La place des mesures provisoires et conservatoires en droit arbitrage OHADA

Publié le Modifié le 18/10/2010 Vu 9 099 fois 0
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La multiplication actuelle et publications sur le passé et l’histoire de l’arbitrage dans le monde peut surprendre l’observateur non averti. En réalité, ces travaux qui permettent de mesurer le chemin parcouru, sont le signe que l’arbitrage qui se place aux limites de diverses branches du droit (obligations, sûretés, procédure, droit international public et privé) est arrivé à maturité. L’intérêt et l’utilité de ces études est de tenter présenter ce mode de règlement des litiges comme un système cohérent, à la fois spécifique, intégré aux autres domaines du droit des affaires et surtout en continuelle évolution.

La multiplication actuelle et publications sur le passé et l’histoire de l’arbitrage dans le monde peut s

La place des mesures provisoires et conservatoires en droit arbitrage OHADA

Le droit de l’arbitrage dans les pays de la zone franc ou OHADA est l’objet de deux fondamentaux qui datent tout deux du 11 mars 1999 : d’une part l’acte uniforme sur l’arbitrage, d’autre part le Règlement d’arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA). L’Acte uniforme sur le droit de l’arbitrage (AUA) définit de manière très large le domaine de l’arbitrage. C’est un ensemble de dispositions de nature « législative » qui régissent les différents aspects de l’arbitrage interne et international à l’intérieur de l’espace OHADA.

Inspiré des dispositions relatives à l’arbitrage commercial international en particulier la loi-type de la CNUDCI, l’Acte uniforme sur le droit de l’arbitrage abroge et remplace les droits de l’arbitrage des Etats parties en leurs dispositions antérieures ou postérieures, conformes ou contraires. Cela dit que les textes ne font aucune distinction entre l’arbitrage interne  et l’arbitrage international. Ils s’appliquent donc uniformément à ces deux types d’arbitrage.

Toutefois, l’acte uniforme resserve une place d’intervention pour le juge dans certains moments, notamment s’il s’agit de prendre des mesures provisoires ou des mesures conservatoires. C’est l’un des grands problèmes qui existe en droit d’arbitrage.

Ces mesures sont un ensemble des décisions qu’il faut prendre avant d’arriver à la décision finale. Provisoire parce qu’elles sont limitées dans le temps er conservatoire parce qu’elles entendent la décision définitive. Ces décisions ne préjugent pas le procès et n’ont aucune influence sur la décision finale. Ce sont tout simplement des mesures prises pour satisfaire une partie au litige. Ce sont également des mesures prises pour éviter que des droits se perdent en attendant la fin du procès.

En effet, l’intérêt et l’importance de ces mesures dans le contentieux d’arbitrage n’est plus à démontrer, qu’il s’agisse d’assurer la protection de droits intellectuels, de solliciter la désignation d’experts, de bloquer ou de libérer le paiement d’une garantie à première demande, d’obtenir la livraison de marchandises ou encore le paiement à titre provisionnel d’une contre- prestation contractuelle.

Le souci de donner aux mesures provisoires et conservatoires toute leur efficacité et d’assurer aux parties la sauvegarde de leurs droits dans les litiges internationaux a conduit à édicter des règles de compétence particulières et à reconnaître la juridiction internationale pour prendre de telles mesures, à des juges qui ne sont pas nécessairement compétents sur le fond.

Toutefois ces notions  restent indéfinies. En droit OHADA, l'AUA, ne donne aucune définition des notions de mesures provisionnelles et conservatoires. Cette lacune, comme le disent si bien P. LALIVE, J-F POUDRET et C. REYMOND, peut trouver une explication dans le fait que l'évocation de ces deux mesures dans les textes et la pratique de l'arbitrage de Droit International Public, constitue "un domaine nouveau pour la pratique arbitrale, pour lequel on ne peut aujourd'hui qu'esquisser des solutions[1]). Pour la définition de ces mesures nous esquisserons donc des solutions.

