Marseille, 26 mai 1999
Centre de rétention d’Arenc.
"Nous n’étions pas une menace pour l’ordre public mais nous devions répondre à un plan d’action statistique. Et nous faisions partie de ces statistiques qui devaient marquer l’opinion. Nous devions donc être expulsés pour faire baisser les effectifs des travailleurs immigrés.
Ce matin là vers 9 heures, nous étions en train de déjeuner dans le local de télévision.
Lorsque, tout à coup, nous avons entendu un appel provenant des W.C.
Je me suis levé, croyant à une plaisanterie.
J’ai vu un homme, Samy, couché par terre, gémissant, bavant, tremblant de tous ses membres, le visage prostré contre la cuvette, en danger, glissant dans son urine, cherchant l’air, les yeux révulsés, dans un état effroyable.
Les policiers ne sont pas intervenus tout de suite pour le sauver, ils n’ont pas appelé le médecin immédiatement.
L’homme ne contrôlait aucun de ses membres. Ils l’ont regardé sans broncher, haussant les épaules, au lieu de le secourir.
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Samy a été transféré à l’hôpital par les marins pompiers à 12 H 30.
Trop tard. Il fut admis dans le service de réanimation aux alentours de 12 H 50 et y décéda à 14 h 50.
Ce qui était prévisible est arrivé
Dans les heures qui ont suivi, j’ai été expédié tambour battant en Haïti.
La mort de Samy au centre, n’a pas marqué les esprits, n’a bouleversé personne.
Pendant des années j’ai repensé au regard de Samy dans les WC. Ce souvenir hante ma vie, il est l’un des plus importants regrets de mon existence.
Je ne l’ai jamais accepté car on était à deux doigts de le sauver. On ne peut pas mourir comme çà. C’est pourtant ce qui arrivé à Samy.
C’était le témoignage de Louis.
Aucun collectif ne s’est constitué après la mort de Samy, tous ses camarades ont été expulsés.
Ainsi, tout se passait bien pour la justice car rien ne venait contrarier le système des oubliettes.
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Le rapport d’autopsie révélait que Samy était mort d’un « arrêt cardio-respiratoire consécutif à un œdème aigu pulmonaire succédant à un état de mal épileptique inaugural. »
Les expertises médicales attribuaient clairement son décès à l’inertie des policiers.
Samy avait connu des derniers instants effroyables, dans les excréments de ses camarades du centre de rétention.
Dans la matinée du 26 mai 1999, Samy devait comparaître devant la Cour d’Appel d’Aix en Provence suite à l’appel interjeté contre la mesure d’expulsion.
Dans l’arrêt qui a été rendu, constatant son absence, les juges ont écrit : « Samy a été reconduit à la frontière. »
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Pour que les enfants de Samy puissent obtenir une indemnisation à la suite de la mort de leur père qui subvenait à leurs besoins, j’ai engagé un recours devant les juridictions administratives.
Le ministre de l’Intérieur était à l’époque Nicolas Sarkozy.
Il a expliqué à la Cour Administrative d’Appel que le préjudice moral des enfants ne pouvait être que « très faible, voire inexistant car ceux-ci n’étaient âgés que de quatre ans et deux ans au moment du décès de leur père. »
Il a proposé la somme de 3 400 euros à titre d’indemnisation pour les enfants, ce qui était selon lui amplement suffisant.
Pour lui, les conditions de rétention de Samy dans le centre d’Arenc étaient exemptes de toute critique. Ce n’était pourtant pas l’avis de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Dans son arrêt du 10 décembre 2007, la cour administrative a décidé que seule la fille de Samy pouvait être indemnisée, uniquement pour son préjudice moral.
Samy n’avait pas eu le temps de reconnaître officiellement son fils avant sa mort. L’enfant n’a donc eu droit à rien."
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Extraits du livre AVOCAT A VIF