La place du juriste d’entreprise ignorée ou presque, pourtant il est devenu plus qu’un simple effet de mode que d’en rencontrer un qui arpente les couloirs de l’ONEMO. Est-ce un métier du droit aujourd’hui négligé par les chefs d’entreprises (du propriétaire de la start-up au dirigeant d’une entreprise cotée) ? Est-il aussi important d’en avoir un dans ses murs ? Sert-il précisément à quelque chose ? Devrait-on réfléchir à une vraie valorisation de ce métier du droit ? Autant de questions peuvent se poser sans aucune exhaustivité. Pour inaugurer cette colonne de notre revue, avec nous, une juriste d’entreprise, bien heureusement, Madame Carole BOUKA, consultante juridique auprès du Cabinet CCJA Congo à Pointe-Noire.
Revue Repères Juridiques - Bonjour Madame !
Carole BOUKA - Bonjour Monsieur ! Merci bien de la tribune que vous m’accordez.
RRJ - Un juriste d’entreprise pourquoi et à quoi ça sert ?
CB - Le rôle du juriste est très capital au sein d’une société. Sa mission consiste à défendre les intérêts de l’entreprise pour laquelle il travaille, prévenir et encadrer les litiges qui pourraient survenir, se porter garant de la bonne application de la loi, pour l’entreprise et les tiers bien sûr, exercer une veille permanente de l’actualité légale et sécuriser les opérations juridiques de l’entreprise, tant dans l’environnement national qu’international de son déploiement. On aurait tendance à croire qu’elle s’arrête là, non, au fond, elle s’étend à la rédaction des actes juridiques, c’est le cas des contrats par exemple, et à l’accomplissement des démarches auprès d’organismes privés ou publics. Vous comprenez ainsi qu’il cesse d’être un simple salarié pour devenir un partenaire pour l’entreprise.
RRJ – Il s’agit d’un spécialiste, d’un généraliste du droit ou les deux à la fois?
CB – Voilà deux ou trois ans, la mode était au choix des généralistes dans certaines entreprises en fonction de leur taille. Mais, depuis, tout porte à croire que les spécialistes ont aujourd’hui table ouverte dans les entreprises qui craignaient de les embaucher. D’ailleurs, on le voit bien avec les métiers comme « juriste-fiscaliste » qui sont très prisés. De plus, il est fondamental de comprendre qu’avec le développement des contrats publics au Congo, un spécialiste reste d’une importance majeure ; tout comme avec l’avènement de la fibre optique et l’expansion du secteur de la téléphonie et d’Internet, n’est-il pas inéluctable d’avoir des juristes en NTIC ou en droit du cyberespace, très rodés en matière de contrats électroniques, de contrats informatiques et pourquoi pas en matière de dématérialisation fiscale lorsque le fisc envisage le télérèglement de la TVA ou de l’impôt sur les sociétés. Dans le fond, le généraliste se caractérise par sa transversalité qui est en effet nécessaire en entreprise.
RRJ – Il conseille et oriente les entités internes d'une entreprise dans tout projet, propose un regard légaliste au chef d'entreprise dans la prise de décision. Véritable rôle de stratège ?
CB – Oui, c’est un fin stratège qui participe à la mécanique décisionnelle au sein de l’entreprise. De ce point de vue, sa mission consiste à éviter le risque juridique dans les décisions à prendre sur le court, moyen ou long terme. Il sert aussi d’interface entre la société et les conseils extérieurs de celle-ci (avocats et autres) et sa collaboration est intéressante de la phase de l'instruction d’un dossier à celle de la résolution des problèmes qui se posent. Dans tous les cas, il doit s'assurer que l'entreprise agit en conformité avec la loi, qu'il s'agisse du droit du travail, de la fiscalité ou de la gestion de contentieux. Associé à toutes les grandes décisions commerciales, financières et techniques, il évalue les risques des opérations menées et imagine les montages juridiques les plus avantageux pour son entreprise.
RRJ – Combien de juristes doit on avoir dans une entreprise ?
CB – Dans une PME, il est évident qu’un juriste seul peut travailler mais il est recommandé qu’il soit secondé par un assistant. Dans un grand groupe, le juridique est assuré par un département ou un service bien plus structuré.
