La prise d’acte de la rupture est un mode de rupture du contrat de travail, uniquement ouvert aux salariés, qui a été créée par la jurisprudence et qui n’est donc pas réglementée par le Code du travail.
Elle s’envisage lorsque le salarié reproche à son employeur des manquements graves qui rendent impossible la poursuite du contrat de travail.
Elle n’est soumise à aucun formalisme mais doit seulement laisser apparaitre à l’employeur la volonté du salarié de prendre acte de la rupture, en raison du ou des manquements graves qu’il lui reproche. Ces derniers doivent être énoncés et explicités et le salarié précisera, en outre, qu'il saisira le Conseil de Prud'hommes afin de faire requalifier sa prise d'acte en licenciement abusif.
Toutefois et pour une question de preuve, il sera conseillé au salarié de manifester par écrit sa volonté de prendre acte de la rupture, étant précisé que cette lettre peut être écrite par le salarié, mais aussi par toute personne représentant ses intérêts.
- Quels sont les manquements graves de l’employeur qui peuvent justifier une prise d’acte de la rupture ?
La jurisprudence considère qu’une prise d'acte de la rupture du salarié aux torts de l'employeur est justifiée en cas de :
- non paiement d’heures supplémentaires (Cass. soc. 4 juin 2008 n° 07-42.878)
- non-paiement du salaire conventionnel (Cass. soc. 26 octobre 2011 n° 10-17.396)
- harcèlement moral avéré (Cass. soc. 30 octobre 2007 n° 06-43.327)
- non-respect du repos hebdomadaire (Cass. soc. 31 octobre 2012 n° 11-20.136)
- modification du contrat de travail intervenue sans l'accord exprès du salarié (Cass. soc. 10 décembre 2008 n° 07-40.190)
Par contre, ne justifie pas une prise d’acte aux torts de l’employeur :
- des faits datant de plusieurs mois ou années (Cass. soc. 26 mars 2014 n° 12-23.634)
- le défaut de paiement de quelques heures supplémentaires et d'une demi-journée de réduction de temps de travail (Cass. soc. 14 mai 2014 n° 13-10.913)
- Quels sont les effets d’une prise d’acte de la rupture ?
* Pour l’employeur
L’employeur doit considérer que le salarié sort de ses effectifs dès qu’une prise d’acte de la rupture lui est notifiée et ne peut dès lors exiger la réalisation d’un préavis. Il doit ensuite lui remettre ses documents de fin de contrat :
- attestation pôle emploi
- certificat de travail
- reçu pour solde de tout compte qui ne comprendra que l'indemnité de congés payés
* Pour le salarié
Comme il l'a été exposé précédemment, le salarié n'a pas à effectuer de préavis. Par conséquent, dès la notification de sa prise d'acte, il reprend sa liberté puisqu'il ne fait plus partie des effectifs de la société.
L'un des inconvénients de la prise d'acte réside dans le fait que le Pôle emploi l'assimile à une démission et que de ce fait le salarié n'a pas le droit de percevoir les allocations chômage.
Le salarié doit donc saisir le Conseil de Prud’hommes et attendre qu’un jugement soit rendu avant de toucher une quelconque somme d’argent.
En effet, un Conseil de Prud’hommes saisi par une prise d’acte d’un salarié a deux solutions :
- Soit il considère que les faits reprochés par le salarié à son employeur ne sont pas des manquements graves et dans ce cas, il requalifie la prise d’acte de la rupture en démission. Cette hypothèse n’a pas d’incidence pour le salarié qui a déjà été considéré comme démissionnaire par son employeur et le Pôle Emploi puisqu’il n’a eu droit à aucune indemnité ou allocation.
- Soit il considère que les faits reprochés par le salarié à son employeur constituent des manquements graves et dans ce cas, il requalifie la prise d’acte de la rupture en licenciement abusif. Le raisonnement juridique sera de considérer que même si la rupture a été à l’initiative du salarié, elle aura les mêmes effets que si l’employeur avait licencié abusivement son salarié. Ainsi, l’employeur sera condamné à lui payer suivant l’ancienneté du salarié :
- Une indemnité compensatrice de préavis
- Une indemnité de licenciement
- Des dommages et intérêts pour rupture abusive (si le salarié a moins de 2 ans d’ancienneté ou si l’entreprise a moins de 11 salariés) dont le montant est librement fixé par le Conseil de Prud’hommes
Ou
- Des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (si le salarié a plus de 2 ans et si l’entreprise a plus de 11 salariés ) dont le montant est d’au moins 6 mois de salaire brut
Depuis une loi du 1er juillet 2014, une procédure accélérée a été mise en place devant le Conseil de Prud’hommes. Ainsi, toute saisine du Conseil de Prud’hommes pour prise d’acte est portée directement devant le bureau de jugement (la phase de conciliation pourtant obligatoire pour les autres procédures ne l’est plus dans ce cas) et ce dans un délai d’un mois à compter de la réception de la saisine. Ce délai reste très indicatif dès lors que les Conseils de Prud’hommes n’ont pas les moyens d’audiencer une affaire dans un délai si court.
Mon avis : Si un salarié est confronté à des manquements de son employeur tels qu’ils ne lui permettent plus de poursuivre sa relation de travail, il est nécessaire d’analyser avec beaucoup de prudence la prise d’acte de la rupture du contrat de travail. D’une part, au regard de la réalité et de la preuve des manquements reprochés à l’employeur et d’autre part, au regard de la rédaction de l’éventuelle lettre de prise d’acte de la rupture dès lors qu’elle constituera la base du dossier analysé par le Conseil de Prud’hommes.
Raphaëlle BENSOUSSAN
Avocat à la Cour
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