Marchés financiers en Afrique : Pourquoi les structures de placements à risque sont-elles interdites ?

Publié le 06/04/2021 Vu 3 072 fois 0
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Les sociétés dites de "placements à risque" refont l'actualité des marchés financiers en zones CEMAC et UMOA. Nous essayons de revenir sur les raisons de leur interdiction par les autorités.

Les sociétés dites de "placements à risque" refont l'actualité des marchés financiers en zones

Marchés financiers en Afrique : Pourquoi les structures de placements à risque sont-elles interdites ?

Sur les marchés financiers des deux communautés économiques et monétaires[1] de l’Afrique subsaharienne et essentiellement francophone, on assiste depuis la décennie dernière à l’apparition des structures dites de « placements à risque » et ce, de manière exponentielle. Elles sont connues pour certaines d’entre elles sous la dénomination de :  QNET, Global Trade Corporation, Global Business Management Institute, Prosperity Investment Corporation (PIC) S.A, la Société de Négoce et de Courtage en Banque (SNCB)Généralement, ces structures proposent à leur clientèle la collecte des fonds avec la promesse d’un remboursement en sus de pourcentage très élevé d’intérêts (allant jusqu’à 300%), sur une durée relativement courte. L’engouement des profanes des marchés boursiers vers ces structures dans l’espoir de se faire le plus de gains possibles a contribué, à lui seul, à faire leur publicité sur les réseaux sociaux. Pourtant, contre toute attente, les autorités compétentes ont prohibé, non seulement leurs activités, mais également leur prolifération sur les deux marchés précédemment mentionnés. Quelles raisons pourraient bien sous-tendre à une telle décision ? Avec des levés de fonds considérables sur les marchés boursiers respectivement dans la zone CEMAC et UEMOA[2], n’est-ce pas une valeur ajoutée pour le marché financier la présence des structures privées faisant de l’appel public à l’épargne ?

 Répondre à ces préoccupations fera l’objet des prochains développements. Mais tout d’abord…

Qu’est-ce que l’Appel Public à l’Epargne en Droit Financier ?

Au sens du droit financier, l’appel public à l’épargne (APE) est une technique de financement de l’entreprise permettant de drainer des capitaux indispensables à la création et à l’essor des sociétés d’une certaine taille. On dit donc d’une société qu’elle fait publiquement appel à l’épargne lorsqu’elle « a recours pour la constitution de son capital, à l’épargne publique par des moyens (titres inscrits à la cote officielle des valeurs mobilières…) »[3]. Il se matérialise sur le marché financier par différentes opérations parmi lesquelles l’émission ou la cession d’instruments financiers dans le public et ayant recours soit à la publicité, soit au démarchage à des établissements de crédit ou des prestataires de service d’investissement. Cette technique a connu d’évolutions considérables sous l’effet de la Fintech, conséquence de l’adaptation du monde de la finance aux nouvelles technologies qui ont vu naître le trading en ligne, la cryptomonnaie et toute sorte de monnaies dites virtuelles.

Si sur les marchés financiers régionaux africains de l’UEMOA et de la CEMAC, la notion de cette technique d’investissement est restée telle, en Droit français, on parle désormais d’« offre au public des titres financiers »  en vertu d’une ordonnance[4]. Toutefois, dans le souci d’aboutir à une cohérence entre les marchés financiers évoqués précédemment et le droit OHADA, des modifications substantielles ont été opérées. Ainsi, il résulte des actualisations sur l’appel public à l’épargne contenues dans l’Acte uniforme relatif aux droits des sociétés commerciales de 2014, les modifications suivantes :

  • La prise en compte des deux variantes de l’APE, à savoir l’offre publique et la négociation[5] sur la bourse des valeurs ;
  • Le remplacement de la notion de « titres » par celle de « valeurs mobilières » ;
  • L’actualisation de la notion d’offre au public[6] ;

Néanmoins, il ne suffit pas de se constituer en société anonyme faisant appel public à l’épargne pour prétendre exercer en toute quiétude. Il existe des conditions qui doivent préalablement être remplies.

Les conditions requises pour prétendre faire appel public à l’épargne 

Les exigences faites aux entités qui font l’appel public à l’épargne par les organes[7] habilités dépendent de la zone monétaire dans laquelle elles se retrouvent.

Ainsi, pour la zone CEMAC, l’autorité de régulation a fixé les exigences suivantes :

« Tout émetteur souhaitant réaliser, dans l’espace CEMAC, une opération de placement privé adresse à la COSUMAF une lettre de demande d’enregistrement.

