Cour d'appel de Versailles, 27 sept. 2018 n° 17/023758 confirmée par Soc. 8 juil. 2020 n° 18-23.743
Dans cette affaire, le salarié était embauché en qualité de consultant, dans une entreprise de sécurité et de défense assurant notamment des prestations à l’étranger au profit de Gouvernements, d’ONG et de grandes entreprises privées.
Parmi les motifs du licenciement pour faute grave, figure le refus du salarié de tailler la longue barbe qu’il portait. L’employeur voyait dans le port de cette barbe, la manifestation de convictions religieuses.
L’arrêt de la chambre sociale ne précise pas comment l’employeur a pu déduire du port d’une barbe, la manifestation de convictions religieuses alors qu’il peut s’agir d’un effet de mode ou d’une simple excentricité capillaire.
Le licenciement a d’abord été jugé comme étant fondé sur une cause réelle et sérieuse par le Conseil de prud’hommes de Nanterre, avant d’être annulé par la Cour d’appel de Versailles approuvée sans surprise par la Cour de cassation.
Il faut rappeler que la liberté religieuse est une liberté fondamentale garantie par la Constitution, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ainsi que par le droit de l’Union européenne.
L’article L1132-1 du Code du travail interdit expressément les mesures discriminatoires visant un salarié notamment en raison « de ses convictions religieuses, de son apparence physique ».
Il faut également préciser que le principe de neutralité religieuse posé par la loi du 9 décembre 1905 s’applique uniquement aux services publics et dans certaines conditions, aux entreprises privées chargées d’une mission de service public.
Néanmoins, dans une entreprise qui n’est pas chargée d’une mission de service public, l’employeur peut restreindre l’exercice de la liberté religieuse, en interdisant aux salariés le port visible de signes religieux.
L’interdiction du port visible des signes religieux dans l’entreprise doit cependant se faire avec d’infinies précautions. La moindre erreur de l’employeur peut éventuellement entraîner la nullité du licenciement prononcé.
L’arrêt de la Chambre sociale du 8 juillet 2020 est l’occasion de rappeler les différentes conditions cumulatives qui doivent être respectées pour que l’employeur puisse valablement prononcer une mesure de licenciement à l’encontre d’un salarié qui ne respecte pas l’interdiction du port visible de signes religieux dans l’entreprise.
1 – La nécessité de prévoir l’interdiction du port visible des signes religieux, dans un règlement intérieur ou dans une note de service adoptée selon la même procédure que le règlement intérieur
Depuis le 1er janvier 2020, l'établissement d'un règlement intérieur est obligatoire dans les entreprises ou établissements employant au moins 50 salariés. Antérieurement, le seuil pour la mise en place d’un règlement intérieur était fixé à 20 salariés.
A la suite de la décision rendue par la Cour de cassation dans l’affaire Baby Loup, l’article L1321-2-1 du Code du travail issu de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 est venu préciser que le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés.
Une note de service peut également contenir des dispositions restreignant le port visible de signes religieux. En effet, les notes de service comportant des obligations générales et permanentes relevant du domaine du Règlement intérieur, sont considérées comme des adjonctions du Règlement intérieur existant.
Au cas d’espèce, la Cour de cassation a approuvé la chambre sociale de la Cour d’appel de Versailles d’avoir jugé discriminatoire, l’interdiction faite à un salarié, de porter une longue barbe, en tant qu’elle manifesterait des convictions religieuses et ce, alors même que l’employeur ne démontre pas avoir fait figurer cette interdiction dans le Règlement intérieur ou dans une note de service adjointe.
En pratique, si un Règlement intérieur existe dans l’entreprise - soit parce qu’il est obligatoire, soit parce qu’il a été mis en place facultativement - , l’employeur qui entend prohiber le port visible de signes religieux doit inscrire l’interdiction dans le règlement intérieur.
En revanche, si l’entreprise n’est pas obligée d’établir un règlement intérieur et n’en a pas mis en place facultativement -parce qu’elle compte moins de 50 salariés -, elle devra prendre une note de service pour interdire le port visible de signes religieux. Cette note de service devra toutefois être adoptée selon la même procédure que celle prévue pour le règlement intérieur. A défaut, le licenciement prononcé encourt la nullité.
