE.
Saisie d’un pourvoir dans cette affaire, la Cour de cassation a distingué les relations entre la société de location financière et le client de l’agence web d’une part, et les relations entre le client de l’agence web et l’agence web d’autre part.
S’agissant de la relation entre le client de l’agence web et la société de location financière, la Cour de cassation considère que la notion de partenariat commercial ne peut être invoquée. Sur ce point, la chambre commerciale juge :
« 1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 septembre 2017), la société COMETIK proposait à des clients professionnels de créer, pour leur entreprise, un site Internet et de le mettre à leur disposition pour une durée de quarante-huit mois, tacitement renouvelable pour un an, en leur faisant signer un contrat dit d'abonnement de sites Internet et un contrat de licence d'exploitation, lequel était ensuite cédé à un loueur financier, la société PARFIP France (la société PARFIP) ou la société LOCAM-location automobiles matériels (la société LOCAM), qui devenait alors créancier des sommes dues périodiquement par le client.
2. Plusieurs clients ayant dénoncé les pratiques commerciales de la société COMETIK, le ministre de l'économie l'a, le 18 novembre 2011, assignée pour violation de l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce, à l'effet d'obtenir la cessation des pratiques incriminées, l'annulation des clauses contractuelles qui, par leur articulation, étaient de nature à créer un déséquilibre significatif au détriment des clients et le paiement d'une amende civile.
3. A la suite d'investigations complémentaires, le ministre de l'économie a appelé en intervention forcée les sociétés PARFIP et LOCAM. Mme Y..., gérante d'un salon de coiffure, et Mme S..., artisan peintre, se sont jointes à l'instance. [...]
4. Le ministre de l'économie fait grief à l'arrêt de dire que les relations entre la société LOCAM et ses clients n'étaient pas des relations de partenariat et, en conséquence, que sa demande fondée sur l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, n'est pas fondée, alors :
« 1°/ que les règles définies au livre IV du code de commerce "De la liberté des prix et de la concurrence" s'appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services ; qu'en excluant du domaine de l'interdiction des pratiques restrictives de concurrence l'activité des sociétés de financement agréées au prétexte inopérant que l'article L. 511-4 du code monétaire et financier prévoirait spécifiquement l'application à cette activité de la réglementation des pratiques anti-concurrentielles des articles L. 420-1 à L. 420-4 du code de commerce, la cour d'appel a violé l'article L. 410-1 du code de commerce ;
2°/ que les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants ; qu'en examinant de manière indépendante le sort des contrats conclus avec la société COMETIK et ceux cédés à la société LOCAM, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
5. Après avoir qualifié les contrats de mise à disposition de site Internet conclus entre la société COMETIK et ses clients de contrats de location, l'arrêt relève que la société LOCAM est une société de financement agréée auprès de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, habilitée en conséquence à réaliser à titre habituel des opérations de crédit et opérations connexes, constitutives de services bancaires et financiers, dans les conditions et limites définies dans son agrément.
6. Ayant constaté que l'article L. 511-4 du code monétaire et financier prévoit seulement que les articles L. 420-1 à L. 420-4 du code de commerce sur les pratiques anticoncurrentielles s'appliquent aux établissements de crédit et aux sociétés de financement pour leurs opérations de banque et leurs opérations connexes définies à l'article L. 311-2 du même code, la cour d'appel en a justement déduit que, pour ces opérations, le législateur n'a pas étendu aux établissements de crédit et sociétés de financement l'application des textes relatifs aux pratiques restrictives de concurrence, de sorte que les activités exercées par la société LOCAM dans le cadre des opérations de location financière litigieuses ne relèvent pas du code de commerce mais des dispositions spécifiques du code monétaire et financier.
7. Le moyen n'est donc pas fondé. ». Com., 15 janv. 2020 n° 18-10.512 Publié au bulletin
Les sociétés de location financière ne sont donc pas les partenaires commerciaux des professionnels dont elles financent la création du site internet.