La lettre de demande d’enregistrement adressée à la COSUMAF est accompagnée d’un dossier qui comprend un document d’information simplifié et d’autres éléments précisés dans une instruction de la COSUMAF[8]. Le document d’information simplifié doit notamment préciser la nature et les modalités de l’opération avant son lancement[9] »

Quant à l’UMOA, le Conseil Régional d’Epargne Public des Marchés Financiers (CREPMF), l’autorité de régulation, a spécifiquement prévu dans son règlement général qu’au regard des impératifs de protection de l’épargne investie en valeurs mobilières, il échoit au Conseil d’agréer les sociétés de droit privé en qualité de Bourse Régionale de Valeurs Mobilières, constituées en société anonyme. Il en est de même concernant l’agrément pour les sociétés anonymes à l’effet d’assumer les fonctions de Dépositaire Central/Banque de Règlement[10].

En outre, toute entité faisant appel public à l’épargne ou tout exercice impliquant les instruments financiers tels que les titres dans une intention d’investissement doit avoir obtenu pour elle-même un agrément de la COSUMAF ou du CREPMF, selon la zone économique de l’Etat dans lequel elle exerce. Par dérogation aux deux organes de contrôle et de régulation mentionnés ci-haut pour l’agrément, les sociétés faisant la collecte de fonds du public en échange des titres financiers peuvent également obtenir une autorisation préalable des Banques Centrales ou des Ministères de l’Economie et des Finances des territoires sur lesquels elles exercent.

Les motifs d’interdiction d’exercer

Pour reprendre cette expression chère aux pénalistes : « Nullum crimen, nulla poena sine lege ! » (Aucune peine, sans loi). En effet, il n’y’a aucune sanction appliquée en droit que la loi n’a pas prévu. Nous pouvons comprendre des développements précédents que les autorités ne sont pas contre les entités intervenant sur les marchés financiers. Elles ont plutôt manifesté leur préoccupation par l’encadrement et la protection de leurs activités aux moyens des textes réglementaires, sécrétés par des organes de régulation dûment habilités. Toutefois, elles sanctionnent des attitudes véreuses tendant à contourner les règles de principe pour se complaire dans l’illégalité.

Dans le cas d’espèce, l’illégalité des structures interdites d’exercer se caractérise sur deux aspects : le défaut d’agrément pour commencer ses activités et la mauvaise foi dans les prestations.

Les sociétés de trading ou d’investissements citées plus-haut ont été interdites car « (…) l’exercice de toute activité en lien avec l’appel public à l’épargne et les instruments financiers, est soumis à l’agrément obligatoire ou à l’autorisation préalable de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), du Conseil Régional de l’Epargne Publique et des Marchés Financiers (CREPMF) de l’UMOA ou du Ministère de l’Economie et des Finances[11] ». Alors qu’aucune d’entre elles ne remplit cette condition sine qua none selon les autorités qui sont à l’initiative du communiqué de leur prohibition.

Outre ce défaut d’autorisation au préalable ou d’agrément, il est reproché auxdites sociétés la mauvaise foi dans les prestations à savoir l’usage du système d’arnaque appelé « système de Ponzi » et leur insolvabilité pour honorer leur engagement vis-à-vis de la clientèle.

Nommé d’après son précurseur Charles Ponzi[12], « un stratagème de Ponzi » est une fraude d’investissement qui paie les investisseurs existants avec les fonds recueillis auprès de nouveaux investisseurs. Les organisateurs de régimes de Ponzi promettent souvent d’investir l’argent des investisseurs et de générer des rendements élevés avec peu ou pas de risque. Mais dans beaucoup de stratagèmes de Ponzi, les fraudeurs n’investissent pas l’argent. En réalité, ils l’utilisent pour payer ceux qui ont investi plus tôt et peuvent en garder pour eux-mêmes. Avec peu ou pas de revenus légitimes, les régimes de Ponzi exigent un flux constant de nouveaux fonds pour survivre. Quand il devient difficile de recruter de nouveaux investisseurs, ou quand un grand nombre d’investisseurs existants encaissent, ces régimes ont tendance à s’effondrer.

Par ailleurs, cette arnaque en forme pyramidale implique généralement des investissements qui ne sont pas enregistrés auprès des autorités de contrôle ou auprès des organismes de réglementation de l’État. Or, l’enregistrement est important parce qu’il permet aux investisseurs d’avoir accès à des renseignements sur la gestion, les produits, les services et les finances de ces entreprises[13].

