Cambrioler dans les chambres d'hôtel, c'est moins risqué que braquer une banque

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Cambrioler dans les chambres d'hôtel, c'est moins risqué que braquer une banque

Tribunal correctionnel de Paris, début juillet. Debout dans le box, trois hommes aux visages graves fixent la présidente d'un air interrogateur. D'origine russe, ils parlent un français approximatif. L'interprète décrypte en simultané ce qu'énonce la présidente. "Vous êtes prévenus d'avoir soustrait des objets à plusieurs clients séjournant dans trois grands hôtels parisiens, vous êtes aussi poursuivis pour avoir détenu et utilisé de faux passeports."

C'est un membre du personnel hôtelier qui avait repéré les allées et venues suspectes entre les étages. Alertés, les policiers ont traqué leurs déplacements et ont interpellé les compères au volant de la voiture devant les conduire vers leur cache secrète. Le matériel de base du parfait cambrioleur était soigneusement entreposé dans le coffre : morceaux de fil de fer tordu, tournevis, lampes torches, tiges métalliques, feuilles sur lesquelles étaient consignés de précieux renseignements sur des clients de l'hôtel, les futures proies de ces gentlemen cambrioleurs.

Les policiers ont ensuite perquisitionné leur chambre d'hôtel, dans un établissement discret du 13e arrondissement. Ils sont tombés sur un véritable trésor de guerre : stylos en or massif, vêtements, bijoux de luxe et liasses de billets s'élevant à plus de 40.000 euros.

Des plaintes de clients séjournant dans deux autres établissements ont permis aux enquêteurs d'élargir le rayon d'action des cambrioleurs.

Cerise sur le gâteau : les empreintes digitales relevées sur les lieux ont confondu l'un des trois pour d'autres vols commis en 2006 pour un montant de 24.897 euros. Le client avait déposé plainte, mais, faute de retrouver l'auteur, la procédure avait été classée.

- Messieurs, reconnaissez-vous ces vols ?

- Oui, répondent les trois par le truchement de l'interprète.

- Les vols ont donc été organisés entre vous avant d'arriver en France ?

- Non...

- Alors, vous vous êtes retrouvés là par hasard ? doute la présidente.

Ils nient, pour couper court aux lourdes peines sanctionnant le vol avec préméditation en bande organisée.

- Vos téléphones ont pourtant été activés le même jour, deux semaines avant les vols, insiste la présidente. Et vos communications montrent que vous étiez tous dans le périmètre des hôtels visités. Nous savons aussi que vous avez acheté des passeports avant de venir en France ? Qui a fourni les passeports ?

- Je les ai achetés en Autriche pour 700 euros, répond l'un.

La procureur ne montrera aucune once de tolérance à l'égard des prévenus.

- Ces messieurs ne sont ni des Robins des Bois ni des Arsène Lupin. Certes, ils ont commis des infractions sans violence, mais ils dérobent des gens fortunés. Est-ce pour secourir des gens pauvres ? Certainement pas ! C'est pour des raisons purement crapuleuses. On va chercher l'argent là où il se trouve, et cambrioler dans les chambres d'hôtel est moins risqué que le fait de braquer une banque...

Les trois prévenus aux visages glacés écoutent la traduction pendant que leurs avocates prennent quelques notes.

- On est en présence d'une petite entreprise ayant un but précis et qui fonctionne à trois, poursuit la procureur. L'un s'attaque aux chambres et dérobe les objets, l'autre fait le guet et le dernier est logisticien, il fournit la caisse à outils et fait les repérages. Je demanderai donc des peines identiques pour les trois, à savoir deux ans de prison, dont un sursis de six à douze mois, et l'interdiction du territoire français pendant trois ans. En clair, je souhaite qu'on ne les retrouve pas sur notre route ! conclut-elle sèchement.

Sans surprise pour le spectateur, le premier avocat à l'accent russe s'inscrit en faux, tout en essayant d'adoucir le tableau.

- Ils sont amis d'enfance, ils proviennent d'écoles prestigieuses en Russie. Le destin a fait qu'ils ont résidé en Biélorussie dans de dures conditions. Monsieur R. a été puni par le destin, comment ils se sont "pris au jeu" après avoir appris la méthode d'ouverture des coffres sur Internet.

- Mes clients ont souffert pendant leur détention, personne ne parle le russe en prison. Ils ont compris que le jeu était perdu. Ils souhaitent retourner voir leur famille.

La deuxième avocate insistera sur la stabilité professionnelle de son client.

- C'est un intellectuel. Il suit encore à 34 ans des études de commerce à l'université de Moscou. Il a beaucoup d'ambition, ose-t-elle. Et puis il faut comprendre que la notion d'entraide et de collaboration est normale en Russie.

Et l'avocate, rappelant que son client a un casier vierge, d'implorer le tribunal de ne pas ordonner l'interdiction du territoire français.

Les magistrats condamneront les trois hommes à un an de prison, avec une possibilité d'aménagement des peines, et prescriront, au grand dam des avocates, l'interdiction du territoire pendant trois ans.

Un rideau de désillusion recouvre le visage des hommes. Avant de repartir entre les deux policiers, l'un d'entre eux se retourne vers la présidente et lance, avec une pointe d'amertume :

- Merci beaucoup, Madame ! Merci !


Par Laurence Neuer. Publié le 10/08/2010 à 07:00 - Modifié le 10/08/2010 à 10:54. Le Point.fr

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