Dans cet arrêt qui opère un renvoi devant une autre Cour d'appel, la Cour de cassation vient confirmer le principe de la réparation du préjudice particulier causé par l'infraction. Il s'agit d'une application de la jurisprudence constante de la Cour de cassation appliquée à la matière contractuelle et au principe de l'effet relatif des contrats.
Le Texte intégral :
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. X... a été poursuivi devant le tribunal correctionnel des chefs susvisés ; qu’il lui était reproché, en sa qualité de dirigeant de la société Edify Promotion, d’avoir, avec l’intention de porter atteinte aux droits de la société Agence pour l’urbanisme (ci-après “la société APU”), fait défense le 29 janvier 2016 au tiré de payer quatre chèques pour un montant total de 115 400 euros, ainsi que d’avoir retiré tout ou partie de la provision de son compte après avoir émis ces chèques ; que, par jugement en date du 13 septembre 2017, le tribunal a déclaré le prévenu coupable des faits qui lui étaient reprochés et l’a condamné à trois mois d’emprisonnement avec sursis et 15 000 euros d’amende ; que le tribunal a par ailleurs reçu la constitution de partie civile de la société APU et a condamné le prévenu à lui payer la somme de 115 400 euros en réparation du préjudice matériel ; que le prévenu, le ministère public et la partie civile ont interjeté appel du jugement ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 131-35, L. 163-2 du code monétaire et financier, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
“en ce que l’arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable d’opposition au paiement de quatre chèques avec l’intention de porter atteinte aux droits d’autrui commis le 29 janvier 2016 à Mulhouse et de retrait de la provision de quatre chèques avec l’intention de porter atteinte aux droits d’autrui commis du 24 mars au 1er juin 2016 à Mulhouse, en répression, l’a condamné à la peine de quatre mois d’emprisonnement assorti d’un sursis avec mise à l’épreuve pendant dix-huit mois et à l’obligation particulière de l’article 132-45 5° du code pénal de réparer les dommages causés par l’infraction et a statué sur les intérêts civils ;
“1°) alors que le délit de blocage d’un chèque n’est constitué que si se trouve caractérisée la volonté de porter atteinte aux droits d’autrui ; que le seul constat que l’opposition a été faite hors des cas prévus par la loi est insuffisant à caractériser une telle intention coupable ; qu’en l’espèce, pour juger que M. X... avait fait opposition aux quatre chèques litigieux dans l’intention de porter atteinte aux droits de l’APU, la cour d’appel a relevé que cette opposition n’était motivée par aucune des circonstances prévues par l’article L. 131-35 du code monétaire et financier pour qu’il puisse être fait opposition, à savoir la perte, le vol ou l’utilisation frauduleuse du chèque ; qu’en statuant par un tel motif impropre à caractériser l’intention de porter atteinte aux droits d’autrui, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
“2°) alors que le délit de blocage d’un chèque n’est constitué que si se trouve caractérisée la volonté de porter atteinte aux droits d’autrui ; que tel n’est pas le cas lorsque l’opposition intervient en relation avec une contestation du bien-fondé de la créance fondamentale ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que l’opposition était intervenue dans un contexte commercial conflictuel entre M. X... et l’APU, M. X... faisant valoir que cette dernière n’avait pas respecté ses engagements contractuels de sorte que le paiement du solde de ses honoraires ne lui était pas dû ; qu’en jugeant que le prévenu avait fait opposition aux quatre chèques dans l’intention de porter atteinte aux droits de l’APU quand il ressortait de ses propres constatations que le prévenu contestait le bien-fondé de la créance, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;
“3°) alors que le délit de retrait de provision n’est constitué que si se trouve caractérisée la volonté de porter atteinte aux droits d’autrui ; que tel n’est pas le cas lorsque le retrait de provision intervient en relation avec une contestation du bien-fondé de la créance fondamentale ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté que le retrait des provisions était intervenu dans un contexte commercial conflictuel entre M. X... et l’APU, M. X... faisant valoir que cette dernière n’avait pas respecté ses engagements contractuels de sorte que le paiement du solde de ses honoraires ne lui était pas dû ; qu’en jugeant que le prévenu avait retiré les provisions des quatre chèques litigieux dans l’intention de porter atteinte aux droits de l’APU quand il ressortait de ses propres constatations que le prévenu contestait le bien-fondé de la créance, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;
“4°) alors que le fait que le prévenu ait agi volontairement en faisant opposition à un chèque ne suffit pas à caractériser l’intention de porter atteinte aux droits d’autrui ; qu’en relevant par motifs propres et adoptés pour juger M. X... coupable du délit d’opposition au paiement d’un chèque qu’il avait agi volontairement, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
“5°) alors que le fait que le prévenu ait agi volontairement en retirant une provision ne suffit pas à caractériser l’intention de porter atteinte aux droits d’autrui ; qu’en relevant par motifs propres et adoptés pour juger M. X... coupable du délit de retraits de la provision d’un chèque qu’il avait agi volontairement, la cour d’appel a encore privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés”.
