L’exception d’inexécution : Le Droit de ne pas faire

Publié le 26/01/2018 Vu 34 588 fois 0
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Un contrat engage les parties à des obligations réciproques. En d’autres termes, les cocontractants sont chacun obligés de donner, de faire ou de ne pas faire quelque chose en contrepartie de quoi l’autre devra également s’exécuter. Pour autant, quelle attitude adopter lorsque l’autre partie ne remplit pas son obligation ?

Un contrat engage les parties à des obligations réciproques. En d’autres termes, les cocontractants sont c

L’exception d’inexécution : Le Droit de ne pas faire

Les obligations qui naissent du contrat

Le contrat doit être envisagé comme un acte juridique visant à prévoir, à organiser une situation donnée.

Il permet de sécuriser une relation naissant entre les parties en stipulant des obligations en général réciproques.

Dans ce cas, il conviendra de parler de contrat synallagmatique (article 1106 du Code civil).

C’est véritablement cette double dimension, de prévoyance et de sécurisation, que le législateur a voulu donner au contrat

En effet, au terme des articles 1101 et suivants du Code civil :

« Le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ».

« Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».

« Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. »

Il existe une multitude de classifications légales des différents types de contrats.

A ce titre, l’article 1111-1 du Code civil distingue entre les contrats à exécution instantanée, qui se réalisent en un trait de temps comme par exemple l’achat d’une baguette de pain, et les contrats à exécution successive dont les prestations réciproques s’échelonnent dans le temps.

Le présent article s’intéresse majoritairement à cette dernière catégorie.

En effet, nonobstant le fait que les contrats légalement formés doivent être exécutés de bonne foi, il existe une dérogation légale permettant de se soustraire temporairement à cette obligation dans la mesure où le cocontractant se serait lui-même antérieurement soustrait à ses obligations.

Cette « dérogation légale » s’appelle l’exception d’inexécution.

Il convient dès lors d’envisager quels en sont les conditions et les effets.

    

  


I/ Les conditions relatives à l’exception d’inexécution

Au terme de l’article 1219 du Code civil :

« Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. »

Ainsi, l’exception d’inexécution constitue un moyen de droit légal permettant à une partie au contrat de se soustraire temporairement à ses obligations.

Cette possibilité n’est offerte que si et seulement si son cocontractant s’est lui-même inexécuté, et ce antérieurement.

Ce faisant, l’article 1219 du Code civil priverait la partie qui se serait inexécutée la première du pouvoir de réclamer l’exécution des obligations dont elle se prévaut, ou pire, d’engager la responsabilité contractuelle de son cocontractant sur le fondement de l’article 1231-1 du Code civil.

Précisons que cette protection légale est strictement encadrée de sorte qu’elle ne doit pas être invoquée à la légère

En effet, la jurisprudence de la Cour de cassation encadre sévèrement les conditions relatives à l’exception d’inexécution.

  

  

A/ L’unicité contractuelle : l’inexécution relative au même contrat ou ensemble contractuel

À titre préliminaire, la Juridiction Suprême rappelle que l’article 1219 ne peut être invoqué que concernant les obligations d’un même contrat.

Chambre commerciale de la Cour de cassation, 26 novembre 1973, Bull civ V, n°340 

1ère Chambre civile de la Cour de cassation, 20 mai 2003 n°00-19.752 P

Dès lors, il n’est pas possible de refuser de s’exécuter si l’autre partie au contrat s’est elle-même inexécutée concernant un autre contrat.

En d’autres termes et à titre d’exemple, il n’est pas possible de refuser de rembourser les échéances mensuelles d’un prêt à un établissement bancaire au motif que celui-ci n’aurait pas remis une carte bancaire en temps et en heure, il s’agit en l’espèce de deux contrats distincts, et ce même si les parties sont les mêmes.

A contrario, il semblerait possible de se soustraire temporairement à son obligation de rembourser les échéances mensuelles d’un prêt si la banque s’est antérieurement soustraite à son obligation de délivrer les fonds objet du contrat à la date prévue.

Une exception demeure à ce principe de l’unité de contrat, celle des ensembles contractuels où chaque contrat est intimement lié avec les autres de telle manière qu’ils ne sauraient être envisagés individuellement.

Dans ce cas, le régime de l’exception d’inexécution pourrait également trouver à s’appliquer.