RRJ – A quelle l’évolution de carrière peut s’attendre un juriste d’entreprise ?
CB – Les promotions restent difficiles à obtenir pour le juriste d’entreprise en raison de la spécificité de ses tâches. C’est une fonction peu, voire pas du tout hiérarchisée. On trouve généralement le directeur juridique de l’entreprise et /ou ses collaborateurs. La possibilité d’évolution se fait donc en passant dans une société de plus grande taille ou proposant un poste plus important. S’il souhaite changer de type de poste, le juriste peut aussi se tourner vers des fonctions moins juridiques, telles que la direction des relations humaines, les fonctions administratives, pourquoi pas commerciales etc. Ici, comme dans nombre de domaines, cela dépend des circonstances qui entourent la carrière, l’opportunité et l’ambition personnelle...
RRJ - Quelles sont les qualités requises d’un juriste ?
CB – Il faut être armé d’une solide formation juridique complétée, dans l’idéal, par une formation commerciale et/ou un diplôme de langue. On estime qu’un juriste est véritablement opérationnel après trois à cinq ans d’expérience professionnelle. Outre la connaissance d’une, voire deux langues étrangères, le juriste doit acquérir un esprit de rigueur, de synthèse et d’analyse, des capacités rédactionnelles, une habileté dans les négociations, la rapidité, l’ouverture d’esprit et le sens du travail en équipe : telles sont les qualités attendues d’un bon juriste. Ne soyez pas effrayé par cette énumération, ces qualités s’acquièrent avec l’expérience !
RRJ – Que pouvez-vous dire aux entreprises qui refusent d’engager les juristes d’entreprises ?
CB – Ce métier ne fait pas l’objet de publicité, en ce sens qu’il s’agisse de juristes exerçant en cabinet-conseil, en freelance et que sais-je de plus, autant qu’ils sont importants dans la phase de constitution de la société, ils le restent pour la vie de celle-là. La société peut être assimilée à une personne physique car elle connait les mêmes crises, elle naît et meurt, autant que la médecine peut être liée à la vie de la personne humaine.
De plus, engager un juriste à temps plein peut permettre à l’entreprise de gagner beaucoup d’argent en lui prévenant le risque juridique. La fonction est notable et les entreprises peuvent se garder de tomber dans la trappe des contentieux importants en recrutant des juristes performants.
RRJ - Pourquoi cette profession est-elle mal connue du public congolais précisément ?
CB – En Afrique noire francophone plus précisément au Congo, Le recours à l’expertise du juriste a encore du mal à entrer dans les mœurs. Plusieurs raisons peuvent justifier cette attitude.
D’abord parce qu’elle est relativement jeune. C’est essentiellement sous l’impulsion des français que cette profession a connu un certain essor chez nous. D’ailleurs, même en France il y a seulement une trentaine d’années qu’elle est connue grâce à l’impulsion des américains.
De plus, on peut observer que le tissu économique africain est constitué en grande partie d’entreprises de petite taille : PME/PMI. Pour des raisons essentiellement financières, ces entreprises hésitent à s’attacher les services d’un juriste d’entreprise. Elles préfèrent recourir ponctuellement aux prestations d’un juriste, et souvent, c’est en dernier ressort, lorsque le contentieux est devenu inévitable. C’est en revanche lui qu’on appelle une fois l’erreur commise. Le juriste est devenu un personnage fondamental de la vie des entreprises. Il est appelé à jouer un rôle autrement plus intéressant et stratégique que celui de « pompier » dans lequel on l’a longtemps confiné à un rôle moins stratégique.
RRJ – Pour terminer Madame, un son de cloche !
CB – Pour terminer, nous faisons aujourd’hui un constat alarmiste, beaucoup de chefs d’entreprises octroient des postes de juristes aux non juristes, c’est devenu monnaie courante. C’est pratique si ces hommes coûtent moins chers que les juristes, mais pour autant les entreprises ne sont pas à l’abri du risque juridique, qui je le rappelle est partout (dans les contrats, les décisions, les mesures prises…). Qui mieux qu’un juriste d’entreprise peut parler de ces questions en entreprises ?
RRJ – Nous vous remercions Madame.
Propos recueillis par l'équipe RRJ.