Sur le moyen, pris en ses première, quatrième et cinquième branches :
Vu l’article 567-1-1 du code de procédure pénale ;
Attendu que les griefs ne sont pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches :
Attendu que pour confirmer le jugement sur la culpabilité, l’arrêt relève que M. X... a émis divers chèques au profit de la société APU dans le cadre de leurs relations professionnelles, destinés à couvrir la réalisation des prestations que celle-ci devait effectuer et qu’à la suite d’une détérioration des relations entre les parties, le prévenu a dans un premier temps fait défense à sa banque de régler les chèques émis, puis a dans un second temps retiré les provisions de ces chèques pour faire échec au paiement, et ce au mépris des droits de la bénéficiaire de ces instruments de paiement ; que les juges ajoutent que M. X... a sciemment formé opposition le 29 janvier 2016 au paiement des chèques en raison d’un différend avec la société APU, sachant qu’en agissant ainsi les chèques ne seraient pas honorés, sans qu’aucune des circonstances le permettant, prévues par l’article L. 131-35 du code monétaire et financier, ne soit caractérisée ; qu’ils énoncent encore qu’en retirant la provision du compte de la société Edify Promotion, qui était pourtant in bonis, M. X... a volontairement porté atteinte aux droits de la société APU, afin qu’elle ne soit pas payée des chèques émis, alors qu’en sa qualité d’homme d’affaires et de dirigeant de sociétés habitué au moyens de paiement, il ne pouvait ignorer qu’en agissant ainsi il portait atteinte aux droits de la société APU, nés de leurs relations contractuelles ; qu’ils retiennent enfin que le prévenu ne peut sérieusement soutenir comme il tente désormais de le faire que les chèques n’auraient été remis qu’en garantie et non en paiement, et qu’il s’est ainsi rendu coupable des deux délits qui lui sont reprochés ; Attendu qu’en l’état de ces motifs, procédant de son appréciation souveraine, et dès lors que le demandeur ne démontrait pas, ni même n’alléguait, que la créance de la bénéficiaire des chèques était manifestement infondée, ce dont il se déduit que l’intéressé a eu l’intention de porter atteinte aux droits de la bénéficiaire des chèques remis en paiement de cette créance, la cour d’appel a justifié sa décision ;
D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 et 1383 devenus 1240 et 1241 du code civil, 2, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
“en ce que l’arrêt attaqué, après avoir déclaré M. X... entièrement responsable du préjudice subi par la société Agence pour l’Urbanisme, a condamné M. X... à payer à cette dernière la somme de 115 400 euros en réparation du préjudice matériel subi ;
“1°) alors que l’action civile en remboursement de la créance que la remise du chèque était destinée à éteindre ne pouvant être dirigée que contre le débiteur, les juges du fond ne peuvent condamner l’auteur du délit de retrait de provision à rembourser le montant d’une créance dont il n’était pas personnellement débiteur ; qu’en l’espèce, en condamnant M. X... à rembourser, sous le couvert de dommages-intérêts destinés à réparer le préjudice causé par l’infraction, le montant exact des quatre chèques litigieux dont la seule débitrice était la société Edify Promotion non présente à l’instance, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
“2°) alors que l’action civile en remboursement de la créance que la remise du chèque était destinée à éteindre ne pouvant être dirigée que contre le débiteur, les juges du fond ne peuvent condamner l’auteur du délit de blocage de chèque à rembourser le montant d’une créance dont il n’était pas personnellement débiteur ; qu’en l’espèce, en condamnant M. X... à rembourser, sous le couvert de dommages-intérêts destinés à réparer le préjudice causé par l’infraction, le montant exact des quatre chèques litigieux dont la seule débitrice était la société Edify Promotion non présente à l’instance, la cour d’appel a violé les textes susvisés”.
Vu les articles L. 163-9 du code monétaire et financier, 2 et 3 du code de procédure pénale ;
Attendu que l’action civile, en remboursement de la créance que la remise du chèque était destinée à éteindre, ne peut être dirigée que contre le débiteur lui-même ;
Attendu que pour condamner M. X... à payer à la société APU 115 400 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel, l’arrêt retient qu’il convient de confirmer les dispositions du jugement sur le préjudice matériel subi par la société APU, s’élevant à 115 400 euros correspondant au montant des quatre chèques dont le prévenu s’est attaché à empêcher le paiement ; que les juges ajoutent, prononçant sur l’appel incident de la société APU, que la partie civile sollicite les intérêts au taux légal à compter de la date de présentation des chèques du 10 février 2016 pour les deux premiers chèques, et à compter du 3 mars 2016 pour les deux autres, mais qu’il y a néanmoins lieu de retenir comme point de départ des intérêts la date de la décision retenant la culpabilité du prévenu, soit en l’espèce, compte tenu de sa confirmation sur ce point, celle du jugement entrepris ;
Mais attendu qu’en se déterminant par de tels motifs, dont il ressort que sous le couvert de dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice particulier causé par l’infraction, les juges ont ordonné le remboursement d’une créance contractuelle préexistante, dont la seule débitrice était la société Edify Promotion, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;
D’où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de COLMAR, en date du 24 avril 2018, mais en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de COLMAR, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
Au terme de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, l'action civile exercée devant les juridictions à pour vocation de réparer le préjudice causé par l'infraction.
Ce préjudice doit avoir été subi personnellement par la partie civile et lui avoir occasionné un préjudice certain et direct.
Concernant la réparation intégrale du préjudice, celle-ci doit indemniser toutes les conséquences dommageables, mais rien que les conséquences dommageables.
Aussi, concernant l'action civile exercée devant les juridictions répressives, la Cour de cassation a rappelé à de nombreuses reprises que la réparation doit être en lien avec la valeur protégée par l'infraction.
Dans le présent arrêt, la Chambre criminelle vient casser un arrêt d'appel concernant l'action civile en précisant une fois encore le principe de réparation intégrale du préjudice.
En ce sens, elle rejette l'indemnisation relative à une dette contractuelle en ce qu'elle n'est pas un préjudice "particulier" causé par l'infraction.
Il conviendra de préciser que, dans ce cas, la dette contractuelle était née antérieurement à l'infraction et imputable à une personne autre que l'auteur de l'infraction.
L'action civile à pour vocation de réparer le préjudice, tout le préjudice, rien que le préjudice.
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