Droit du Cyberespace et des NTIC
Marche vers un plaidoyer pour un droit à l’oubli numérique.
Notre rubrique d’actualité du droit des NTIC met en lumière une question qui semble encore occultée voire inaccessible aux divers cybernautes congolais. Il s’agit de la problématique du « droit à l’oubli numérique », une réflexion sur une approche prospective de notre économie numérique.
Pourquoi un droit à l’oubli, approche factuelle : les sites web, blogs, réseaux sociaux disposent quasiment tous d’une boite de dialogue destinée à recueillir des commentaires. L’insertion d’un commentaire dans ce type d’espace induit forcément un fichage, notamment l’identification de l’internaute, peu importe le contenu de ce que l’on dépose dans cet espace : injure, diffamation, éléments ou aspects inhérents à la vie privée, vie familiale, données personnelles, éloge, propos courtois...
Est-il aisé de se faire oublier sur internet ? Un adolescent congolais laisse un commentaire injurieux, sadique ou des images obscènes sur un réseau social ; quelques années plus tard, il cherche un emploi, et l’employeur qui le recrute pense « googler » son nom et tombe dessus, que se passe-t-il ensuite ? Est-on certain de ne pas retrouver ce commentaire, cette image ou ce contenu peu recommandable plus tard ou en tapant simplement le nom de l’individu sur un moteur de recherche.
Il apparaît une limite infiniment ignorée des internautes mais restant greffée à « Internet », le stockage pérenne des données mises en ligne, ce qui d’ailleurs marque le clivage avec l’archive des journaux ou colonnes de presse. C’est une vérité de la Palice d’affirmer que les informations sur Internet restent visibles de façon permanente et peuvent impacter la vie, la carrière, l’avenir voire les ambitions de nombreuses personnes.
La vie privée de milliers d’internautes est mise à mal par ce que les spécialistes conçoivent comme une « mémoire eidétique », capteur global d’informations dont la gravure reste, à ce jour, indélébile. Véritable étreinte au droit des libertés fondamentales, il semble même que l’absence d’oubli tord le cou à l’ordre public numérique, s’il en existe un. Pourquoi : tout est préservé, des erreurs de jugements aux images postées, rien ne se perd mais tout y reste. La mode étant au traçage et au fichage d'internautes, pourtant notre ère correspond très exactement à l’ « ère numérique » comme nous sommes tous enthousiasmés par cette mutation profonde de notre société moderne et aussi à l’ère de l’Etat de droit.
Qu’est-ce que le droit à l’oubli numérique ? C’est le droit de se faire oublier sur Internet, autrement dit pouvoir exercer un contrôle tout le temps sur les données personnelles ou informations mises en ligne un jour ou l’autre. Ce droit consiste précisément dans le fait de pouvoir transformer, modifier ou supprimer les données publiées sur Internet, autoriser les transferts de données vers d’autres utilisateurs (c’est le cas des entreprises faisant de la vente en ligne dont la stratégie de vente passe essentiellement par le marketing en ligne vers des utilisateurs glanés sur le web), préserver son intimité malgré le contenu publié puis la non-indexation de certains contenus. De plus, il est envisageable sous l’angle de la volonté de certains acteurs de quitter des sites, espaces, réseaux qu’ils ont régulièrement fréquentés y étant inscrits, quoique de longue date.
Ce droit, aux relents de liberté fondamentale à naître, dont la percée confirme l’importance grandissante vise à brider la spoliation des libertés individuelles, de l’intégrité morale, de la vie privée et familiale ou toute autre forme de droits fondamentaux faisant les frais d’une société de l’information dont les dimensions et limites demeurent méconnues.
Ce droit peut être perçu comme le gage de la protection des internautes contre la « cyber-délinquance », tout d’abord les mineurs ne pourront plus avoir accès à tout contenu disponible dans l’espace numérique, ensuite les nouvelles formes de déploiement de la criminalité : vols d’identité, arnaques numériques, contacts par courriels avec des inconnus donnant l’impression de connaître l’interlocuteur au pied de la lettre… Moins on a d’informations disponibles en ligne, moins on risque d’avoir d’ennuis.
En réalité, le contexte de production de ce droit doit somme toute être légal : une loi sur le cyberespace ou l’économie numérique qui aborde formellement la protection des données à caractère personnelles des utilisateurs d’Internet, ce qui n’est pas le cas actuellement avec la loi sur la règlementation des télécommunications du 26 mai 1997.
En ce sens, elle déterminera les conditions de la collecte des données, la durée de conservation des données à caractère personnel, les modalités d'exercice du droit d'opposition et les conditions d'indexation desdites données sur Internet. Partant, la République du Congo pourrait soumettre une charte, à certains acteurs du numérique (sites, réseaux sociaux ou moteurs de recherche…), les incitant à faire valoir les conditions générales d'utilisation des pages, les droits des utilisateurs, l’utilisation des outils pour régler les paramètres de confidentialité…
Il convient d’ériger en principe « l’autorisation d’utiliser les données à caractère personnel » ; en d’autres termes, le consentement préalable de l’internaute qui met en ligne, volontairement ou involontairement ses données, devra s’imposer puis les délais de conservation devront être déterminés. Il est important de constater que le droit européen a admis le principe d’un an en guise de durée de stockage des données personnelles après des tractations avec le géant de la recherche numérique Google, tandis que la Commission française de l’informatique et des libertés milite, elle, en faveur de six (6) mois de stockage, après coup il faudra supprimer toutes les données enregistrées. Loin de l’emporter, la commission n’en démord pas.
L’intérêt de la loi résidera dans le fait de rendre transparent l’exploitation des données à caractère personnel et organiser leur gestion, ainsi il serait vraisemblablement indiqué de considérer que les sociétés gérant les sites web pourront mettre en place des bureaux de réclamation en ligne, à l’image des services clients en ligne, habilité à supprimer les données à la requête du cybernaute. Tout au plus, c’est bien l’occasion de s’interroger sur une loi congolaise sur le cyberespace qui disposera sur les nombreux défis à relever : les transactions et le commerce électronique, les TIC et la gouvernance locale, le paiement électronique et la cryptographie,, le télétravail, le télécontrôle et la cybersurveillance, la convergence numérique, l’actualisation de la loi sur la régulation des télécommunications, la signature électronique, la protection des logiciels, après avoir fixé le cadre des principes fondamentaux de ce droit.
Aubin NZAOU