L’investissement dans le secteur privé constitue un facteur important pour la croissance et le développement économiques, source du bien-être de la population. Or, le secteur privé tchadien, censé être l’un des plus attractifs en Afrique, surtout en Afrique Centrale, ne l’est pas. Le constat est saisissant, le milieu d’affaire tchadien est quasi vierge en dépit des textes en vigueur tendant à garantir une sécurité à tout investisseur (…)
Qu’est-ce que la sécurité juridique ?
Principe à valeur constitutionnelle, la sécurité juridique est la « ratio legis », la raison d’être de la Loi. Elle implique que les particuliers et les entreprises doivent pouvoir compter sur une stabilité minimale des règles de droit et des situations juridiques[1].
A ce titre, la législation doit réunir certains éléments que sont la clarté, la simplicité, la modernité, la cohérence et l’accessibilité[2]. Tout laisse à penser que ces éléments sont cumulatifs et l’absence d’un d’entre eux serait constitutif d’insécurité juridique.
Qu’est – ce qu’un investissement ?
Il n’apparaît aucune définition généralement acceptée en droit du mot « investissement ».
D’aucuns pensent qu’un investissement ne l’est que s’il conduit soit à la création d’une entreprise nouvelle, soit à des apports en capitaux ou biens ou prestations à des entreprises établies[3].
A l'inverse, d'autres qualifient d'investissement, tout apport d’une valeur économique portant sur une certaine durée (une année fiscale au moins) et comprenant une participation aux risques, voire une contribution au développement économique[4].
L’investisseur est par ailleurs la personne physique ou morale qui exerce un tel apport.
Alors, le droit tchadien assure-t-il une sécurité aux investissements sur son territoire ? Remontons un peu dans le temps pour tenter de répondre, sur le plan juridique à cette question.
« Genèse » du droit positif des affaires tchadien
Pendant longtemps, les Etats africains ont appliqué des législations exclusivement héritées de la colonisation. Le Tchad appliquait alors en matière de droit des sociétés commerciales la législation française de 1966 alors qu’elle est postérieure à l’indépendance (11 août 1960) et qu’elle n’a, sauf erreur de notre part, jamais été rendue applicable par un décret. En matière commerciale le texte en vigueur était le Code de Commerce français de 1807 bien qu’appuyé par une ordonnance du 6 au 12 avril 1984 portant statut du commerçant. La matière civile est, jusqu’aujourd’hui encadrée par le Code civil français de 1958[5].
Ce bref aperçu de quelques textes qui réglementaient le domaine du droit des affaires au Tchad avant, pendant et après l’indépendance montre combien le pays ne s’était pas gêné de ménager ses efforts en ce qui concerne son système juridique. Il existe toutefois des matières sur lesquelles le Tchad a très tôt légiféré[6]. Mais en général le Pays de Toumaï[7] préférait attendre qu’une règle soit adoptée en France, ensuite la transposait dans sa législation interne. L’instabilité politique dont le pays a longtemps fait l’objet, a souvent été avancée comme la première excuse justifiant une telle situation mais celle-ci est, disons, un stéréotype. Bon nombre de pays, ont connu des troubles mais cela ne les a pas empêché d’adapter leur système juridique à leur réalité.
Ainsi, en ce qui concerne le droit des affaires (droit des contrats, droit de la propriété intellectuelle, droit des sociétés, droit commercial, droit fiscal, etc.) plus précisément le domaine des investissements, le Tchad proposait, à l’instar de certains pays de l’Afrique subsaharienne francophone et d’héritage du droit romano-germanique, une sécurité juridique « dépassée » pour ne pas dire inexistante, aux investisseurs. Or, le droit des affaires est un droit mouvant, un droit en perpétuel devenir qui a besoin d’être actualisé et adapté à la réalité à chaque fois que le besoin se fait ressentir. Ces textes « copier-coller » sont restés en vigueur, sauf exception du Code Civil de 1958, jusqu’à l’avènement du droit OHADA (Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires) en 1993, soit plus de 30 ans après « l’indépendance ». Durant ce temps, certains pays d’Afrique subsahatienne francophone[8] ont, légiféré dans l’optique d’apporter un vent nouveau au droit des affaires et ce bien avant l’avènement de l’OHADA. Même si le contenu des textes en question était inspiré en partie des textes français, ceci leur a permis d’avoir « tôt », un environnement propice des affaires.
Et maintenant ?
Il a fallu la création de l’organisation panafricaine qui a pour objectif la mise en place au sein de ses Etats membres « d’un droit des affaires harmonisé, simple, moderne et adapté, afin de faciliter l’activité des entreprises »[9], pour proposer une réelle sécurité juridique à tout investisseur.
Mais alors, l’adhésion à l’OHADA résout tout le problème de la sécurité des investisseurs ? Pas vraiment.
