Le manquement à l'obligation de loyauté à l'égard de l’associé

Publié le 26/07/2010 Vu 17 834 fois 0
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Partout où se niche un pouvoir dont l'homme est susceptible d'abuser ; ressurgit l'obligation de loyauté. Que ce soit la sincérité contractuelle dans la formation du contrat ou la bonne foi contractuelle dans l'exécution du contrat.

Partout où se niche un pouvoir dont l'homme est susceptible d'abuser ; ressurgit l'obligation de loyauté. Qu

Le manquement à l'obligation de loyauté à l'égard de l’associé

Introduction

 

Être dirigeant dans une structure sociétaire entraîne des droits et des obligations tant vis-à-vis des associés que vis-à-vis des tiers. Toute faute de la part du dirigeant dans la mission qui lui est confiée entraîne de sa part une responsabilité, laquelle peut être soit une responsabilité civile, soit une responsabilité pénale.

A côté de ces responsabilités, une nouvelle notion est apparue depuis quelques années, notion née de la jurisprudence française, celle du devoir de loyauté du dirigeant social.

C'est à cette notion  que répond la Chambre commerciale de la Cour de cassation française dans son arrêt du12 mai 2004. Cet arrêt de principe rendu sous le visa de l'article 1382 du Code civil français précise la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation sur l'obligation d'information dans les contrats. Les faits méritent d'être précisément exposés au regard de leur complexité. Le président du conseil d'administration d'une société avait constitué, avec d'autres actionnaires, une seconde société dont il était aussi le dirigeant. Ce dernier avait convaincu deux associés de céder leurs titres à la nouvelle société pour un prix unitaire de 1 800 F. Le dirigeant ne les avait nullement informés qu'il menait en parallèle d'autres négociations avec une troisième société. Deux mois plus tard, la société tierce a acquis 955 actions de la première société, mais plus encore, la quasi-totalité des actions de la deuxième société, qu'elle absorbera par la suite. Il convient de préciser que ces acquisitions se sont réalisées pour un prix unitaire de 4 022 F. Les actionnaires minoritaires cédants, estimant avoir été victimes d'un dol par réticence, ont demandé que le dirigeant et la société cessionnaire soient condamnés à leur payer des dommages et intérêts. Les juges du fond ont rejeté cette demande, au motif, notamment, qu'il n'était pas prouvé qu'au jour de la cession « le prix de l'action avait déjà été fixé ni que l'absorption de la société était acquise, ceux-ci étant conditionnés par la possibilité pour la société [absorbante] d'acquérir l'ensemble des actions et donc par l'attitude des actionnaires minoritaires ».

L'apport majeur de la décision de la Cour de cassation est d'affirmer clairement que les dirigeants de société sont tenus d'un devoir de loyauté et d'information à l'égard des associés. Cette obligation de loyauté repose sur une relation de confiance entre les dirigeants et les actionnaires.  On peut évoquer le devoir qu'aurait un associé de ne pas concurrencer la société dont il est membre ; le devoir qu'il aurait, s'il est un actionnaire de référence, de contribuer au financement de la société, afin de lui éviter les affres d'une, procédure collective et enfin, le devoir de la minorité de ne pas abuser de son pouvoir d'obstruction lorsqu'elle compromet de ce fait le fonctionnement de la société et nuit à l'intérêt social.

Quelle est donc l'obligation de loyauté et d'information qui s'impose dans les cessions d'actions ?

Nous distinguerons donc clairement les deux défendeurs comme le fait la Cour de cassation. En effet, elle prononce une absolution du cessionnaire (I), pour ensuite condamner le dirigeant (II).

I. L'absolution du cessionnaire

Les cédants lésés affirment que lorsqu'ils ont cédé leurs actions à la société financière Beley, ils n'ont pas été informés de l'existence de négociations, alors en cours, entre les sociétés Beley et Financière Beley, toutes deux représentées par leurs dirigeants, Samuel Beley, et la Société Former. Les demandeurs considèrent que la cour d'appel a commis une erreur de droit en les déboutant. Le fait d'avoir caché les négociations en cours constituerait une réticence dolosive. La dissimulation de l'information aurait été déterminante de leur consentement. Mais il se pose un problème de preuve car rien ne permet de prouver qu'au jour de la cession le prix de l'action avait été fixé et la fusion absorption arrêtée. Il découle de la lettre de l'article 1116 du Code civil que le dol est qualifié lorsque « les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ».

Il convient de préciser que la sanction du dol est la nullité de la convention. Bien que non envisagée par les parties, la nullité était néanmoins envisageable, au lieu ou en complément de la responsabilité du dirigeant. Plutôt que de remettre en cause le principe même de la cession en réclamant la nullité, les cédants ont préféré rechercher un rééquilibrage, fût-il indirect, de cette convention par l'obtention d'une condamnation à des dommages et intérêts.

