Proposition de loi anti-squat
Les députés Aurore BERGÉ et Guillaume KASBARIAN ont déposé une proposition de loi pour « protéger les logements contre l’occupation illicite » (proposition n° 360, enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 18 octobre 2022). À l’origine, cette proposition de loi n’évoquait pas les marchands de sommeil.
Le but était plutôt de réprimer pénalement les occupants sans droit ni titre, c’est-à-dire les squatteurs. De manière explicite, les rédacteurs de la proposition veulent s’adresser à 64 % des bailleurs qui ne détiennent qu’un seul bien mis en location, et qui sont souvent retraités.
Les députés rédacteurs de la proposition tirent également argument d’affaires récentes et choquantes. Une retraitée sortie d’hospitalisation avait ainsi découvert que son logement était squatté.
Alignement
Les députés ont, dès lors, relevé que les personnes expulsant manu militari leurs locataires sans recours à la force publique risquent 3 ans de prison, alors que ceux qui opèrent une violation de domicile ne risquent qu’un an de prison.
La proposition de loi prévoit donc un relèvement des peines encourues par les squatteurs qui font irruption au domicile d’une personne.
Il est vrai, toutefois, que dans les faits, ni les squatteurs, ni les personnes qui les expulsent illégalement ne sont condamnés à la peine maximale. On rappelle qu’il y a en France 73 080 détenus pour 60 899 places de prison (AFP, 28 avril 2023, repris par Ouest France). Si des centaines de milliers de squatteurs et de propriétaires indélicats gonflaient la population carcérale, la situation deviendrait intenable.
Augmenter la peine encourue n’a donc qu’une valeur symbolique, comme l’a reconnu à l’antenne de BFM TV un soutien de la proposition du député KASBARIAN en présence de celui-ci (« Nice, les squatteurs font la loi », 21 avril 2023).
Face aux critiques qu’il indique recevoir, le député KASBARIAN a ajouté, lors de ce reportage télévisé, que sa proposition permettait aussi de lutter contre les marchands de sommeil.
Domicile susceptible de violation
En réalité, c’est surtout la modification de la notion de domicile susceptible de violation qui constitue le cœur de la proposition de loi. Les députés veulent inclure la résidence secondaire ainsi que les biens vides de tous meubles dans la notion de domicile.
Ainsi, celui qui s’introduit dans un bien vide pourra être condamné pour violation de domicile effectif.
Cela a suscité des réserves.
Même le ministre de la Justice a émis publiquement des doutes sur la constitutionnalité de cet élargissement (Elsa DICHARRY, « L’Assemblée adopte le texte controversé sur l’occupation illicite des logements », Les Echos, 2 déc. 2022).
On peut également s’inquiéter d’éventuelles fraudes à la loi si cette évolution était retenue. En effet, il est vrai que le squatteur qui arrive dans un bien meublé s’y empare de meubles qui ne lui appartiennent pas. À l’inverse, celui qui occupe un bien vide a un statut différent. Il peut, notamment, être aisément victime de vrais marchands de sommeil.
Les ‘‘bons’’ et les ‘‘mauvais’’
Des propriétaires de biens vides risquent, en effet, d’être tentés d’héberger des personnes vulnérables en échange d’un loyer perçu sous le manteau. Les locataires victimes se tairont, puisque sinon, le propriétaire pourra les dénoncer comme squatteurs et les faire expulser plus rapidement si la proposition de loi est adoptée. Les hébergés, pouvant être sous le coup de sanctions pénales, préfèreront se taire.
Certes, le Sénat a atténué la teneur du texte (Pierre JANUEL, « Loi sur les mauvais locataires : le Sénat modère les ardeurs des députés », AJDI, févr. 2023, p. 80).
Pourtant, l’opposition entre ‘‘bons’’ et ‘‘mauvais’’ locataires est maintenue. Elle semble inquiétante, puisqu’elle peut être retournée contre les propriétaires.
Discrédit induit
Dans certaines parties du territoire (Corse, Pays basque, Bretagne…), ceux auxquels appartiennent les résidences secondaires risquent d’être critiqués. La majorité des électeurs réclamera une pression fiscale accrue contre eux.
De la même manière, la tolérance vis-à-vis des bailleurs de logements qui se dégradent avec le temps va diminuer. La dénonciation des propriétaires non occupants comme accapareurs risque de prospérer, tout comme les invectives contre les marchands de sommeil. Ceux-ci, en hébergeant parfois des gangs, contribuent à l’insécurité (voir « Saint-Etienne : des trafiquants de drogue chez le marchand de sommeil », Le Parisien, 18 déc. 2017).
En attendant, le glissement opéré par l’Assemblée nationale a néanmoins été accepté.
La répression du squat ne protège plus le domicile réel, mais plutôt la propriété en général, dès qu’elle est à usage d’habitation.
Débat étayé et information nécessaires
Bien entendu, il ne doit pas y avoir de tabou dans le débat relatif au logement.
Les députés sont parfaitement fondés à réfléchir concernant la lutte contre l’occupation sans droit ni titre.
Néanmoins, ils devraient aussi faire le bilan de l’action de l’État en matière de production de logements décents.
Sinon, ils se contenteront de proposer des changements à portée purement symbolique, alors qu’il y a tant à faire. Les textes législatifs ne servent pas à donner des symboles ou à faire de la propagande, mais à orienter au mieux l’action des citoyens. Sinon, on peut parler de crise de la loi.
D’ailleurs, qu’est-ce que le logement décent ? Quels sont ses critères ? Selon quels textes normatifs ? Comment évolue la jurisprudence ? Quels mécanismes permettent de récompenser les bailleurs qui jouent le jeu ? Une bibliographie de qualité est-elle disponible ?
L’ouvrage Bail et logement décent répond à toutes ces questions.
Espérons que les soutiens de la majorité présidentielle le lisent, pour au moins utiliser les données factuelles qu’il fournit et améliorer ensuite leurs propositions.
On pense aussi aux bailleurs de bonne foi qui utilisent trop peu les outils offerts par la loi et l’administration pour les aider, et qui se défendent parfois très mal devant les juridictions. Ce livre contient de nombreuses informations qui leur seront profitables.