La célèbre maxime « un mauvais arrangement vaut mieux qu'un bon procès »[1] est quasi inappliquée dans le milieu d’affaires au Tchad, où les procès sont matières courantes. Maintes sont les différends faisant l’objet d’un contentieux alors même qu’un règlement amiable serait la solution la mieux adaptée. Une situation justifiée notamment par la perception de la voie judiciaire comme l’option la plus sûre en dépit de l’aléa judiciaire, mais aussi la méconnaissance même des modes amiables par le plus grand nombre. Il est vrai, certaines affaires telles celles touchant à l’intérêt général devraient être soumises à la juridiction compétente. Par contre, il est des affaires qui nécessitent un règlement dans la plus grande des discrétions et dans un bref délai.
Vous l’aurez compris, nous faisons allusion à la conciliation, l’arbitrage, la procédure participative, le droit collaboratif, la médiation, etc. Cette dernière est souvent confondue tant dans la théorie que la pratique, avec ces autres modes de règlement amiable.
Mais la médiation, qu’est-ce que c’est ? Et pourquoi y recourir dans le milieu d’affaires au Tchad ?
Définition de la médiation
« Tout processus, quelle que soit son appellation, dans lequel les parties demandent à un tiers de les aider à parvenir à un règlement amiable d'un litige, d'un rapport conflictuel ou d'un désaccord découlant d'un rapport juridique, contractuel ou autre ou lié à un tel rapport, impliquant des personnes physiques ou morales, y compris des entités publiques ou des Etats »[2].
Autrement dit, la médiation est un processus structuré et non une procédure[3], qui permet aux parties de parvenir à un accord en vue du règlement amiable de leurs différends. Il est réalisé avec l'aide d'un tiers, tenu de mener sa mission en respectant une posture bien déterminée .
Par ailleurs, ce processus n'est pas un mode alternatif mais un mode amiable de règlement de différends. La médiation se veut une recherche d’un accord commun que d’une alternative à la justice, d’un choix entre elle et le juge. Elle n’empêche pas la saisine du juge et le médiateur ne remplace en aucun cas celui-ci.
Les différents types de médiation
Le Code de procédure civile, commerciale et sociale dispose de la médiation judiciaire[4] à l’instar de l’Acte Uniforme sur la Médiation. Ledit Acte Uniforme prévoit également la médiation conventionnelle c’est-à-dire celle mise en œuvre par les parties, et celle exercée sur demande ou invitation d'un tribunal arbitral ou d'une entité publique compétente[5].
Ainsi, dans le cadre d’un contrat, les parties ont la latitude de prévoir le règlement des différends susceptibles de survenir durant son exécution en y insérant une clause de médiation. En l’absence d’une telle clause, l’une des parties peut inviter l’autre à une médiation[6].
Lorsqu’aucune de ces deux options n’a été choisie, le juge saisi de l’affaire, à la possibilité de proposer aux parties de procéder à une médiation. Dans ce cas, les parties choisissent un médiateur ou encore, le juge en désigne un avec l’accord sans équivoque de celles-ci. Le médiateur dispose alors de 2 mois pour mener sa mission.
L’instance est suspendue durant toute la médiation. Il en est de même pour une médiation suggérée par exemple par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA. En tout état de cause, la médiation ne peut être imposée aux parties.
Le Médiateur
Il ne peut y avoir de médiation sans médiateur. Celui-ci peut être une personne physique ou morale. Mais intéressons-nous au médiateur personne physique.
N’est pas médiateur qui veut. Effectivement, le tiers médiateur doit justifier d’une certaine qualification[7], connaitre la matière, les principes régissant la médiation pour ne pas transformer le processus en une conciliation ou un arbitrage.
Le médiateur se doit de mener sa mission avec indépendance[8], autonomie, vis-à-vis de toute autorité quelle qu’elle soit. Il reste impartial[9] et ne prend parti d’aucun des médiés (les parties à une médiation) durant tout le processus. Cette impartialité commence à jouer avant même le début de la médiation, le médiateur doit s’assurer de toute absence de conflits d’intérêts préalablement à l’acceptation de sa mission.
De même, il doit rester neutre[10] et ne pas proposer ni imposer une solution au différend. Ceci démontre toute la complexité et la technicité du processus qui requiert une réelle imprégnation de la posture du médiateur.
Le médiateur, les médiés ainsi que toutes les personnes ayant pris part au processus (avocat, conseil juridique, etc.), doivent tenir confidentielles[11] toutes les informations relatives à la médiation sous peine d’engager leur responsabilité pénale[12]. Néanmoins, ces informations peuvent être divulguées quand les parties en ont décidé ainsi, lorsque la loi l’exige ou encore si sa divulgation est nécessaire à la mise en œuvre ou l'exécution de l'accord issu de la médiation.
