Redressement judiciaire : les juges marocains serrent la vis

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Redressement judiciaire : les juges marocains serrent la vis

Les chefs d’entreprises indélicats qui veulent échapper à leurs créanciers en profitant des procédures légales de traitement des difficultés de l’entreprise, dispositif entré en vigueur en février 1997, auront bien du mal à faire passer leurs doléances. «Le temps au cours duquel les juges acceptaient facilement ce genre de requêtes est révolu. La jurisprudence a beaucoup évolué et ils sont de plus en plus rigoureux», constate Me Abdelali El Quessar, avocat au barreau de Casablanca. Cette tendance est confirmée par les chiffres du ministère de la justice. Depuis 2004, le nombre des entreprises mises en redressement ou en liquidation judiciaire n’a jamais dépassé 1 000 par an, contre près de 1 500 auparavant. Mieux, à l’exception de 2005 et 2008, les tribunaux de commerce du Royaume ont rarement accepté plus de 700 dossiers par année. En 2009, ils ont prononcé l’ouverture de 660 procédures de traitements des difficultés contre 961 en 2008, soit un recul de 31%.
«Pour que le tribunal se prononce favorablement, l’entreprise doit quasi systématiquement passer une expertise technique et financière visant à révéler la nature des difficultés auxquelles elle est confrontée et leurs conséquences sur son activité», explique My El Amine El Hammoumi Idrissi, juriste au cabinet Hajji & Associés. Selon ce spécialiste des procédures collectives, les seuils des créances échues pouvant donner lieu à un redressement judiciaire ont également évolué. Ainsi, si le juge pouvait prononcer un redressement ou une liquidation judicaire pour une créance non honorée de 10 000 DH, lors des premières années d’application de la législation, «il ne le fait plus pour moins de 100 000 DH» , tient à préciser le juriste. Notons qu’une procédure de traitement des difficultés n’est pas uniquement ouverte à l’initiative des débiteurs dont beaucoup, en cas de problème, préfèrent mettre leurs affaires en veilleuse et faire le dos rond pour éviter une procédure jugée honteuse. Selon la loi, elle peut l’être sur l’assignation d’un créancier, quelle que soit la nature de sa créance. Le tribunal peut aussi se saisir d’office ou sur requête du ministère public, notamment en cas de non-exécution des engagements financiers conclus dans le cadre d’un accord amiable prévu au titre de la prévention des difficultés.

Lourdes sanctions pour les dirigeants fautifs

La liquidation signifie la mort de l’entreprise, mais qu’advient-il une fois le redressement judiciaire décidé ? La loi est claire à ce sujet. Le juge nomme un syndic qui dispose d’un délai de 4 mois renouvelable une fois pour déterminer le sort de l’entreprise. Au terme de cette mission, il peut proposer soit un plan de redressement garantissant la continuation de l’entreprise ou la cession à tiers, soit la liquidation judiciaire.
La pratique montre que près du tiers des procédures finit par une liquidation dès la fin des 4 mois d’expertise du syndic, alors que plus de 60% des entreprises bénéficient d’un plan de continuation. «Moins de 5% des demandes de redressement débouchent sur une cession car il est très difficile de céder une société en redressement», fait remarquer Me El Quessar.
Une fois le plan de continuation sous contrôle d’un administrateur décidé par le tribunal, la société s’engage alors dans une longue et périlleuse remise en forme qui peut «légalement durer jusqu’à 10 ans», ce qui est très rare car la durée moyenne des plans de continuation est de 7 ans. «Après ce délai, plus de la moitié des entreprises passent à la trappe et sont liquidées», ajoute l’avocat des affaires.
Il précise que, contrairement à ce qu’on pourrait croire, la liquidation est loin d’être la fin des «tracas» pour le chef d’entreprise ou son gérant car ils risquent d’engager leur responsabilité en cas de faute avérée dans la gestion.
En effet, la législation des procédures collectives qui a introduit la sanction des dirigeants d’entreprise en cas de faillite de celle-ci soumet ces derniers à un régime répressif assez important. Ainsi, le titre V du Livre V du code de commerce est entièrement réservé aux sanctions à l’encontre des dirigeants. L’article 702 du code précité stipule que les sanctions visent aussi bien les dirigeants de l’entreprise ayant fait l’objet d’une procédure collective. La même disposition souligne que les dirigeants peuvent être de droit ou de fait rémunérés ou non. Les sanctions, qui comportent des degrés de gravité, peuvent être pénales et patrimoniales. Les sanctions pénales ne concernent que la banqueroute frauduleuse (article 721). Ce délit est puni de 1 à 5 ans d’emprisonnement outre une amende allant de 10 000 à 100 000 DH. La loi 15-95 élargit le champ d’application de ces peines aux complices de la banqueroute, même lorsqu’ils n’ont pas la qualité de dirigeants. Cette peine est doublée pour les dirigeants de droit ou de fait, d’une société cotée en Bourse.