Afin de dissiper tout malentendu, la Cour de cassation affirme sous forme d'un attendu de principe que « le cessionnaire n'est tenu d'informer le cédant ni des négociations tendant à l'acquisition par un tiers d'autres titres de la même société, ni de celles qu'il conduit lui-même avec ce tiers en vue de lui céder ou de lui apporter les titres faisant l'objet de la cession ». La société cessionnaire n'a donc pas une obligation d'information concernant les négociations entreprises avec un tiers.

La Cour de cassation manifeste ainsi incontestablement une certaine bienveillance à l'égard du cessionnaire. Il ne doit pas vicier le consentement du cocontractant mais il n'est pas pour autant tenu d'une obligation d'information qui consisterait à révéler aux cédants qu'il négocie avec d'autres personnes la cession des mêmes actions à un prix bien supérieur. La position de la Cour de cassation peut être considérée, à certains égards, comme logique, car il serait éminemment contestable d'imposer à un acquéreur de révéler aux cédants que le prix qui leur est proposé est trop faible. Certes, le droit a une fonction de régulation mais il ne peut protéger les personnes trop crédules.

Certes, le contrat de société est fondé sur l'affectio societatis, c'est à dire sur la volonté de courir en commun des chances de gain et des risques de perte. Il crée entre les associés une communauté d'intérêts. Mais celle-ci n'existe qu'entre associés. Les intérêts du cédant et ceux du cessionnaire sont antagonistes. Il serait donc déraisonnable d'imposer à tout contractant une obligation illimitée d'information. C'est pour cette raison que la Cour de cassation absout le cessionnaire, mais le dirigeant est néanmoins condamné.

II.  La condamnation du dirigeant

La condamnation pour manquement au devoir de loyauté a déjà été consacrée dans l'arrêt Vilgrain rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 27 février 1996. Mais, ce devoir ressort génétiquement modifié par l'arrêt du 12 mai 2004.

Bien qu'aucun texte ne fasse expressément peser sur le dirigeant un devoir de loyauté, celui-ci est sous-jacent en droit français. L'obligation de bonne foi en matière contractuelle, dont l'application s'impose dans le contrat de société, correspond à une obligation de loyauté. La bonne foi en matière contractuelle est prévue par l'article 1134 du Code civil.

Le fondement de l'arrêt commenté est l'article 1382 du Code civil, texte éminemment emblématique de la responsabilité civile. Devant être exécutée avant la cession d'actions, l'obligation de loyauté et d'information est une obligation précontractuelle dont la violation est habituellement sanctionnée sur cette base juridique. L'utilisation du droit de la responsabilité civile permet à la Chambre commerciale de la Cour de cassation d'imposer une obligation de faire aux dirigeants de sociétés. Les mandataires sociaux sont ainsi tenus d'agir en respectant l'égalité de traitement entre associés. Ils sont donc obligés d'informer l'ensemble des actionnaires, notamment les minoritaires.

Par conséquent, le droit boursier ne s'applique pas aux sociétés fermées, mais grâce au droit commun, la Cour de cassation parvient à se rapprocher des principes applicables aux sociétés cotées, tels que, par exemple, l'interdiction d'utiliser des informations privilégiées.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation fonde son arrêt sur l'article 1382 du Code civil alors que l'obligation de loyauté pourrait certainement être appréhendée sur le fondement des textes spécifiques à la responsabilité des dirigeants de sociétés. Il convient de vérifier cette affirmation. Pour ce faire, il faut rechercher si le manquement à cette obligation de loyauté entre dans les hypothèses expressément visées par les textes applicables à la responsabilité civile des dirigeants sociaux.

L'article L. 225-251, alinéa 1 du Code de commerce énumère trois causes de responsabilité. Celui-ci dispose que « les administrateurs et le directeur général sont responsables, individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires (...), soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion ». Il est donc légitime de penser que le manquement par un dirigeant à son obligation de loyauté est susceptible d'entrer dans l'une de ces trois catégories.

Conclusion

En définitive, dès qu'un dirigeant dissimule à un cédant une information de nature à influer sur son consentement, le manquement à l'obligation de loyauté à l'égard de tout associé justifie sa condamnation à la réparation intégrale du préjudice par l'octroi de dommages et intérêts. Cette décision démontre que le milieu des affaires n'échappe pas à la règle morale qui inspire encore au droit des obligations. Mais le fondement de l'arrêt, sur l'article 1382 du Code civil, engendre l'inapplication des règles spécifiques du droit des sociétés, ce qui est contestable.

 

par ISSA SAID

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