Sur ce point, il faut bien noter que quel que soit l’effectif de l’entreprise, toute note de service ou « consigne » qui porte des prescriptions générales et permanentes relevant du domaine légal du Règlement intérieur, doit être adoptée selon la même procédure que celle prévue pour l’adoption du règlement intérieur : consultation du Comité Social et Economique, dépôt au greffe du Conseil de prud’hommes, information des salariés, transmission à l’inspection du travail (Chambre criminelle, 26 juin 1990 n° 88-84.251 Publié au bulletin ; Circ. DRT n° 5-83, 15 mars 1983).
Au cas d’espèce, l’employeur n’a produit ni Règlement intérieur, ni note de service précisant la nature des restrictions à la liberté religieuse des salariés en raison des impératifs de sécurité allégués.
2 – L’interdiction du port des signes religieux visibles dans l’entreprise doit être générale, indifférenciée et ne concerner que les salariés en contact avec les clients
Dans la décision commentée, la Cour de cassation juge que « L’employeur, […], peut prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, […] une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients. ».
L’exigence d’une clause générale et indifférenciée d’interdiction du port visible des signes religieux est destinée à empêcher que l’employeur stigmatise une catégorie de salariés en particulier (les ouvriers ou les cadres par exemple) ou une religion déterminée.
De surcroît et sauf exceptions tenant notamment à de réels impératifs en matière de sécurité, seuls les salariés en contact avec les clients peuvent se voir interdire le port visible de signes religieux par le Règlement intérieur ou une note de service équivalente.
3 - L’interdiction du port des signes religieux doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir, proportionnée au but légitime recherché et répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante
L’interdiction du port visible des signes religieux ne répond pas seulement à des conditions de forme.
Dans le fond, elle doit être légitime, justifiée notamment par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et être proportionnée au but ainsi recherché.
De manière générale, l’article L1121-1 du Code du travail précise que : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. ».
Par ailleurs, après avoir rappelé le principe d’interdiction des discriminations en raison des convictions religieuses, la Directive 2000/78 du 27 novembre 2000 prévoit en son article 4, une atténuation ainsi formulée : « 1. Nonobstant l'article 2, paragraphes 1 et 2, les États membres peuvent prévoir qu'une différence de traitement fondée sur une caractéristique liée à l'un des motifs visés à l'article 1er ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d'une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée. ».
Au visa de ce texte transposé en droit interne par Article L1133-1 du Code du travail, la CJUE a jugé que « la notion d’ "exigence professionnelle essentielle et déterminante ", au sens de cette disposition, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause. Elle ne saurait, en revanche, couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client. » (CJUE, Grande Chambre, 14 mars 2017 n° C-188/15, § 40).
Au cas d’espèce, l’employeur invoquait les observations d’un de ses clients qui aurait perçu comme une provocation religieuse, le port d’une longue barbe par le salarié.
La lettre de licenciement indiquait précisément : « […] Pourtant, vous saviez pertinemment que votre barbe, taillée d'une manière volontairement très signifiante aux doubles plans religieux et politique, ne pouvait qu'être comprise que comme une provocation par notre client, et comme susceptible de compromettre la sécurité de son équipe et de vos collègues sur place. Le 2 juillet 2013, lorsque notre client nous a fait part de son refus de votre candidature il nous a précisé, comme nous le craignions, que votre apparence était l'une des raisons majeures de son rejet de votre candidature.
Concernant votre apparence physique vous n 'acceptez aucune observation, ni aucun conseil sur le sujet, pourtant, vous êtes consultant sûreté et encore une fois, à ce titre votre présentation neutre et adaptée doit vous permettre de vous fondre dans votre environnement de travail et non pas d'attirer le regard sur vous. Nous respectons tout à fait les raisons privées qui vous motivent dans votre choix, mais vos choix rendent impossibles votre repositionnement. ».