En réalité, la sécurisation des affaires passe également par l’élaboration des législations sur les investissements, spécifiques à chaque région et pays. On retrouve par exemple un Code des investissements en élaboration en Afrique de l’Ouest où chaque Etat dispose en plus, d’un propre code des investissements. Tandis qu’en Afrique Centrale, il existe une Charte des investissements, transposé en droit interne des Etats membres. Ces règles sont destinées régir les relations entre un investisseur et les autorités publiques de l’Etat sur le territoire duquel il cherche à entreprendre son activité économique et ont, un aspect beaucoup plus fiscal que juridique. En sus de la charte de la CEMAC (Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale), le Tchad dispose de sa propre Charte sur les investissements, inspirée de la charte communautaire. S’ajoutent à cela des lois, décrets et ordonnances sur les différentes matières touchant le milieu d’affaire.
Toutefois, malgré les garanties d’investissement prévues dans les différents textes de Loi au niveau international, communautaire et national, les investissements au Tchad demeurent rares.
En cause ? Le défaut de l’applicabilité des textes. Les faits pouvant illustrer cette discordance entre théorie et pratique sont légion et tout le monde y a droit (multinationale, petite association à but non lucratif, entrepreneur, etc).
Il est connu, si les faits ne correspondent pas à la théorie, il faut changer les faits. Sans cela, le Tchad continuera à côtoyer les dernières places des classements Doing Business de la Banque Mondiale ou COFACE notamment, scrutés de prêt dans le cadre des investissements directs étrangers.
A Guy Canivet de dire : « Le droit intervient, dans une proportion importante, dans la valorisation des services offerts dans un État ou dans une zone économique. Il est largement pris en compte dans les choix des investisseurs internationaux »[10].
Mais comment faire pour améliorer la situation ?
Nous proposons des recommandations qui pourraient participer à la mise en place d’un cadre juridique interne moderne, stable et sécurisant, tant pour les personnes publiques que privés :
- rédiger des clauses contractuelles primordiales telle la clause de stabilisation du droit, la clause d’intangibilité, la clause de hardship (cf. affaire Glencore), la clause de force majeure, la clause de règlement amiable, etc ;
- mieux protéger les contrats en les confiant à des personnes (nationaux) qualifiées plutôt que de faire appel à des cabinets étrangers non implantés sur le territoire et ignorant les réalités socio-économiques du Tchad;
- mettre en place un texte portant droit des contrats (et toute la matière civile) au détriment du code civil de 1958 ;
- réviser le code du travail à l’effet de pallier ses vides législatifs ;
- promouvoir d'une manière effective les modes alternatifs de règlement de différents ;
- procéder à une réforme de l’appareil judiciaire ;
- assurer une application stricte des règles sur les modalités de fermeture des sociétés ;
- légiférer sur une loi anti-corruption, etc.
Bien sûr, ces propositions ne concernent que l’aspect juridique et ne peuvent toucher au social, à l’économie ou encore au fiscal qui contribueraient tous à une amélioration significante.
Pour un pays en voie de développement tel le Tchad, l’investissement est une condition sine qua none à la croissance. Cependant, parler d’investissements revient à parler de sécurité juridique. Disposer d’un des meilleurs droits des affaires (droit OHADA) qui puisse exister est une chose, l’appliquer en est une autre. Que le Tchad parvienne à instaurer un système juridique (et judiciaire) interne stable et efficace qui fera de lui un pays où il est bon de faire les affaires, nécessitera d’être proactif.
RONELNGUE Boris
Juriste d’affaire, Etudiant en Modes Alternatifs de Règlement de Différends
[1] Lexique des termes juridiques 2017-2018, Dalloz
[2] L’OHADA et le climat d’investissement en Afrique, Roger MASAMBA, in Penant, N°855 (Avril - Juin 2006), p.137, Ohadata D-06-49
[3] Dmitri Georges Lavroff_Africa Spectrum_Vol. 4, No. 3, Law in East Africa (1969), pp. 64-73
[4] Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI) : Affaire Nº ARB/98/2, E. GAILLARD, « La jurisprudence du CIRDI », Pedone,2010, volume 2, pp. 1-2 et Affaire Patrick Mitchell contre République Démocratique du Congo, CIRDI No. ARB/99/7
[5] Rendu applicable au Tchad par l’Acte législatif n°1 portant constitution du 31 mars 1959 et par la Loi constitutionnelle n° 2/62 du 16 avril 1962.
[6] Décret 156/PR du 26 août 1963 portant Code des Investissements
[7] Nom donné au Tchad en référence à la découverte d'un crâne fossile de primate découvert en 2001 au Tchad
[8] le Sénégal et la Côte d’Ivoire notamment
[9] Préambule du Traité OHADA du 17 de 1993, paragraphes 4
[10] Colloques et conférences juridiques et judiciaires franco-tchèques, « L'efficience des systèmes juridiques », publication de l'Ambassade de France en République tchèque, année 1999/2000, p. 50