CA Grenoble, ch. com., 12 janv. 2023, n° 21-03701
Le mauvais référencement d’un site internet est souvent à l’origine des litiges entre les agences web et leurs clients.
De nombreuses agences web parviennent à faire signer des contrats de création de site internet en promettant verbalement à leurs clients, un excellent référencement du site dans les moteurs de recherches.
La première difficulté pour le client de l’agence web tient au fait que les promesses de référencement ne sont pas toujours tenues.
La seconde difficulté porte sur le fait que dans les contrats de création de site internet, il est souvent stipulé que l’agence web ne garantit pas le résultat du référencement. Autrement dit, même si le site internet n’apparaît pas dans les premières pages des moteurs de recherches, le client de l’agence web ne peut rompre le contrat pour ce seul motif.
Pour réussir à rompre le contrat de site internet, il faut généralement invoquer d’autres arguments.
Parmi les arguments susceptibles de justifier l’annulation d’un contrat de création de site internet, il y a ceux tirés de la réglementation sur la protection des données personnelles.
La réglementation sur la protection des données personnelles permet de faire annuler beaucoup de choses.
Elle a récemment permis de faire annuler des sanctions disciplinaires infligées à des étudiants soupçonnés d’avoir triché à un examen organisé à distance (CA Douai, 10 mars 2022 n° 21-05612 : Dans cette affaire l’adresse IP des étudiants avait été collectée. Or, il s’agit d’une donnée personnelle et les règles françaises et européennes en matière de protection des données personnelles n’avaient pas été respectées lors de la collecte.).
La Cour d’appel de Grenoble vient de juger que la réglementation sur la protection des données personnelles peut également justifier l’annulation d’un contrat de création de site internet pour erreur sur les qualités essentielles du site internet.
I - Bref rappel des enjeux de la collecte de données personnelles par un site internet
La réglementation sur la protection des données personnelles est très vaste dans la mesure où certaines règles sont édictées par des textes supranationaux (le RGPD par exemple) tandis que d’autres sont issues de textes nationaux (loi Informatique et Libertés ou code pénal par exemple).
Pour que la collecte et le traitement de données personnelles soient conformes à la loi, de très nombreuses informations doivent être données correctement.
A cela s’ajoute le fait que plusieurs obligations pèsent sur l’auteur de la collecte, s’agissant de la sécurisation des données collectées.
Les agences web intègrent souvent dans les sites internet qu’elles créent, des dispositifs qui permettent au site d’installer des cookies sur le navigateur des internautes qui le visitent.
Un cookie est un petit programme informatique qui s’installe sur votre terminal (téléphone, tablette ou ordinateur) généralement pour observer ou mesurer votre activité. Vous pouvez consulter ici la définition exhaustive qu’en donne la CNIL : https://www.cnil.fr/fr/definition/cookie
Certains cookies sont destinés à surveiller toute votre activité sur internet et à collecter plusieurs données personnelles sur vous.
Il s’agit de cookies particulièrement intrusifs pour la vie privée car ils peuvent s’installer sur votre appareil à votre insu et noter tout ce qu’ils peuvent savoir sur vous (vos fréquentations, vos opinions, vos activités sur internet, vos loisirs, votre état de santé, la composition de votre famille etc.).
Les données personnelles ainsi collectées par les cookies publicitaires peuvent ensuite être vendues à des plateformes qui vous adresserons des publicités ciblées.
On retrouve ce type de cookies dans les sites créés par plusieurs agences web que nous retrouvons régulièrement devant les tribunaux.
Puisque les enjeux pour la vie privée et la liberté des internautes en général, sont très importants, la réglementation en matière de protection de données personnelles est très stricte.
Elle prévoit de très lourdes sanctions :
* sanctions pénales (5 ans d’emprisonnement et 300.000€ d’amende pénale),
* sanctions administratives (amende administrative pouvant allant jusqu’à 20 millions d’euros d’amende administrative et 4% du chiffre d’affaires annuel total mondial, la somme la plus élevée étant retenue)
* sanctions civiles (dommages et intérêts accordés sur le fondement de l’article 1240 du code civil).
C’est dire qu’il est impossible de soutenir que la collecte illégale de données personnelles n’est pas grave.
II - L’annulation du contrat de création de site internet pour erreur sur les qualités essentielles du site web
Dans cette affaire, le client de l’agence web n’était pas satisfait du site.
Il a demandé à rompre le contrat, ce qui lui a été refusé. Il a arrêté les prélèvements. La société de location l’a assigné en justice.
Lorsque que notre cabinet a été saisi, nous avons vérifié plusieurs choses.
En premier lieu, nous avons vérifié s’il y avait dans le contrat, une clause qui rendait le client de l’agence web responsable de la collecte des données personnelles effectuées par le site internet.
