Covid-19 et télétravail : une rétrospection sur le « nouveau » mode de travail en Afrique francophone

Publié le Modifié le 10/03/2021 Vu 1 919 fois 0
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Le présent article essaie de revenir sur le Télétravail expérimenté par L'Afrique sous les effets du coronavirus. Il propose une analyse des implications juridiques sur le nouveau type de relation créé entre le salarié et son employeur.

Le présent article essaie de revenir sur le Télétravail expérimenté par L'Afrique sous les effets du coro

Covid-19 et télétravail : une rétrospection sur le « nouveau » mode de travail en Afrique francophone

Depuis un an, le monde fait face à la pandémie[1] du coronavirus et son lot de répercussions est sans précédent, tant sur l’Economie mondiale que sur le monde du travail. Tous les Etats, à travers le monde, ont pris des mesures nécessaires dans le but de limiter la propagation du virus facilitée par les contacts humains. Ainsi, des décisions de confinement prises ont obligé les secteurs du travail à envisager le télétravail, pour la plupart des employés, comme une alternative à l’impossibilité de se retrouver constamment sur les lieux de travail.

L’Afrique, en dépit des obstacles tenant aux insuffisances matérielles et techniques, n’est pas du reste. Le continent a emboité le pas aux autres en faisant du télétravail le modus operandi tendancieux dans un climat économique fortement impacté par les effets de la covid-19.

Dès lors, même si le terme a été vulgarisé sous l’effet de sa reprise par les médias, que doit-on retenir du télétravail ? Une année après l’expérience qui, hélas perdure, quel bilan peut être fait en Afrique francophone ? Et enfin, quelle analyse un juriste peut-il opérer à la lumière dudit bilan ?

QU’EST-CE QUE LE TELETRAVAIL ?

Le télétravail renvoie au travail réalisé par un salarié ou employé hors des locaux de l’employeur, ou encore de son lieu habituel de travail. En d’autres termes, c’est le recours aux outils de la technologie de l’information et de la communication pour effectuer un travail hors de son lieu de travail. Toutefois, il ne faut pas confondre un télétravailleur et un travailleur indépendant à domicile, ni un travailleur dit nomade.

En principe, le télétravail n’inclut pas les travailleurs de l’économie des plateformes, ni les travailleurs nomades. En effet, tous ceux qui travaillent en indépendants effectuent déjà leurs tâches principalement à domicile. Par conséquent, ceux-ci doivent plutôt être classés parmi les travailleurs à domicile[2]. Quant aux travailleurs nomades, il s’agit de cette catégorie de salariés qui, n’ayant pas un site fixe de travail, se déplacent de manière récurrente dans le cadre de leurs obligations en vue de satisfaire leur clientèle.

TELETRAVAIL EN AFRIQUE FRANCOPHONE, UN AN APRES, QUEL BILAN ?

La conversion de l’Afrique vers le télétravail de masse comme solution dans un monde économique sérieusement asphyxié par la pandémie du coronavirus paraît comme une nouveauté là où la pratique était déjà relativement monnaie courante en Europe ou aux Etats-Unis en guise d’illustrations. C’est dans un contexte d’insuffisance énergétique, de limite aux moyens technologiques et d’impréparation en autre que vient de s’achever la première année d’expérience au télétravail sur le continent. La lecture sur l’usage de la méthode devant servir à assurer une certaine continuité des activités économiques en plein milieu du confinement suscite un sentiment mitigé. En effet, si Le sphinx M.E.A (Middle East Africa)[3] voit une réussite à 79.2%, les PME africaines déplorent malheureusement un échec dû au défaut des facteurs suivants :

  • un soutien et un accompagnement managérial au niveau de la direction jusqu’aux agents de maitrise ;
  • la détention des outils technologiques appropriés et la formation des salariés à leur utilisation ;
  • la fixation sans ambigüité dès le départ des modalités de télétravail entre salariés et employeurs…[4]

DE LA NECESSITE DE LEGIFERER LE TELETRAVAIL EN AFRIQUE

Au rang des lacunes empêchant une adaptabilité effective du télétravail en Afrique se retrouve un vide législatif qui est à la source des incompréhensions et difficultés des rapports entre salariés et employeurs. Il convient de rappeler à cet effet, que le « télétravail » ne fait l’objet d’encadrement par aucun code du travail dans la plupart des Etats de l’Afrique francophone, notamment le Tchad, le Togo, le Cameroun, le Sénégal ou encore la Côte d’Ivoire. Face à cette situation, il n’est pas à omettre des hypothèses où la ligne entre les obligations de l’employé et en toute réciprocité, celles de l’employeur paraît quasi invisible. Le seul fait qu’il soit annoncé comme solution suffit-il à faire du télétravail une imposition aux salariés ? Quelles sont les règles qui doivent le régir ? Toutes ces interrogations font appel à la nécessité d’encadrer juridiquement le télétravail afin de lever toutes équivoques sur les zones d’ombre dans la relation télétravailleur-employeur.

QUID DES OBLIGATIONS DE L’EMPLOYEUR ?  