Les mesures conservatoires préservent une situation ou les droits des parties, elles sont destinées à sauvegarder soit les preuves, soit l'objet litigieux en attendant qu'une décision sur le fond soit rendue. Les mesures provisoires quant à elles, elles peuvent soit avoir un but simplement conservatoire, soit viser à créer ou à modifier un certain état de fait, en vue d'assurer une exécution effective de la sentence, ou de limiter les effets négatifs que peut provoquer l'existence et la durée du procès arbitral. Ces dernières mesures, se caractérisent non pas par leur objet mais, par leur effet et de ce fait, elles ne lient pas l'autorité qui les a rendues a fortiori l'arbitre ou le juge appelé à statuer sur le fond. Ceci étant, la double question récurrente qui se pose d'abord ici, est celle de la compétence du tribunal arbitral de DIP à pouvoir ordonner de telles mesures et, le cas échéant, la reconnaissance et l'exécution de ces mesures du tribunal conformément à la réglementation de l'arbitrage international OHADA.

I. La détermination de la compétence des juridictions arbitrales

D'une manière générale les mesures conservatoires et provisoires peuvent être prises par un tribunal arbitral. Au titre du droit comparé, presque toutes les réglementations modernes sur le droit de l'arbitrage international autorisent le tribunal arbitral à prendre, s'il le juge nécessaire, ces mesures en ce qui concerne l'objet du litige. Il en est ainsi de l'art. 26 du règlement CNUDCI, de l'art. 17 de la loi-type CNUDCI, pour ne citer que ces textes. En droit positif français, le codificateur ne prévoit aucune disposition sur la prise de telles mesures, seules les références jurisprudentielles et doctrinales et qui, d'ailleurs, ont fait l'objet de controverses, légitiment la prise par le tribunal arbitral de telles mesures.

La loi d'arbitrage en droit de l’OHADA que nous étudions, n'échappe pas à la généralisation de la tendance admettant la compétence du tribunal arbitral à ordonner de telles mesures. En effet, la réglementation OHADA  de l'arbitrage international reconnait, une compétence au tribunal arbitral en matière de mesures provisionnelles et conservatoires. Cependant, elle procède différemment aussi bien dans la formulation et le contenu de telles mesures que dans les conditions d'exercice de ces pouvoirs par les tribunaux arbitraux et étatiques au besoin.

La prise de ces mesures en droit OHADA, n'est pas explicite dans la formulation du texte de l'art. 13 al. 4 AUA. En effet, ce texte tel qu'il est formulé, laisse entrevoir l'interprétation selon laquelle, l'AUA ne réserve que la compétence de la juridiction étatique pour l'octroi de telles mesures. Ce qui peut paraître vraisemblable dans la mesure où, aucune trace d'une allusion à la possibilité pour un tribunal arbitral de rendre de telles mesures, n'est observable dans l'AUA.

Mais dans ce système rien, semble-t-il, ne permet de dénier au tribunal arbitral le pouvoir d'ordonner de telles mesures. Même si aucune disposition expresse de l'AUA ne nous permet d'inférer une telle compétence du tribunal arbitral, la doctrine la lui reconnaît et y affirme d'ailleurs, une compétence concurrente avec les juridictions étatiques[1]. En effet, le contenu du texte de l'art. 13 al. 4 AUA reconnaît aux parties le pouvoir de solliciter l'intervention du juge étatique ou juge d'appui pour prendre de telles mesures. La lecture entre les lignes de cette disposition, nous amène à conclure sur ce point que, la compétence reconnue à l'arbitre n'est pas exclusive de celle du juge. Les parties ont, en dépit de l'existence d'une convention d'arbitrage, la faculté de saisir directement le juge d'appui sans avoir l'obligation de recourir d'abord au tribunal arbitral.

