Dans son édition du 15 mars 2023, Le Canard Enchaîné révèle une étrange affaire, même si elle semble obéir à la logique bien connue du donnant-donnant. En 2016, le maire de Saint-Gervais-les-Bains, Jean-Marc Peillex, autorise la construction de trois chalets de luxe à vocation hôtelière au pied du Mont-Blanc. Le 11 février 2023, l’association Respectons la terre porte plainte pour « délivrance illégale d’un permis de construire et corruption passive ». Ce permis a en effet été accordé à « des hôtels dans une zone naturelle où seules les constructions à usage d’habitation sont autorisées par le plan local d’urbanisme (PLU) », dénonce l’association France Nature Environnement Haute-Savoie (FNE 74). Ces « chalets d’habitation » « sont rentrés dans le giron de l’Hôtel de l’Armancette et sont ouvertement exploités avec des services hôteliers et un spa, sans qu’un changement de destination n’ait été, semble-t-il, obtenu », souligne FNE 74. Pour l’association, la construction de ces chalets hôteliers « aurait dû faire l’objet d’une demande d’autorisation d’unité touristique nouvelle (UTN) », et non d’un simple permis de construire. « Leur changement de destination post-construction aurait dû être régularisé ».
De plus, Le Canard Enchaîné nous révèle que le propriétaire des chalets n’est autre que le multimillionnaire Vincent Gombault, propriétaire d'hôtels de luxe et gérant de Clipway Ltd, un prestigieux fonds d’investissement basé à Londres, en Belgique et au Luxembourg. Coïncidence plus que troublante, ce bénéficiaire du permis de construire a, en parallèle, fait des dons généreux à la commune pour financer la rénovation de son patrimoine (au moins 1,5 million d’euros selon l’hebdomadaire satirique). « Ces chalets ne sont pas des hôtels, se défend le maire. Ce sont des meublés de tourisme avec services, autorisés par le PLU, comme la location Airbnb ». Une « location Airbnb » qui propose tout de même même un chef cuisinier à domicile, une conciergerie et un véhicule avec chauffeur. La plainte a été transmise au parquet d’Annecy, mais ce type de procédés n’est pas une exception, loin de là.
Cessions immobilières douteuses
Autre lieu, autre affaire : c’est l’histoire, racontée par Le Télégramme de Brest, d’un ensemble immobilier comprenant un terrain de plus d’un hectare et deux bâtiments à Penmarc’h (29), à 200 mètres de la plage. Il a utilisé durant des années par la commune de Courbevoie (92) comme camp de vacances pour les enfants de la commune. En 2013, la ville décide de s’en séparer et met en vente la propriété. Prix : 220.000 €. Plusieurs acquéreurs se présentent, dont le président de l’association Crocq’vacances, avec un projet de centre de vacances et qui propose même 240.000 €. Mais l’adjointe à l’urbanisme de Penmarc’h, Nathalie Poulard, s’y oppose sous prétexte de risque d’inondation – alors que la zone n’est pas classée comme submersible. D’autres candidats au rachat sont également évincés... En 2015, Courbevoie accepte, faute de mieux, une offre de 150.000 € émanant d’un certain Idir Drif. La vente est actée en mai 2017, finalement au profit d’une SCI créée deux mois avant et gérée par… Nathalie Poulard.
Après travaux, le gîte « Natural Green 29 », location touristique de standing, ouvre ses portes au public en juillet 2019. « Ses 360 m², pouvant accueillir jusqu’à 15 personnes et un mobile-home de quatre personnes, sont posés sur un terrain d’un hectare, un cadre idéal pour se reposer, se détendre et profiter d’un cadre bucolique », peut-on lire sur le site web du gîte, qui se loue 4.400 € la semaine à la haute saison. À l’époque, le service urbanisme de Penmarc’h n’y trouve rien à redire. Aujourd’hui encore, Nathalie Poulard, qui a démissionné en juin 2019 de son mandat d’élue, exploite ce bien. Un bien qui, durant quelques mois, se trouvait en vente sur des sites spécialisés au prix de… 800.000 €. Alertée par un courrier anonyme en octobre 2021, la mairie de Courbevoie a envoyé une lettre de signalement au procureur. Le maire y évoque des « faits troublants » et des conditions de cession immobilière « sujettes à caution ». Y a-t-il eu des manœuvres frauduleuses de la part de l’adjointe à l’urbanisme pour acquérir ce bien à moindre coût avant de l’exploiter ? Ce sera au parquet de Quimper de trancher.
Manœuvres pour tromper l’administration
Mais la fraude à l’urbanisme la plus répandue n’implique pas nécessairement des élus. Elle est caractérisée lorsque le propriétaire du terrain qui demande un permis de construire commet « des manœuvres de nature à tromper l’administration sur la réalité du projet, dans le but d’échapper à l’application d’une règle d’urbanisme », explique l’avocate spécialisée Hanna Alibay dans La Gazette des communes.
Un marchand de biens a ainsi été jugé le 23 juin dernier par le tribunal de La Rochelle pour ne pas avoir respecté le permis de construire qui lui avait été délivré et avoir continué les travaux malgré l’interdiction qui lui avait été notifiée. Son histoire commence en 2017, lorsqu’il obtient un permis de construire de la mairie de Saint-Nazaire-sur-Charente (17) pour bâtir une maison dans un lotissement où l’urbanisme est contraint par la présence de trois bâtiments classés ; l’architecte des bâtiments de France y interdit notamment les bardages en bois. Très rapidement l’adjoint à l’urbanisme de la commune se rend compte que le cahier des charges n’est pas respecté. Des voisins viennent se plaindre en mairie... Et en 2018, le maire est contraint de prendre « un arrêté de péril » car certaines parties de la maison menacent de s’effondrer, sans compter le trou creusé pour installer une piscine. Selon l’avocat de la mairie qui s’est constituée partie civile, « la maison est un kit en bois venu d’Ukraine, elle a été montée en trois jours et surélevée de 1,50 mètre, les ouvertures sont plus larges que hautes... Cette maison a été construite en fonction des matériaux qui tombaient du camion. Hormis démolir, que faire ? ». Une amende de 10.000 euros a été requise, ainsi que la démolition de la maison dans les six mois.
Les piscines non déclarées sont également monnaie courante. Pourtant, en cas de fraude, la note peut être salée : l’amende de base s’élève à 1.200 euros, mais peut aller, dans certains cas, jusqu’à 6.000 euros par m2. Avis aux resquilleurs : la direction générale des Finances publiques a annoncé l’été dernier que son dispositif de détection des piscines non déclarées par le biais de l'intelligence artificielle allait être généralisé à toute la France en 2023. Ce dispositif, déjà déployé sur neuf départements, a permis de débusquer plus de 20.000 piscines non déclarées, permettant au fisc de récolter 10 millions d’euros (au titre de la taxe foncière 2022 et de la rectification de l’absence d’imposition les années précédentes). Dans le seul département des Bouches-du-Rhône, 7.244 piscines non déclarées ont été épinglées par le fisc, soit un taux 7,4 % de fraudeurs. Une fois le dispositif généralisé, les gains en matière d'impôts directs locaux (une ressource pérenne pour les communes) devraient atteindre près de 40 millions d’euros, prévoit l’Etat. Développé avec Cap Gemini et Google, cette IA permet de détecter des constructions ou des aménagements sur des images aériennes et de vérifier s’ils ont été déclarés et sont correctement imposés. Aujourd’hui généralisé pour les piscines, ce système pourrait être utilisé dans l’avenir pour détecter aussi d’autres formes de bâti non déclaré, comme des dépendances, des vérandas ou de grands abris de jardin.