Évènement tragique
Dans la nuit du 28 au 29 octobre 2024, des pluies torrentielles ont entrainé de terribles inondations. Elles ont dévasté des quartiers entiers à l’ouest et au sud de la ville de Valence en Espagne.
Plus de 220 morts sont à déplorer.
Le réchauffement des températures, l’évaporation plus forte des eaux de la Méditerranée et l’intensification prévisible des précipitations font craindre que de tels événements ne se multiplient (Clara LOIZZO, Alex PRADOS LINDE, « Inondations dévastatrices à Valence : le révélateur d’une forte vulnérabilité en contexte méditerranéen », Géoconfluences, 13 novembre 2024, en ligne).
Toutefois, le changement climatique n’est pas la seule cause de cette catastrophe. Même s’il est tombé autant d’eau en une nuit que durant les 21 mois qui ont précédé, la bétonisation des sols environnants fut un facteur déterminant expliquant la gravité de la situation.
L’artificialisation des sols est en cause. Il s’agit de leur transformation entraînant leur incapacité à jouer leur rôle naturel (voir Logement Adéquat n° 2, en ligne). Or, cette transformation accentue les phénomènes de ruissellement.
Des spécialistes ont constaté le rôle de l’artificialisation dans la tragédie qui a frappé la province espagnole de Valence (Clément FOURNIER, « Derrière les inondations en Espagne, l’urbanisation à outrance et l’artificialisation des sols », Novethic, 31 octobre 2024, en ligne).
Comment faire en sorte que cela ne se produise pas aussi en France ?
Un dispositif flou
Suite à la Convention Citoyenne pour le Climat et ses 146 propositions, le Parlement a adopté la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (dite loi Climat Résilience). Ce texte a fixé un objectif de Zéro Artificialisation Nette en France à l’horizon 2050 et a introduit un article L. 101-2-1 dans le Code de l’Urbanisme.
Selon cet article, « l’artificialisation est définie comme l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage ». Plus loin, il ajoute : « l’artificialisation nette des sols est définie comme le solde de l’artificialisation et de la renaturation des sols constatées sur un périmètre et sur une période donnée ».
La loi prévoyant des objectifs en matière de réduction de l’artificialisation, l’article L. 101-2-1 du Code de l’Urbanisme dispose : « Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du présent article. Il établit notamment une nomenclature des sols artificialisés ainsi que l’échelle à laquelle l’artificialisation des sols doit être appréciée dans les documents de planification et d’urbanisme ».
Un décret n° 2022-763 du 29 avril 2022 a fixé cette nomenclature tout en prévoyant que « l’occupation effective est mesurée à l’échelle de polygones dont la surface est définie en fonction de seuils de référence précisés par arrêté du ministre chargé de l’urbanisme selon les standards du Conseil national de l’information géographique ».
L’Association des Maires de France a formé un recours en excès de pouvoir contre ce décret, en lui reprochant son imprécision quant à la délimitation de ces polygones.
Solution classique
Le juge administratif a donné raison à l’Association des Maires de France (Conseil d’État, 6e et 5e ch. réunies, 4 octobre 2023, n° 465341, en ligne).
Les auteurs du décret avaient omis d’établir l’échelle à laquelle l’artificialisation devait être appréciée. Pourtant, il leur appartenait de le faire selon l’article L. 101-2-1 du Code de l’Urbanisme qui prévoyait qu’un décret en Conseil d’État devait établir ces éléments.
Lorsqu’une mesure qui doit être prise, d’après la loi, suite à un décret en Conseil d’État est renvoyée à de simples arrêtés, il s’agit d’une illégalité par incompétence de l’auteur des actes réglementaires.
De la même manière, un texte inséré dans un décret sans que le Conseil d’État ait pu être consulté à son propos est illégal lorsque la loi prévoyait un décret en Conseil d’État (Conseil d’État, 4e et 1ère sous-sections réunies, n° 86662, 2 mai 1990, en ligne).
L’annulation partielle du décret de 2022 établissant des polygones pour mesurer l’artificialisation n’est donc pas surprenante.
Le décret n° 2023-1096 du 27 novembre 2023 a dès lors fixé une nomenclature précise des sols artificialisés ou non, tout en prévoyant la comptabilisation des zones artificialisées à l’échelle de polygones de 2 500 m2 au minimum (voir Logement Adéquat n° 2, en ligne).
Néanmoins, dès avant ce nouveau décret, des élus importants ont tiré argument de l’imprécision des textes réglementaires pour refuser par principe l’objectif, pourtant fixé par la loi, de Zéro Artificialisation Nette à l’horizon 2050 (voir Assma MAAD, William AUDUREAU, Romain IMBACH, « La région Auvergne-Rhône-Alpes peut-elle vraiment se retirer du dispositif ‘‘zéro artificialisation nette’’ comme l’a annoncé Laurent Wauquiez ? », Le Monde, 2 octobre 2023, en ligne).
Réticences persistantes
L’arrêt du 4 octobre 2023 rendu par le Conseil d’État puis le décret du 27 novembre 2023 n’ont pas mis fin à l’hostilité de nombreux élus à l’égard de la lutte contre l’artificialisation.