C'est tout le sens que donne le droit OHADA aux dispositions de l'art. 13 al. 4 de l'AUA « l'existence d'une convention d'arbitrage ne fait pas obstacle à ce qu'à la demande d'une partie, une juridiction [...] ordonne des mesures provisoires ou conservatoires ». Ainsi, il est aisé de comprendre que l'AUA en droit OHADA, bien qu'accordant au tribunal arbitral de telles compétences, évite à faire de sorte que la compétence du juge soit résiduelle, c'est-à-dire que son intervention ne soit requise que si la protection arbitrale se révèle insuffisante. Sa compétence pour prendre des mesures provisoires et conservatoires est alors concurrente de celle du juge et non subsidiaire.

Si la tendance majoritaire admet, du point de vue de la loi et de la jurisprudence, que le tribunal arbitral peut ordonner des mesures conservatoires et provisoires, la doctrine est presque unanime à reconnaître une compétence concurrente du juge, nécessitant une « action complémentaire des juges et des arbitres en vue d'assurer l'efficacité de l'arbitrage commercial international ». D'où l'impérieuse nécessité de clarifier les pouvoirs respectifs des juges et des arbitres en cette matière. L'enjeu à notre avis, d'une telle compétence concurrente serait de ne pas priver des procédures d'urgence, les parties à une convention d'arbitrage et, la doctrine le détaille si bien.

En droit comparé, il y a lieu de faire remarquer que, le principe de la compétence concurrente est consacré par plusieurs dispositions légales et conventionnelles et, est « reconnu par la jurisprudence et la doctrine des différents États et rappelé dans de nombreuses sentences arbitrales ». Le droit OHADA de l'arbitrage, tout comme la plupart des législations sur l'arbitrage, reconnaît donc aux juridictions étatiques et arbitrales une compétence en la matière et, du coup ne prive pas les parties, du droit de recourir aux procédures d'urgences prévues à cet égard devant les juges étatiques.

Cependant, deux conditions prévalent dans ce système à cette compétence des juridictions étatiques: l'urgence et l'examen du litige au fond.

L'urgence :

En effet, le juge étatique ne peut prendre une mesure provisoire ou conservatoire que s'il y a une urgence avérée et motivée. L'urgence en matière d'arbitrage, ne doit se justifier que lorsque le tribunal est déjà formé et saisi du fond du litige mais ne peut pas prendre les mesures qui s'imposent. À la condition d'urgence, s'adjoint celle du lieu de l'exécution de la mesure. En effet, si la mesure doit s'exécuter dans un Etat partie au Traité OHADA, le caractère urgent prend tout son sens. Autrement dit, la condition d'urgence est valable. Ce qui veut dire, qu'en dehors de la compétence du tribunal arbitral d'ordonner des mesures provisoires en droit OHADA, la loi reconnaît aux juridictions étatiques une compétence concurrente qu'à la seule condition qu'il y ait une mesure urgente avérée et motivée exécutable dans un Etat partie et non à l'extérieur de l'espace OHADA. A contrario, si la mesure devra s'exécuter dans un Etat non partie à l'OHADA, un Etat tiers par exemple, la mesure urgente n'est plus recevable. Mais cela n'empêche pas qu'une partie demande à une juridiction, en dépit de l'existence de la convention, la prise de mesures conservatoires ou provisoires. C'est ce que semble nous confirmer P. Meyer, qui pense que « la condition relative à l'urgence est écartée lorsque la mesure provisoire ou conservatoire devra s'exécuter dans un Etat non partie à l'OHADA ».

L'examen du litige au fond :

La deuxième condition veut que ces mesures n'impliquent pas un examen du litige au fond. En effet, chaque fois que l'octroi des mesures suppose un examen au fond, le juge étatique doit se reconnaître incompétent et seul l'arbitre peut ordonner ladite mesure. Il s'agit ici, de la conséquence à l'incompétence des juridictions étatiques de statuer au fond en cas d'existence d'une convention d'arbitrage. Principe que plusieurs législations sur l'arbitrage international consacrent expressément (art. 13 al. 1 AUA).

En résumé, le pouvoir du juge d'ordonner des mesures conservatoires et provisoires, qui ne doit pas être confondu au rôle d'assistance du juge, conjecture la possibilité pour les parties de recourir à sa compétence sans renoncer au bénéfice de la convention d'arbitrage. C'est tout le sens qu'a voulu donner le législateur OHADA à la compétence du juge en matière de mesures urgentes, nonobstant la convention d'arbitrage « toutefois, l'existence d'une convention d'arbitrage [...] ».

