Manœuvres, menaces, contrainte ou voie de fait
Avant même la loi anti-squat, la voie de fait était l’un des éléments caractéristiques de la violation de domicile.
Désormais, l’article 226-4 alinéa 1 du Code Pénal dispose : « L'introduction dans le domicile d'autrui à l'aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. ».
Quant à l’alinéa 1 du nouvel article 315-1 du Code Pénal, il dispose : « L'introduction dans un local à usage d'habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel à l'aide de manœuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte, hors les cas où la loi le permet, est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. »
La contrainte est, par exemple, le fait d’exercer une violence physique pour s’emparer des clés d’un local.
La manœuvre consiste, notamment, à tromper autrui pour obtenir des clés, en se faisant passer pour un locataire ou un propriétaire sans l’être, par exemple.
La menace implique plutôt de faire chanter celui qui détient la clé ou à lui promettre de subir des coups s’il n’ouvre pas.
Ces faits existent mais sont, fort heureusement, assez rares. La voie de fait est bien plus courante. Comment la définir ?
Un outil de délimitation de compétence juridictionnelle
La voie de fait est, à l’origine, un instrument permettant d’élargir la compétence des juridictions judiciaires au détriment de celle des juridictions administratives.
En effet, une loi du 24 mai 1872 a établi l’indépendance du Conseil d’État. Bien plus tard, cela a permis au Conseil constitutionnel d’élargir le bloc de constitutionnalité. En effet, il a été possible de déclarer que l’existence de la juridiction administrative découlait d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Ce principe est appelé celui de la séparation des autorités administratives et judiciaires.
Or, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ont valeur constitutionnelle du fait du préambule de la Constitution de 1958 qui proclame leur respect.
Compétence judiciaire par nature
Aussi, selon le Conseil constitutionnel, « à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire », toutes les décisions prises par l’administration dans l’exercice de prérogatives de puissance publique ne peuvent être contestées que devant le juge administratif (Décision n° 86-224 DC du 23 janv. 1987).
Une prérogative de puissance publique est un pouvoir particulier réservé à l’administration par opposition aux pouvoirs donnés par la loi aux simples citoyens.
Or, en cas de voie de fait commise par l’administration, même dans l’exercice de prérogatives de puissance publique, les juridictions judiciaires sont compétentes en tant que gardiennes de la propriété privée et des libertés individuelles (voir article 66 de la Constitution).
Définition de la voie de fait en droit public
Le Tribunal des Conflits a développé toute une jurisprudence pour définir la voie de fait. Pour lui, il s’agit d’un abus de pouvoir grossier portant atteinte à la liberté individuelle et à la propriété. Il peut aussi s’agir de l’exécution forcée d’une décision même régulière portant atteinte à la propriété ou à une liberté individuelle.
Un arrêt résume cet état du droit ainsi : « il y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, lorsque l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative » (TC, 3 févr. 2014, C3943).
Un exemple classique est le fait, pour l’autorité militaire, d’apposer sans en avoir le droit des scellés au domicile personnel d’un capitaine en dehors de toute enceinte contrôlée par l’armée (CE, 13 juill. 1966, Sieur Guignon, n° 54130).
Dol général
Depuis 1994 et la nouvelle version du Code Pénal, la notion de voie de fait a été intégrée à la définition de la violation de domicile (art. 226-4 originel du Code Pénal).
Or, selon l’article 121-3 du Code Pénal (alinéa 1) : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ».
En droit pénal, la voie de fait implique donc à la fois un élément matériel et un élément intentionnel.
Un arrêt le montre parfaitement.
Dialogue social mouvementé
Le fait de briser des fenêtres, des portes ou des serrures constitue l’élément matériel de la voie de fait.
Le fait de s’introduire dans un local en sachant pertinemment que l’accès en est interdit est l’élément moral de la voie de fait, qualifié de « dol général » (en sachant que le dol est l’atteinte délibérée aux droits d’autrui) (Cass. crim. 30 mars 2011, n° 10-83.253).
Cet arrêt concernait un conflit social où des délégués du personnel contestaient la sanction disciplinaire reçue par deux agents d’EDF. Avec une centaine de salariés à l’esprit manifestement échauffé, ces délégués sont parvenus à l’étage de la direction, où les cadres ont formé une chaine humaine pour les empêcher de passer. Les manifestants ont bousculé et injurié les cadres avant de s’introduire dans le bureau du directeur dont un cadre a été violemment éjecté.
Des serrures ont été brisées et des bureaux renversés.
La Cour d’appel de Grenoble, dont la position a été confirmée par la Cour de cassation, a estimé que la bousculade et l’éjection constituaient matériellement des contraintes, tandis que le bris des serrures caractérisait la voie de fait, le tout étant confirmé par l’élément intentionnel.
Les manifestants savaient très bien qu’ils n’avaient pas le droit d’envahir les bureaux de la direction. Ils ont été condamnés pour violation de domicile en réunion.
On note que le repérage de la voie de fait relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
Précision sur les clôtures
Il faut ajouter que l’élément intentionnel consistant à ignorer un panneau d’interdiction d’entrer ne suffit pas pour caractériser la voie de fait.
Pour être condamné pénalement, il faut au moins avoir escaladé une clôture (Cass. crim. 29 juin 2021, n° 19-83.192).
Entrer par une porte ouverte ou dans un terrain non protégé ne semble donc pas correspondre à la voie de fait au sens du droit pénal, même si cela n’exclut pas la commission d’une faute civile si la personne qui s’introduit dans le bien immobilier sait qu’elle porte atteinte aux droits d’autrui.
Le contentieux sur la voie de fait en droit privé immobilier risque d’autant plus se développer que cette notion implique une modification des droits procéduraux des occupants d’un lieu.
Évacuation administrative
En cas de voie de fait pour pénétrer dans le local d’autrui, la procédure d’évacuation administrative est possible (art. 38, loi n° 2007-290 du 5 mars 2007).
Après mise en demeure, le préfet peut faire évacuer les locaux sous 24 heures avec recours à la force publique. Le délai est porté à 7 jours si le local constitue le domicile de l’occupant. Ce dernier a alors la possibilité de saisir le juge administratif en référé pour faire suspendre la décision d’évacuation.
Le Conseil constitutionnel exige juste que le préfet prenne en compte la situation personnelle ou familiale des intéressés (Décision 2023-1038 QPC du 23 mars 2023).
Trêve hivernale, délais et propagande
En cas de voie de fait, la trêve hivernale ne s’applique plus (art. L. 412-6 du Code des Procédures Civiles d’Exécution).
Lors d’une procédure d’expulsion, le juge ne peut pas non plus accorder de délai de grâce si les occupants sont entrés dans les locaux au moyen d’une voie de fait (art. L. 412-3 du Code des Procédures Civiles d’Exécution).
Le délai de deux mois après le commandement de quitter les lieux ne sera également plus applicable en cas d’entrée des occupants par voie de fait (art. L. 412-1 du Code des Procédures Civiles d’Exécution).
Enfin, toute personne qui ferait de la propagande pour encourager des individus à s’introduire dans un local de manière illicite et par voie de fait risque 3 750 € d’amende (art. 226-4-2-1 du Code Pénal).
Les citoyens sont donc prévenus. Quelle que soit leur situation sociale, ils doivent à tout prix éviter d’entrer par voie de fait dans le local d’autrui.
Mieux vaut respecter et faire respecter scrupuleusement la loi, notamment en matière de réquisition avec attribution (voir l’article « Réussir une réquisition de logement »).