Compte tenu de la subjectivité des raisons ainsi invoquées et de la jurisprudence bien établie de la Cour de justice de l’Union européenne en la matière, la motivation de la lettre de licenciement n’a convaincu ni la chambre sociale de la Cour d’appel de Versailles, ni la Cour de cassation.
L’employeur doit prendre de grandes précautions pour motiver une lettre de licenciement notamment si les droits fondamentaux du salarié sont en jeu. Toute erreur de motivation peut déboucher sur la nullité du licenciement et entraîner le paiement d’indemnités importantes au salarié.
4 – Les indemnités dues par l’employeur en cas de nullité d’un licenciement fondé sur une discrimination en raison des convictions religieuses du salarié
Depuis l’entrée en vigueur des Ordonnances du 22 septembre 2017, les indemnités de licenciement sont en principe "barémisées", en fonction de l’ancienneté du salarié et de la taille de l’entreprise (article 1235-3 du Code du travail).
Toutefois, l’application de ces barèmes dits Macron est écartée dans plusieurs situations et notamment lorsque le licenciement est nul en raison de la violation d’une liberté fondamentale du salarié.
En cas de nullité du licenciement en raison de la violation de la liberté religieuse du salarié, pour fixer les indemnités dues par l’employeur, il faut tenir compte d’une éventuelle demande de reclassement du salarié et de la possibilité d’un tel reclassement.
Si le salarié ne demande pas son reclassement, notamment parce qu’il a trouvé un autre emploi ou ne souhaite pas revenir dans l’entreprise, il a droit à une indemnité au moins égale aux salaires des 6 derniers mois.
Si le salarié demande sa réintégration et que la preuve de l’impossibilité de reclassement est rapportée par l’employeur, le montant des indemnités est également supérieur ou égal aux salaires des 6 derniers mois.
En revanche si le salarié demande sa réintégration dans l’entreprise et qu’il n’est pas établi que cette réintégration est impossible, la jurisprudence considère habituellement qu’il a droit à une indemnité égale aux salaires qu’il aurait dû percevoir entre la date de son licenciement et la date effective de sa réintégration.
Dans cette l’hypothèse, l’employeur est en principe fondé à demander à déduire des indemnités qu’il doit ainsi verser au salarié, les revenus de remplacement (allocations chômage) ainsi que les salaires que le salarié a éventuellement perçus par exemple chez un autre employeur.
Il faut cependant préciser que l’employeur ne peut procéder à cette déduction, si le licenciement est nul en raison d’une violation d’une liberté garantie par la Constitution, (Soc., 9 juillet 2014 n° 13-16.434 et 13-16.805 Publié au bulletin).
Cette jurisprudence très favorable au salarié lui permet de cumuler ses allocations chômage et les salaires qu’il a éventuellement perçus chez un autre employeur, avec les salaires qu’il aurait dû percevoir s’il n’avait pas été licencié.
Dans l’attente de la réintégration effective du salarié, la justice peut condamner son employeur à lui verser une provision.
Au cas d’espèce, dans l’attente de la réintégration ordonnée, la Cour d’appel de Versailles a alloué au salarié une provision de près de 150.000€ en jugeant : « Du fait de la nullité du licenciement, le salarié est en droit d'obtenir la réparation du préjudice qui en résulte et à percevoir à ce titre les salaires qui auraient dû lui être versés depuis son licenciement jusqu'à sa réintégration. L'employeur ne demandant pas la déduction de sommes qui auraient été perçues par le salarié à titre de revenu de remplacement ou de salaire, il sera fait droit à la demande de provision sur la base du salaire net de base de 3050 euros. L'employeur doit donc être condamné à une provision de 146 400 euros nets à valoir sur le préjudice subi par le salarié. ».
C’est bien la preuve que malgré les barèmes Macron, un licenciement peut encore coûter très cher à l’employeur.
Il faut enfin noter qu’en cas de nullité du licenciement pour discrimination, le juge peut condamner l’employeur à verser à Pôle Emploi, tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, dans la limite de 6 mois.
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