Certes, il devient difficile de contester la légalité du dispositif réglementaire à présent en place (voir Richard SCHITTLY, « ‘‘Zéro artificialisation nette’’ : Laurent Wauquiez renonce à ne pas respecter le dispositif de la loi ‘‘Climat et résilience’’ », Le Monde, 25 févr. 2024, en ligne).
Néanmoins, pour de nombreuses communes, l’interdiction progressive de l’artificialisation est mal ressentie. Certains maires comptent sur la vente de terrains municipaux inoccupés pour améliorer leurs recettes sans avoir à augmenter la fiscalité.
Des acteurs politiques nationaux utilisent donc la lutte contre l’objectif « Zéro Artificialisation Nette » comme marqueur important (Emmanuel GALIERO, « Laurent Wauquiez : ‘‘La loi zéro artificialisation nette est une folie’’ », Le Figaro, 24 mai 2024, en ligne).
Une ancienne ministre écologiste redevenue députée l’a déploré (Interview de Dominique VOYNET, C dans l’Air, 16 novembre 2024, en ligne).
Au vu de ce qui se passe en Espagne, on ne peut, il est vrai, qu’être inquiet de la persistance du climat favorable à l’artificialisation qui règne chez certains élus.
Bien entendu, des précautions peuvent être prises pour éviter l’aggravation des risques en cas de constructions, avec notamment des bassins de rétention des eaux pluviales qui sont fréquents depuis la fin des années 2000. On peut citer, ainsi, le guide technique émis en 2008 par la Préfecture d’Indre-et-Loire (Gestion des eaux pluviales dans les projets d’aménagement, volume 2, juillet 2008, en ligne).
De tels dispositifs pourraient, cependant, ne pas suffire à limiter d’autres effets négatifs de l’artificialisation. Or, l’efficacité de la loi existante n’est pas assurée.
Interrogations justifiées
Même en prônant la sobriété foncière, on peut partager le diagnostic selon lequel la méthodologie choisie par le législateur pour limiter l’artificialisation est trop complexe et qu’elle s’appuie sur un scientisme autoritaire.
Des sénateurs ont ainsi évoqué un « calcul technocratique ‘‘au doigt mouillé’’ » tout en déplorant une approche trop binaire de l’opposition entre zones artificialisées et zones non artificialisées (voir p. 9 du Rapport d’information n° 19, relatif à la mise en œuvre des objectifs de réduction de l’artificialisation des sols, document enregistré le 9 octobre 2024 à la présidence du Sénat, sous la direction du rapporteur Jean-Baptiste BLANC, sénateur issu de l’Union Centriste).
Si les sénateurs se réjouissent de la gestion à l’échelon régional des ‘‘enveloppes’’ d’artificialisation, ils s’inquiètent du caractère peu intelligible de la loi, tout en déplorant l’absence de concertation avant la rédaction du décret du 27 novembre 2023 (voir Rapport n° 19 précité, p. 12).
Un élu local aurait ainsi expliqué aux sénateurs qui participaient à la mission d’information sur l’artificialisation : « une loi bien écrite n’a pas besoin de 160 pages d’explication de texte » (voir Rapport n° 19 précité, p. 13).
Surtout, les mécanismes de mesure de l’artificialisation abaissent les marges des communes pour gérer les objectifs de sobriété foncière et assurer leur suivi, notamment à cause de la complexité de la nomenclature et des seuils de prise en compte (50 m2 pour les bâtiments et 2500 m2 pour les polygones) (Rapport n° 19 précité, p. 18).
La tentation du simplisme
Dans un tel contexte, où le gouvernement souhaite réduire les dotations destinées aux collectivités territoriales, il est logique que le premier ministre préfère évoquer des concessions quant à la lutte pour la sobriété foncière (Farida NOUAR, « Zéro artificialisation nette des sols : au Congrès des maires, des élus soulagés par l’annonce d’un desserrement du dispositif », France Info, 21 novembre 2024, en ligne).
Les structures militant pour l’écologie s’en alarment (Camille ADAOUST, Zoé AUCAIGNE, Louis SAN, « Artificialisation des sols, éolien, DPE… Pourquoi les annonces de Michel Barnier font craindre un recul sur l’écologie », France Info, 2 octobre 2024, en ligne).
Toutefois, l’élément le plus désolant est l’idée selon laquelle les jardins ne seraient plus comptabilisés comme zones artificialisées (ce que réprouve à juste titre David MIET, « Les jardins doivent-ils être considérés comme artificialisés ? », WW.Guide, 21 novembre 2024, en ligne).
Dès lors que l’objectif Zéro Artificialisation Nette est maintenu, son assouplissement concernant les jardins risque de figer l’usage de ceux-ci et d’empêcher les constructions futures à leur place.
Ce phénomène se perçoit déjà en Bretagne où de très grands jardins entourent parfois des pavillons. Ces jardins pourraient permettre la densification de l’habitat, qui est toujours préférable à l’artificialisation éloignée des centres urbains. Or, si ces terrains sont placés en zones agricoles, ils sont déjà insusceptibles d’artificialisation. C’est regrettable.
L’objectif Zéro Artificialisation Nette est donc parfaitement compréhensible, mais sa mise en application doit être améliorée.