Il y avait effectivement une clause qui rendait le client responsable de la collecte des données personnelles.
En second lieu, nous avons vérifié si le site collectait des données personnelles. La réponse était positive.
En troisième lieu, nous avons vérifié si cette collecte de données personnelles était conforme à la réglementation en la matière.
La réponse était négative pour nous car nous avons relevé plusieurs manquements dont l’installation de cookies publicitaires sans consentement préalable, sur notre navigateur.
Nous avons également relevé, dans le code source du site des scripts permettant l’installation de tels cookies.
En dernier lieu, nous avons vérifié dans le contrat, s’il y avait une clause qui informait le client de l’agence web que le site internet collecterait des données personnelles notamment à travers l’installation de cookies publicitaires.
Il n’y avait aucune clause en ce sens.
Compte tenu de ces éléments, nous avons demandé l’annulation pure et simple du contrat pour erreur sur les qualités essentielles du site internet.
L’article 1132 du code civil dit clairement que l'erreur de droit ou de fait est une cause de nullité du contrat lorsqu'elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due.
C’est l’article 1133 alinéa 1 du code civil qui définit l’erreur sur les qualités essentielles en ces termes : « Les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté. ».
Dans le cas d’espèce, nous avons plaidé qu’il y avait erreur sur les qualités essentielles du site internet pour les raisons suivantes :
- Le site collecte des données personnelles,
- Il le fait de manière illégale,
- Il le fait à l’insu du client de l’agence web
- Il le fait sous la responsabilité du client de l’agence web
Nous avons dit que si le client de l’agence web avait su que le site allait collecter en son nom et sous sa responsabilité, des données personnelles, il n’aurait pas accepté de contracter ou n’aurait pas contracté dans les mêmes conditions et ce, même si la collecte de données était légale.
La Cour d’appel a annulé le contrat en jugeant :
« Il résulte de ces stipulations que la société X a été rendue responsable de toutes les conséquences résultant de l’utilisation du site créé et mis en service par la société COMETIK. […]
La société X étant, selon le contrat conclu avec la société COMETIK, rendue responsable de la collecte et de l’utilisation des données personnelles des utilisateurs, devait être informée par le prestataire informatique de l’existence de logiciels permettant l’installation de cookies destinés à utiliser de telles données. Or, la société COMETIK ne rapporte pas la preuve de la communication de cette information, pourtant déterminante au regard de la responsabilité civile encourue par l’appelante, et également pénale, puisqu’aux termes de l’article 226-16 du code pénal, dans sa version existante à la date de la conclusion du contrat de licence, le fait, y compris par négligence, de procéder ou de faire procéder à des traitements de données à caractère personnel sans qu’aient été respectées les formalités préalables à leur mise en oeuvre prévues par la loi est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende.
Il en résulte, ainsi que soutenu par la société X, que la société COMETIK n’a pas porté à sa connaissance un élément essentiel concernant le site qu’elle a conçu et installé. Le fait que le site ait fait l’objet d’une réception sans réserve ni observation ne peut pallier ce manque d’information, l’appelante n’étant pas une spécialiste en la matière, et n’ayant ainsi pu, lors de la livraison du site, constater ce problème de collectes et d’utilisation de données. Seul le constat réalisé par huissier, pendant l’instance, a permis à l’appelante de relever ce vice.
En conséquence, le contrat est également nul pour erreur sur une qualité essentielle du site Internet, […] ».
La Cour d’appel a ensuite condamné l’agence COMETIK et la société LEASECOM à rembourser l’intégralité des loyers qu’elles avaient encaissés depuis le départ et à payer à notre client la somme 5000€ au titre de ses frais d’avocat.
Cette décision est très intéressante car à notre connaissance, c’est la première fois qu’une cour d’appel annule un contrat de création de site internet pour des motifs tirés de la réglementation sur les données personnelles.
Elle est aussi intéressante car elle est motivée de manière exemplaire avec un raisonnement qui nous paraît impeccable en droit.
Une agence web ne peut pas collecter des données personnelles sous votre responsabilité et à votre insu et dire que son contrat est valable.
La plupart des contrats de création de site internet peuvent être contestés.
Si vous souhaitez faire examiner votre contrat de création de site internet notamment parce que le site internet qui vous a été créé ne vous sert à rien, vous pouvez nous contacter.
Si vous êtes avocat et que vous avez une expérience significative dans la pratique de ce type de contentieux, vous pouvez également nous contacter car nous cherchons à recruter et nous proposons de très belles rétrocessions.
PROCESCIAL AVOCAT, Annulation/résiliation de contrats de location de photocopieur ; Annulation/résiliation de contrats de licence d’exploitation de site internet ; Avocat créateur de sites internet pour avocats ; Procédure d’appel
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