Les obligations de l’employeur face à son salarié dans un cadre de télétravail peuvent se résumer en deux points essentiels. Il s’agit notamment du consentement par le salarié tout en sachant que le télétravail est un acte de volonté et ensuite de la mise à disposition des équipements nécessaires au télétravail.

  • Le caractère volontaire du télétravail suppose qu’il ne doit en aucun cas être imposé au salarié par son employeur. Pour ce faire, un accord de volonté accessoirement au contrat initial de travail doit faire l’objet d’un acte sous-seing privé entre les deux parties. Réciproquement, l’option d’accepter ou non le télétravail par le salarié aura pour but également de pousser l’employeur à motiver sa décision lorsque ce dernier oppose son refus[5] face à un salarié qui lui suggère le télétravail.

Néanmoins, il y’a des hypothèses dans lesquelles le télétravail peut être imposé aux salariés de manière exceptionnelle, comme une solution pouvant permettre à garantir leur protection et par la même occasion, préserver l’entreprise.

Outre ces modalités afférant à l’accord au télétravail, il n’est pas à omettre un temps d’essai devant servir aux prochains télétravailleurs à s’adapter à leurs nouveaux outils de travail.

  • L’employeur a l’obligation également de fournir à ses salariés tous les équipements et leur installation pour le télétravail. Cette fourniture doit être accompagnée des règles d’utilisation qui prévoient des mesures coercitives en cas de leur non-respect. Etant donné que le télétravailleur est virtuellement sous la responsabilité de son employeur à ses heures de travail à domicile, l’employeur a aussi l’obligation de s’assurer que les conditions de travail ne soient pas susceptibles de nuire à sa santé et à sa sécurité.

QUID DES DROITS ET OBLIGATIONS DU TELETRAVAILLEUR ?

Le télétravail diffère du cadre traditionnel de travail par le fait que le travailleur exécute ses tâches à domicile. Cette configuration nécessite à ce que des éléments afférant à ses droits et obligations soit analysés. Deux points essentiels nous permettront de faire le contour de ses droits et obligations.

  • Tout d’abord, le refus justifié par le salarié à la proposition de télétravail par son employeur ne doit en aucun cas constituer un motif de licenciement. Cette précision vient mettre une limite à l’abus de pouvoir dont font souvent preuve certains employeurs. Ensuite, bien que le télétravailleur ait l’obligation de résultat dans les tâches qui lui sont confiées par son employeur, il peut opposer à ce dernier le respect des limites intrusives. Ainsi, en dehors des horaires de travail, le télétravailleur n’est pas obligé d’accepter les appels à sollicitation de son employeur dans le cadre du travail.

Toutefois, dans le cadre du télétravail, le salarié ne peut se prévaloir de certaines de ses prérogatives. Il en est ainsi des avantages tels que les indemnités repas ou tickets restaurants qui ne peuvent être gratifiées lorsque le télétravail concerne l’ensemble d’un département ou la majeure partie du personnel. Par ailleurs, l’employeur a le droit de contrôler le respect des horaires de travail. Il existe des logiciels dits de « reporting » qui pourront servir à faire ce contrôle.

  • Lorsqu’un télétravailleur connaît un accident sur son lieu de travail, l’applicabilité de la responsabilité est imputable à son employeur[6]. La présomption se fait comme dans le cadre d’une relation de travail ordinaire[7]. Par ailleurs, le télétravailleur doit exiger de son employeur l’élaboration des plages horaires de travail afin de lui permettre à pouvoir s’organiser dans la conciliation de sa vie privée et celle de salarié à domicile.

Dans l’hypothèse où l’occupation de l’habitation à des fins professionnelles doit générer des dépenses au salarié, cela devra donner lieu à une prime d’occupation au bénéfice de ce dernier[8]. Cependant, cette prime ne peut exister si l’initiative du télétravail émane du salarié[9]. Nous espérons des précisions sur cet aspect lors de l’encadrement du télétravail.

Somme toute, la seule constante en droit est son adaptation à l’évolution et mutation de la société. Certes, le télétravail n’est pas une réalité unanime en Afrique, mais le constat fait sur son recours doit interpeller les législateurs en vue d’assainir aux moyens de textes de loi, la nouvelle forme de liens qu’il crée entre le salarié et son employeur.

 

NGUEMADJITA Flambert,

Juriste d’affaires, spécialisé en Droit du numérique

 

 



[1] Qualification faite de l’épidémie le 11 mars 2020 par l’OMS.

[2] Convention n°177 sur le travail à domicile, OIT, 1996.

[3] Un éditeur de logiciels d’enquêtes et d’analyse des données.

[4] Article publié le 27 mai 2020 par Martial Ngassam, Le Point.

[5] Article L. 1222-9,III, code du travail, France.

[6] Henri-Joël TAGUM FOMBENO, « Droit sénégalais de la protection sociale », Ed. L’Harmattan, 2020, p. 91 et s.

[7] Article L.167 et s, Code de travail français ; Cass. soc. 11 avril 1996, n° 94-12208, BC V n° 155

[8] Cass. soc. 8 novembre 2017, n° 16-18501 FSBP

[9] Cass. soc. 14 avril 2016, n° 14-13305 D

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