La moitié des dossiers d'entreprises en difficulté gérée par le tribunal de commerce de Casa

Les gérants de droit ou de fait et leurs complices peuvent également subir des sanctions patrimoniales ainsi que la déchéance commerciale (uniquement la personne physique). «Lorsque la faute du dirigeant est prouvée, elle entraîne sa responsabilité commerciale. Cela veut dire qu’il sera condamné à payer solidairement les créances de l’entreprise qu’il a dirigée», souligne-t-on auprès du tribunal de commerce de Casablanca. Et les paiements solidaires du gérant sont de plus en plus fréquents devant les tribunaux de commerce puisque ceux-ci élargissent la procédure collective aux gérants dans 20% des cas de liquidation judiciaire. «Les extensions des procédures aux patrimoines particuliers des gérants sont de plus en plus fréquentes. Cette extension constitue également une arme redoutable contre les abus de recours pour redressements formulés par l’entreprise elle-même», confie un magistrat au tribunal de commerce de Casablanca, structure qui traite pas moins de 300 entreprises en difficulté par an, soit près de 50% des redressements ou liquidations judiciaires prononcés sur le plan national. Marrakech, Tanger et Rabat viennent loin derrière avec moins de 70 demandes de redressement par ville.
Les secteurs les plus touchés en 2009 ont été le textile/habillement, les industries manufacturières, les sociétés de promotion immobilière et les entreprises d’exportation de fruits et légumes. Selon Hammoumi Idrissi, ce sont les sociétés de promotion immobilière qui fonctionnent selon le système de vente en l’état futur d’achèvement qui ont le plus souffert de la crise immobilière, ce qui a conduit quelques-unes d’entre-elles à réclamer un redressement judiciaire.

Perspectives :Une réforme de la loi est en cours

Selon plusieurs professionnels des entreprises en difficulté (magistrats, avocats d'affaires et experts judiciaires), la jurisprudence marocaine en la matière s'est beaucoup inspirée des rapports réalisés par l'USAID sur le redressement judiciaire au Maroc. Réalisé en 2005, le dernier rapport insiste sur la nécessité de reformer la législation de 1997 afin de mieux préserver l'entreprise et les emplois contre la liquidation. Qu'ils soient postérieurs ou antérieurs au redressement judiciaire, les droits des créanciers devraient également faire partie de la future réforme. Globalement, l'USAID pointe les insuffisances affectant la protection des créanciers. La situation des salariés n'est pas en reste puisque le rapport de l'USAID «relève plusieurs points négatifs consistant dans le rôle éclipsé des salariés dans les différentes phases de la procédure».
Le rapport recommande également la création de procédures simplifiées pour les petites entreprises, à l'instar de la loi française.
Quoi qu'il en soit, après avoir inspiré les praticiens du droit, le rapport de l'USAID a également suscité l'intérêt du législateur puisqu'un projet de réforme du livre V du code de commerce est actuellement à l'étude.

Par Naoufal Belghazi

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