En revanche, l’agence web et son client, sont des partenaires commerciaux. La Cour de cassation l’a rappelé dans cette affaire en jugeant :
« 8. Le ministre de l'économie fait grief à l'arrêt de dire que les relations entre les sociétés COMETIK, PARFIP et LOCAM et leurs clients n'étaient pas des relations de partenariat et que sa demande fondée sur l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, n'est pas fondée, alors « qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; qu'en déboutant le ministre de l'économie de son action tendant à voir les sociétés COMETIK, LOCAM et PARFIP jugées responsables d'une telle pratique restrictive de concurrence au prétexte que les conventions de création et d'exploitation d'un site Internet dans lesquelles étaient stipulées les clauses contestées n'impliquait pas une volonté commune et réciproque d'effectuer de concert des actes ensemble dans des activités de production, de distribution ou de service, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi des conditions relatives à la durée et à la réciprocité des relations entre les cocontractants qu'elle ne prévoit pas, a violé l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 :
9. Selon ce texte, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
10. Au sens de ce texte, le partenaire commercial est la partie avec laquelle l'autre partie s'engage, ou s'apprête à s'engager, dans une relation commerciale.
11. Pour rejeter la demande du ministre de l'économie dirigée contre la société COMETIK, l'arrêt, après avoir relevé que les deux alinéas de ce texte mentionnent la notion de « partenaire commercial » et énoncé qu'un partenaire se définit comme le professionnel avec lequel une entreprise commerciale entretient des relations commerciales pour conduire une activité quelconque, ce qui suppose une volonté commune et réciproque d'effectuer de concert des actes ensemble dans des activités de production, de distribution ou de services, par opposition à la notion plus large d'agent économique ou plus étroite de cocontractant, retient que les contrats de mise à disposition de site Internet conclus entre la société COMETIK et ses clients sont des contrats de location ayant pour objet des opérations ponctuelles à objet et durée limités, de cinq ans, ne générant aucun courant d'affaires stable et continu et n'impliquant aucune volonté commune et réciproque d'effectuer, de concert, des actes ensemble dans des activités de production, de distribution ou de services.
12. En statuant ainsi, en ajoutant à la loi des conditions qu'elle ne comporte pas, la cour d'appel a violé le texte susvisé. » Com., 15 janv. 2020 n° 18-10.512 Publié au bulletin
Cette décision de la cour de cassation a permis de clarifier la nature des rapports entre l’agence web, le professionnel qui lui a commandé un site internet et la société de location financière qui a financé l’opération.
Les choses sont encore plus claires aujourd’hui puisqu’un nouveau texte permet de faire sanctionner le déséquilibre significatif sans faire référence à la notion de partenaire commercial.
En effet, postérieurement à la décision rendue par la Cour d’appel de Paris le 27 septembre 2017 et avant même la décision de la Cour de cassation saisie sur pourvoi, l’Ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 a modifié l'article L442-1 du Code de commerce.
Ce texte reprend les dispositions de l'ancien article L.442-6 du code de commerce mais abandonne toute référence à la notion de « partenaire commercial » sur laquelle une agence web et une société de location financière pouvait se fonder pour tenter de faire écarter les demandes d’une victime de déséquilibre significatif.
Ainsi, dans sa nouvelle version, l'article L.442-1 du code de commerce dispose : « I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services : [...]
2° De soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. ».
Désormais, tout professionnel exerçant des activités de production, de distribution ou de services, peut invoquer le nouvel article L.442-1 du Code de commerce et ce, qu’il ait été ou non victime d’une arnaque one shot à la création de site internet.
La notion de déséquilibre significatif prévue par le code de commerce est plus large que celle prévue par le code civil ou le code de la consommation. Le déséquilibre significatif d’une clause est apprécié par la jurisprudence de manière globale, en prenant en compte les autres clauses du contrat.
La preuve du déséquilibre significatif permet à la victime d’obtenir la destruction du contrat de mise à disposition ou du contrat de licence d’exploitation de site internet, puisque l’article L442-4 du code de commerce prévoit que : « Seule la partie victime des pratiques prévues aux articles L. 442-1, […] peut faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la restitution des avantages indus. ».
Une fois que le contrat de mise à disposition ou de licence d’exploitation de site internet conclu avec l’agence web est détruit, la victime du déséquilibre significatif peut échapper plus facilement aux poursuites de la société de location financière.
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