Chambre commerciale de la Cour de cassation, 12 juillet 2005,  JCP 2005 I 194

  

  

B/ La preuve de l’exception d’inexécution

Au terme de l’article 1353 du Code civil :

« Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. »

En somme, s’il appartient à celui qui reproche l’inexécution de la prouver, il appartient à celui qui s’en défend de prouver que son inexécution trouve son fondement dans celle de son cocontractant intervenue antérieurement.

Cette règle de preuve tirée du droit commun est rappelée par la Cour de cassation concernant la preuve de l’inexécution initiale fondant l’exception d’inexécution : il appartient à celui qui s’en prévaut de la démontrer.

1ère Chambre civile de la Cour de cassation, 18 décembre 1990, n°89-14. 975 P

  

  

C/ La gravité de l’inexécution initiale

Concernant la condition légale relative à la gravité de l’inexécution initiale, la jurisprudence précise sur ce point que les juges du fond doivent procéder à une appréciation in concreto, en fonction de la situation d’espèce.

« L’inexécution par l’une des parties de quelques-uns de ses engagements n’affranchit pas nécessairement l’autre de toutes ses obligations ; Il appartient au juge de décider d’après les circonstances si cette inexécution est suffisamment grave pour entraîner pareil résultat »

Chambre sociale de la Cour de cassation, 21 octobre 1954, Bull civ IV, n°613

Cette condition est particulièrement lourde et fait peser sur celui qui se prévaut de l’exception un risque particulièrement important trouvant à se concrétiser dans l’aléa judiciaire.

A titre d’exemple :

« N'est pas fondé à suspendre le paiement des loyers le locataire qui invoque une ventilation défectueuse des lieux loués, équipés de ventilateurs il est vrai non agréés, sans apporter la preuve de leur caractère dangereux, ni même d'une imperfection rendant impossible l'usage normal des locaux »

1ère Chambre civile de la Cour de cassation, 26 mai 1961, Bull civ I n°264

Dans le même sens :

« Des copropriétaires, tenus de participer aux charges de copropriété en application des dispositions d'ordre public de la L. du 10 juill. 1965, ne peuvent refuser de payer ces charges en opposant l'inexécution de travaux décidés »

3ème Chambre civile de la Cour de cassation, 19 décembre 2007, n°06-21.012 P

Dès lors, il appartiendra à celui qui entend se prévaloir de l’exception d’inexécution d’être particulièrement prudent.

Si les conditions précitées conditionnant le bénéfice de l’exception d’inexécution sont réunies, celle-ci produira des effets limités

   

   


II/ Les effets de l’exception d’inexécution

Si l’exception d’inexécution est judiciairement constatée, le contrat à l’origine des obligations réciproques ne s’en trouve pas anéanti, il conserve vocation à être exécuté :

« Il suffit que le débiteur s’exécute pour que s’évanouisse la protection du créancier qui doit lui-même s’exécuter »

Chambre commerciale de la Cour de cassation, 15 janvier 1973, D. 1973, 473 Note Ghestin,

Chambre commerciale de la Cour de cassation, 1er décembre 1992, n°91-10.930

Dès lors, si l’exception d’inexécution constitue effectivement un moyen de défense contre une action en responsabilité dirigée à son endroit, il n’en demeure pas moins qu’en cas d’exécution même tardive de l’autre partie, celui qui se prévaut de se moyen de défense devra s’exécuter.

Concernant l’exemple envisagé ci-avant du client d’une banque qui refuserait de payer les échéances mensuelles d’un crédit en raison de l’inexécution antérieure de la banque quant à son obligation de livrer les fonds objet du contrat, si l’exception d’inexécution peut le protéger contre toute action de la banque, dès lors que celle-ci délivrera les fonds, le client devra à son tour lui verser l’ensemble des mensualités normalement dues.

Dans le cas contraire, sa responsabilité contractuelle pourrait alors être engagée, l’exception d’inexécution ne le protégeant plus.

En tout état de cause, si l’exception d’inexécution permet à celui qui s’en prévaut d’être protégé contre toute action diligentée par son cocontractant, une autre porte s’ouvre également à lui.

En effet, il pourra se prévaloir de la mauvaise exécution initiale de l’autre partie et ainsi engager sa responsabilité contractuelle sur le fondement de l’article 1231-1 du Code civil.

Précisons que cette demande pourra être formulée à titre reconventionnel à l’occasion de l’instance diligentée par l’autre partie au contrat par laquelle elle entendait reprocher l’inexécution contractuelle du défendeur et ce sans que ce dernier n’ait lui même à saisir par ailleurs une autre juridiction.

  


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