L’espionnage est une conception idéologique qui concerne divers pans du droit international comme la question de la souveraineté territoriale et de la responsabilité internationale des Etats. Sans aller au bout de notre argumentation, définissons d’abord, la notion de l’espion.
L’espion est l’individu qui se mêle aux ennemis pour les épier. Initialement, cette notion est liée au temps de guerre, ce qui explique que les gouvernements aient cherché, à régler conventionnellement le statut des espions capturés aux fins de mieux les protéger. Historiquement, le droit international a été le premier à prendre en compte juridiquement les activités des services secrets. Mais il s’est uniquement intéressé à l’espionnage dans le cadre très particulier du temps de guerre comme le souligne Warusfel dans son ouvrage « le cadre juridique et institutionnel des services de renseignement ».
Par conséquent la doctrine s’est longtemps intéressée au seul espion employé en période de conflit, parfois au point de prétendre qu’il y a d’espions qu’en temps de guerre et qu’on ne saurait juridiquement donner cette qualification aux individus, qui, en temps de paix, se livrent aux mêmes pratiques.
En l’absence de conventions abordant la question de l’espionnage en temps de paix, force est de constater que l’espionnage y compris sous l’angle du droit international, demeure une matière éminemment politique, en ce sens que la pratique n’est pas loin s’en faut, uniforme et qu’un même acte d’espionnage pourra, selon les circonstances, donner lieu à des développements ultérieurs forts variés. Cette approche politique s’explique facilement par le fait que l’espionnage concerne généralement les domaines considérés comme les plus sensibles par les Etats. Par conséquent ces derniers sont autant enclins à réprimer sévèrement les espions capturés qu’à négocier avec leur Etat d’origine pour des éventuels échanges contre d’autres. Ce qui n’est pas le cas dans l’affaire des espions russes capturés par les autorités américaines.
Surnommé « un parfum de la guerre froide » par les médias, cette affaire semble un scénario digne des plus grands films d'espionnage. Onze supposés espions russes ont été arrêtés le 28 et 29 juin 2010 à New York. D'après l'acte d'accusation établi par le ministre de la justice américain, les membres du réseau d'espionnage présumé, surnommés les "illégaux", avaient pour mission de "devenir suffisamment 'américanisés' pour pouvoir recueillir des informations sur les Etats-Unis" et "infiltrer les cercles politiques" du pays. Une fois formés par le Service des renseignements extérieurs russe, le SVR, "les agents secrets se voyaient remettre une fausse identité". Ils opéraient ensuite par deux, "de telle sorte qu'ils pouvaient se faire passer pour un couple marié".
D'après la direction de la CIA, ils s'intéressaient au nucléaire, à l'Iran et à la politique du Congrès. Un message de leur chef basé à Moscou, rédigé dans un anglais approximatif, résume la mission qui leur été assignée: « Vous avez été envoyé aux Etats-Unis pour une mission de long cours. Vos études, vos comptes en banque, voitures et maisons, tout cela n'a qu'une seule visée: remplir votre mission principale. Infiltrer les cercles décisionnels politiques et envoyer des rapports au centre. »
Inculpés d'espionnage, et, pour neuf d'entre eux, de blanchiment d'argent, les onze suspects risquaient des peines comprises entre cinq et vingt-cinq ans de prison. Mais une dérive de la législation américaine s’impose pour sauver à ce que les médias et les politiques actuels appellent.
Rappelons que, lorsque le mur de Berlin est tombé, il y a vingt ans sous les vivats des peuples, un face-à-face a pris fin. Celui de l'Amérique et de l'URSS, ce couple d'ennemis irréductibles, qui s'était toisé et affronté pendant toute la guerre froide, dominant le système international. Deux décennies plus tard, la relation Russie - États-Unis n'est plus du tout le dossier prioritaire de la diplomatie américaine, tout entière absorbée par la lutte contre le terrorisme islamiste et l'instabilité des nouveaux «Balkans du monde», qui courent du Moyen-Orient jusqu'au Pakistan. Partenaire ? Menace ? Nouvel ennemi ? Nul n'est d'accord. Seule certitude à Washington : la relation russo-américaine dont hérite Barack Obama est à zéro et doit d'urgence être redéfinie. Comme le souligne le Président Obama «Mon espoir est que nous puissions avoir une relation constructive, dans les domaines où nous pouvons avancer dans le respect et l'intérêt mutuel». Ce qui présume à penser l’oubli de pratiquer des actions d’espionnage dans ces relations classiques Obama/Medvedev.
Pour indéterminée que sa soit sur sa définition sur le plan interne comme sur le plan international, l’espionnage entretient un rapport particulier avec le concept de souveraineté territoriale. Dans la mesure où, tout recueil des renseignements se fait nécessairement au détriment d’un Etat. Or l’acte d’espionnage conduira ou no à une violation de la souveraineté territoriale de l’Etat victime, qui elle-même sera susceptible d’engager la responsabilité internationale de l’Etat bénéficiaire, si l’acte en cause peut lui être imputé.
Dans cette affaire précitée, l’enjeu est de taille et autre qu’une seule option de sanction : l’échange. Cet échange d'espions s'est déroulé vendredi 09 juillet 2010 à l'aéroport de Vienne où les États-Unis ont remis à la Russie ses dix agents contre quatre Russes dont trois condamnés pour espionnage au profit des Occidentaux. Dans un final digne de la Guerre froide, l'échange est intervenu sur le tarmac de l'aéroport de Vienne.
Donc, à plus forte raison l’espionnage est une des formes des relations que les Etats tissent entre eux. Il appartient à l’abri de la normativité, non innervés en quelque sorte par le droit international. Les Etats bénéficient d’une latitude considérable pour régler, par entente directe, les affaires liées à cette activité, même dans les rares cas où des règles conventionnelles sont à leur disposition. L’interdiction de cette pratique sur le plan interne n’interfère aucunement sur la volonté des Etats d’inclure et d’utiliser cette activité dans les relations internationales. Car ni le droit international conventionnel, ni le droit international coutumier ne précisent une quelconque règle à propos de l’espionnage en temps de paix.
Mais pourquoi les Etats qui ont inclus dans leurs codes pénaux des articles réprimant l’espionnage, n’ont-ils cherché à l’interdire entre eux par voie conventionnelle ?
par ISSA SAID