L’exemple le plus connu après Ponzi est l’affaire Bernard Madoff aux Etats-Unis avec un montant estimé à environ soixante-cinq milliards de dollars US (65 milliards $). L’Afrique n’est pas du reste et le cas béninois nous l’illustre bien. En effet, en 2010 dans ce pays de l’Afrique de l’Ouest et Etat-membre de l’UMOA, le stratagème de Ponzi a occasionné une perte estimée à 155,6 milliards de FCFA auprès de 150.000 individus en quatre ans[14].

A la prise des décisions leur interdisant d’exercer à cause de leur statut illégal, les sociétés de placements susmentionnées sont sommées de rembourser sans délai leurs clients. D’aucuns estiment que les autorités ont été laxistes face à ces phénomènes qui n’ont que trop perduré depuis les années 2010. La mise en demeure des boites comme la Global Trade Corporation au Togo par le ministre de l’Economie et des Finances à se conformer à la règle par l’acquisition d’un agrément auprès des autorités compétentes suscite des questionnements. Il y’a lieu de se demander si l’Office Togolais des Recettes (OTR) percevait des impôts de cette entreprise depuis son fonctionnement, alors qu’elle est reconnue illégale au regard de la loi sur les marchés financiers.

Somme toute, en dépit des mesures contraignantes et de la sensibilisation en masse des autorités sur ses méfaits, le système d’arnaque utilisé par les structures de placements est loin de connaître la fin de ses jours en Afrique. En effet, il est difficile d’avoir un réel contrôle dans des zones économiques où l’informel continue de côtoyer le formel. La confiance est un facteur essentiel pour amadouer les clients et les entrepreneurs rusés l’ont très vite compris. Si la collecte des fonds du public doit demeurer l’exclusivité des entités agrémentées, les pratiques de cotisations telles que la tontine continuent d’exister. Les formes d’arnaque empruntent de plus en plus les règles de fonctionnement des tontines dont la seule garantie est le témoignage de quelques client chanceux qui ont pu avoir leur remboursement.

Il conviendrait pour les autorités d’être assez constantes dans la répréhension des pratiques illégales sur les marchés financiers pour espérer venir à bout des acteurs véreux qui abusent de la naïveté de leurs clients. En plus, des systèmes de surveillance devraient également être renforcés tant dans la zone CEMAC que UMOA afin d’anticiper et être proactif face à ces pratiques illégales de gains basées sur le système de Ponzi.

 

NGUEMADJITA Flambert,

Juriste d’affaires, spécialisé en Droit du numérique



[1] Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) et l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA)

[2] Le marché financier en zone CEMAC a pu lever 107 milliards (Source : Agence Ecofin ; article du 16 mars 2021) contre 7500 milliards de CFA dans l’UEMOA (Source : Fiancial Afrik ; article du 11 février 2021).

[3] Gérard CORNU, « Vocabulaire juridique », 12e Edition mis à jour, Association Henri Capitant, p.411

[4]  L'ordonnance no 2008-1 du 22 janvier 2009.

[5] Article 759 à 763-1, AUDSC-2014

[6] Une reprise de l’article 2 de la directive européenne Prospectus I et de l’article L. 411-1 du Code monétaire et financier français.

[7] Le Conseil Régional de l’Epargne Publique et des Marchés Financiers (CREPMF) pour l’UEMOA et la Commission de Surveillance du Marché Financier de l’Afrique Centrale (COSUMAF) pour la CEMAC.

[8] Article 15, Instruction N° 2005-03 du 20 Décembre 2005 portant dispositions transitoires relatives au dépositaire central-chambre de compensation du marché financier de l’Afrique centrale.

[9] Article 23, Règlement Général de la COSUMAF

[10] Article 12, Règlement Général du CREPMF

[11]Extrait du communiqué officiel adressé le 30 mars 2021 par Sani Yaya, ministre togolais de l’Economie et des Finances.

[12] Charles Ponzi est un escroc italien, concepteur d'un mode d'escroquerie élaboré sur une chaîne d'emprunt. Il utilisa ce système en 1919 à Boston, ce qui fit de lui, personne anonyme, un millionnaire en six mois.

[13] https://www.investor.gov/protect-your-investments/fraud/types-fraud/ponzi-scheme

[14] « Crise des institutions de placement illégal d’argent au Bénin : origine et manifestations », Jude C. Eggoh, Denis H. Acclassato.

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