Notons toutefois que, les mesures provisionnelles si elles sont admises, elles ne peuvent être ordonnées que dans les limites des demandes dont l'arbitre est saisi. Il en est également de même du juge sollicité dont la compétence est non seulement limitée à la demande des parties (aux mesures provisoires) mais il doit aussi veiller à ne pas prétériter à l'exclusivité accordée à l'arbitre par la loi quant à son pouvoir de statuer sur le fond du litige. D'où tout le sens de la seconde condition dont l'art. 13 al. 4 de l'AUA fait cas en droit OHADA.

II. La procédure

Du point de vue procédural, la loi de l’OHADA ne dit rien quant à la procédure à suivre par les parties ou par les arbitres. À notre avis, la démarche prescrite par les dispositions des articles 14 AUA en droit OHADA seront applicables.

Si la loi de l'arbitrage, ici étudiée, reconnaisse au tribunal arbitral la faculté de rendre des mesures provisoires et conservatoires, la décision rendue par le tribunal dans ce cadre, ne doit pas être assimilée à une sentence au point d'en exiger un exequatur en cas d'insoumission. Cette décision est une ordonnance qui n'est pas directement exécutoire, elle ne peut pas non plus être munie d'une déclaration de force exécutoire par le juge selon la procédure appropriée. L'efficacité de telles mesures ordonnées, en vertu des dispositions de l’article 13 al. 4 AUA doit être limitée. Comme on peut le noter, en cas de non soumission volontaire à l'ordonnance, le tribunal arbitral (et non la partie bénéficiaire de la mesure arbitrale) ne peut que requérir le concours du juge étatique.

Il faut ici aussi regretter que, l'assistance du juge étatique en cas de non soumission à l'ordonnance du tribunal arbitral concernant ces mesures, n'ait pas été évoquée par le droit OHADA de l'arbitrage en l'occurrence l'AUA. Cependant, on peut légitimement imaginer que, cette assistance peut être requise sur la base des dispositions de l'art.14 al. 7 de l'AU.A qui dispose que "si l'aide des autorités judiciaires est nécessaire à l'administration de la preuve, le tribunal arbitral peut d'office ou sur requête requérir le concours du juge compétent dans l'Etat-partie". Ainsi, si la requête est fondée sur la demande de mesures destinées, à la production ou la conservation de certaines preuves utiles au procès arbitral ou menacées de disparition, l'assistance du juge d'appui dans ce cas, est nécessaire et légitimée sur la base des dispositions légales précitées.

Il convient de souligner qu’avec le traité OHADA, l'arbitrage fait une entrée remarquable en Afrique sub-saharienne dans les Etats parties. Venu de la volonté politique des chefs d'Etats de promouvoir l'arbitrage comme mode de règlements relatifs aux litiges commerciaux, l'arbitrage est réglementé par l'acte uniforme relatif à l'arbitrage (arbitrage ad hoc) et par le règlement d'arbitrage de la CCJA (arbitrage institutionnalisé). L’originalité du système d’arbitrage OHADA est de fusionner en quelque sorte l’administration de l’arbitrage, l’assistance et le contrôle juridictionnel. Ceci étant, il est important de noter que le nouveau droit de l'arbitrage africain, le droit OHADA de l'arbitrage, est considéré comme l'un des plus récents de la série de modernisation des législations sur l'arbitrage, modernisation préconisée par les recommandations des instances internationales en l'occurrence la CNUDCI.

 

Par ISSA SAID

 


[1] P. Meyer, OHADA Droit de l'arbitrage, Bruylant 2002, p. 183.

 


[1] P. LALIVE, J-F POUDRET, C. REYMOND, Le droit de l'arbitrage interne et international en Suisse : édition annotée et commentée du Concordat sur l'arbitrage du 27 mars 1969 et des dispositions sur l'arbitrage international de la Loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé, p. 363.

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