Ne bis in idem et marchands de sommeil : bis repetita

Publié le Modifié le 08/09/2021 Vu 2 176 fois 0
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Des hébergeurs ayant fourni en échange de contreparties financières des logements indignes échappent à la répression immédiate du fait de l’enchevêtrement des textes répressifs. Cela doit cesser.

Des hébergeurs ayant fourni en échange de contreparties financières des logements indignes échappent à la

Ne bis in idem et marchands de sommeil : bis repetita

Erreur incompréhensible

 

Dans un arrêt du 17 avril 2019, la chambre 5-13 de la Cour d’appel de Paris a condamné un couple pour aide au séjour irrégulier d’étrangers avec soumission à des conditions d’hébergement contraires à la dignité humaine.

 

Dans la même décision et pour les mêmes faits, le couple a été condamné pour soumission de personnes vulnérables à des conditions d’hébergement indignes en récidive ainsi que pour remise à disposition d’un local vacant insalubre en récidive.

 

La confiscation a été prononcée.

 

Malheureusement, la Cour de cassation a été contrainte de casser cet arrêt, et cela de manière prévisible (Cass. crim., 21 janvier 2021, n° 19-83.477). Les magistrats de la Cour d’appel avaient oublié un principe fondamental du droit pénal.

 

On ne peut condamner une personne qu’une fois pour le même fait.

 

Cela avait déjà été rappelé par la Cour de cassation en matière de lutte contre les marchands de sommeil (Cass. crim. 20 févr. 2019, 18-82.743)  (« les faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes ») (il existe un bref commentaire en ligne extrait d'Habitat et démocratie n° 3).

 

Cet arrêt a été rendu avant celui de la Cour d’appel de Paris du 17 avril 2019 et avait été commenté (Alice DEJEAN de la BÂTIE, « Le marchand de sommeil, l’étranger clandestin et le principe ne bis in idem », Gazette du palais, 2 avril 2019, pp. 910 à 912).

 

Comment la Cour d’appel de Paris a-t-elle pu se tromper ainsi ?

 

Un principe de base

 

Les magistrats, en tant que professionnels du droit, ne peuvent pas ignorer les conséquences du principe ne bis in idem qui a été bien étudié (voir Jérôme CHACORNAC, « L’articulation des répressions ; Comment résoudre le problème non bis in idem ? », Revue de Science Criminelle et de Droit Pénal Comparé, avril-juin 2019, pp. 333 à 345).

 

Ce principe a été rappelé par la Cour européenne des Droits de l’Homme dans l’arrêt Grande Stevens c/ Italie (2ème section, 4 mars 2014, req. 18640/10 et autres) (voir § 161 sur violation du droit à un procès équitable et impartial, et § 202 à 228 sur la violation de l’article 4 du protocole 7 interdisant la double condamnation d’une même personne pour les mêmes faits).

 

Ceux qui ne veulent pas appliquer la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme devront accepter que les fonctionnaires incompétents puissent être punis rétroactivement, privés de retraite et expropriés pour les fautes qu’ils ont commises par le passé, même s’il ne s’agissait pas de délits au moment des erreurs intervenues… Imaginons que l’on sanctionne ainsi tous les fonctionnaires et les magistrats qui se sont trompés antérieurement… Certains rigoleront alors moins… Les notables qui veulent que leurs droits acquis soient respectés doivent accepter de respecter eux-mêmes les droits des autres.

 

Le procureur doit donc choisir un seul fondement de poursuite.

 

S’il en invoque plusieurs, il prend un gros risque, notamment si le prévenu est bien défendu.

 

Dans ce cas, le juge doit impérativement ne choisir qu’un seul fondement de condamnation parmi les motifs de poursuite proposés par le procureur. À défaut, ce sont toutes les condamnations qui tombent et il faut recommencer la procédure ! Dans l’arrêt du 13 janvier 2021, le dossier a été renvoyé à la Cour d’appel de Paris autrement composée.

 

Populisme technocratique irréfléchi

 

Des activistes vont pourtant critiquer la Cour de cassation et en évoquant la méchanceté des marchands de sommeil…

 

Les mêmes activistes accepteraient-ils que leurs droits ou ceux des migrants reconnus par la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme soient violés ?

 

Il est vrai, néanmoins, que dans l’affaire tranchée le 13 janvier 2021, le couple louait un pavillon frappé d’un arrêtés le déclarant impropre à l’habitation et d’un arrêté exigeant la réalisation de travaux. Le couple, aidé de passeurs, a fait venir des étrangers en situation irrégulière pour les héberger dans des conditions indignes au sein du pavillon en question en échange d’un loyer.

 

Il est interdit de soumettre des étrangers en situation irrégulière à des conditions d’hébergement contraires à la dignité humaine (article L. 622-5 du CESEDA, Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et de l’Asile).

 

Il est également interdit de soumettre des personnes vulnérables à des conditions d’hébergement contraires à la dignité humaine (article 225-14 du Code Pénal)

 

Il est enfin interdit de percevoir un loyer dans un logement frappé d’un arrêté interdisant l’habitation (article L. 521-4 du Code de la Construction et de l’Habitation, CCH).

 

Pour chacun de ces articles, des peines de prison sont prévues ainsi qu’une peine complémentaire de confiscation.

 

Dans l’affaire tranchée par la Cour de cassation le 21 janvier 2021, le couple de marchands de sommeil avait violé ces trois articles répressifs. Le procureur se devait donc de choisir l’un des textes, et de préférence celui qui lui facilitait la tâche. Il s’agissait probablement de l’article L. 521-4 du CCH qui permet la condamnation sans avoir à démontrer la vulnérabilité des victimes ou la connaissance par le prévenu du caractère irrégulier du séjour en France de l’hébergé.

 

Malheureusement, le système technocratique français préfère l’empilement de dispositions répressives sans réfléchir aux conséquences.

 

Jungle normative

 

La France souffre d’une prolifération de règles dont personne ne se demande comment elles vont être appliquées ensuite.

 

En matière de lutte contre les marchands de sommeil, les trois articles répressifs précités ne sont ainsi pas les seuls applicables.

 

L’article L. 184-5 du CCH punit la mise en location de biens que l’on sait suroccupés, l’article L. 511-11 du CCH punit la mise en location d’un bien interdit à l’habitation et l’article L. 4741-1 du Code du Travail punit l’employeur qui soumet un salarié à des conditions d’hébergement non décentes.

 

Les services municipaux qui opèrent les signalements ainsi que les procureurs qui poursuivent les prévenus doivent donc jongler entre 7 articles répartis dans 4 codes différents…

 

Comme le Parquet est plutôt habitué au Code Pénal, il finit par se focaliser sur l’article 225-14 du même Code, alors que ce dernier implique, pour que la condamnation intervienne, que le prévenu ait eu conscience de la vulnérabilité de la victime.

 

Un travailleur étranger résidant régulièrement sur le sol français et soumis à un hébergement non décent lors d’un chantier risque de ne pas bénéficier de cette protection, alors que l’article L. 4741-1 du Code du Travail aurait permis de condamner l’employeur à de lourdes amendes.

 

Seuls les étrangers saisonniers sont considérés comme vulnérables (Cass. crim. 7 avr. 2021, n° 19-84.808).

 

La complexité du droit finit par bénéficier aux marchands de sommeil qui sont en général prospères et bien défendus.

 

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