Quid de sa responsabilité civile ? Tous ceux ayant des obligations dans une médiation peuvent voir leur responsabilité civile être engagée. Par contre, celle du médiateur ne peut être engagée en cas d’échec de la médiation, étant donné qu’il est soumis à une obligation de moyens et non une obligation de résultat[13].
Pourquoi choisir la médiation
Très peu sont les investisseurs qui prennent le risque d’investir au Tchad compte tenu des difficultés judiciaires majeures rencontrées par les sociétés dans leur fonctionnement. Ces difficultés existent tant dans les relations des sociétés avec leurs employés et leurs clients qu’avec les pouvoirs publics. Celles-ci estiment avoir fait l’objet de condamnations abusives qui mettent en danger leur survie[14]. Des décisions de justices qui rendent réticents les investisseurs nationaux et méfiants, les investisseurs étrangers.
Comment améliorer la situation ? En pratiquant les modes de règlement amiable à grande échelle à l’exemple de la France qui a instauré un recours préalable obligatoire à la conciliation, à la méditation ou à la procédure participative – avant toute saisine du juge pour les litiges n’excédant pas 5 000 Euros[15] (environ 3 200 000 Francs CFA) et les conflits de voisinage[16], sous peine d’irrecevabilité de la demande.
Une telle mesure pourrait être prise par le Tchad tout en l’adaptant à sa réalité. Elle permettrait donc de recourir à la médiation dans le cadre des différends sociaux, commerciaux pour ne citer que ceux-là.
L’argument principal du choix de la médiation est l’aléa judiciaire. Mais de quoi s’agit-il ? C’est l’impossibilité de préjuger de la décision qui sera rendue par le juge et ce, même si vous estimez votre affaire similaire à un litige antérieur – que l’issue de votre dossier sera identique à celui-ci. Vous serez surpris (…)
La médiation permet de contourner cet aléa judiciaire et d’avoir le contrôle sur le processus de règlement du différend sous tous ses aspects, faisant des médiés les acteurs. En sus, elle garantit :
- la confidentialité, évitant que l'affaire ne s’ébruite comme il est souvent le cas
- le gain de temps. Si vous évoluez dans le milieu d’affaires au Tchad, vous n’êtes pas étranger à l’éternisation des procédures
- des frais maitrisés et décidés par les parties et le médiateur soit directement, soit par référence à un règlement de médiation
- le maintien des bonnes relations entre les parties car l’objectif est aussi une négociation raisonnée, gagnant-gagnant
La tendance n’est pas vraiment au changement, il faudrait du temps avant d'attester d'un réel ancrage des modes de règlement amiable dans la pratique tchadienne. Il peut être affirmé sans conteste que la pratique de la médiation empêcherait des contentieux « inutiles » pour ne pas dire évitables (désengorgeant les tribunaux), renforcerait la confiance des investisseurs étrangers et de facto, contribuerait grandement à l’amélioration du climat des affaires au Tchad.
RONELNGUE Boris,
Juriste d’affaire, Etudiant en Modes Alternatifs de Règlement de Différends
[1] Honoré de Balzac, Les illusions perdues : les souffrances de l'inventeur, Furne 1843
[2] Art.1 al.1 a) de l’Acte Uniforme sur la Médiation
[3] Le processus désigne une succession d'étapes toutes coordonnées les unes aux autres et permettant d'accéder au résultat souhaité. Tandis que la procédure est une série de formalités qui doivent être remplies sous peine d’irrecevabilité.
[4] Art. 19 à 23 du Code de procédure civile, commerciale et sociale
[5] Art.1 al.2 de l’Acte Uniforme sur la Médiation
[6] Art.4 de l’Acte Uniforme sur la Médiation
[7] Respect de la volonté des parties, équité, intégrité morale, diligence, compétence, garantie d'efficacité du processus de médiation, etc.
[8] Art.6 al.1 de l’Acte Uniforme sur la Médiation
[9] Art.6 al.1 de l’Acte Uniforme sur la Médiation
[10] Art.7 al.4 de l’Acte Uniforme sur la Médiation
[11] Art.8 de l’Acte Uniforme sur la Médiation
[12] Art.390 et suivants Code Pénal
[13] L’obligation de moyens est celle en vertu de laquelle le débiteur (ici le médiateur), soit astreint à faire son possible pour aboutir au résultat escompté. Alors que l’obligation de résultat oblige le débiteur à parvenir au résultat prévu dans le contrat sous peine d’engager sa responsabilité.
[14] Conseil National du Patronat Tchadien, Livre blanc, édition 2012, p.45
[15] Article 750-1 du code de procédure civile
[16] Article 3 de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022