Un salarié a tout à être formé par son employeur – qu’il s’agisse de l’obligation qui incombe à celui-ci en vertu de l’exécution de bonne foi du contrat de travail ou d’une formation supplémentaire, laissée à sa discrétion. Le « capital humain » du salarié prendra de la valeur. Il sera plus à l’aise pour effectuer des tâches auxquelles il se risquait auparavant, ou obtiendra de nouvelles compétences. En pratique, il peut en outre espérer une hausse de salaire, une promotion, un nouvel emploi… Bref, son expérience professionnelle n’en sera qu’améliorée.
L’employeur a également des intérêts à former ses salariés. Ils seront plus rentables, créeront plus de profit. Sans doute, la qualité et ou la quantité de leur travail sera améliorée. L’investissement qu’il faudra consentir afin de former un travailleur sera, sur le long terme, amorti, voire valorisé.
Seulement, il est un élément qu’un employeur peut craindre, lorsqu’il envisage d’envoyer son salarié en formation : le départ du travailleur après sa formation. Une telle décision de sa part ferait perdre à l’entreprise non seulement un salarié de qualité, mais poserait aussi le problème de la rentabilité des frais d’une formation qui peut être couteuse (surtout au début de la relation de travail). S’il n’existe pas une extrême confiance entre les parties de la relation de travail, la chose est problématique.
C’est à ce problème que remédie, en partie, la clause de dédit formation. Comme son nom l’indique (le dédit étant, en droit français, une somme prévue par voie contractuelle permettant de se dégager de l'obligation d'exécuter l'obligation principale prévue au contrat), la clause de dédit formation est une stipulation par laquelle le salarié s’engage, en cas de départ de l’entreprise avant l’expiration d’un délai déterminé, à rembourser à l’employeur une somme supposée correspondre aux dépenses de formation « non amorties ».
Quelles réalités recouvrent cette clause de dédit formation ? Quelles sont les conditions de validité de cette « indemnité de licenciement à l’envers », comme l’écrivait en 1991 Monsieur Gaudu, « Fidélité et rupture » (Dr. soc. 1991, p. 419.) ?
I. Origine de la clause de dédit formation
La clause de dédit formation n’est pas d’origine légale. Elle est issue de la pratique. Le postulat de départ était simple. Si l’employeur peut limiter son pouvoir de licenciement (clause de garantie d’emploi), pourquoi ne pourrait-il en être de même pour le salarié vis-à-vis de son droit de démissionner ? Il ne s’agirait pas d’interdire la démission, peut être même pas de la limiter, mais de protéger un intérêt de l’entreprise : rentabiliser les dépenses effectuées par l’employeur pour adapter le salarié à son poste de travail. Tel est le cas de la clause de non-concurrence.
En l’absence de disposition légale l’interdisant, ont été introduites des clauses de dédit formation.
La cour de Cassation a eu l’occasion de se pencher sur la question de la validité de telles clauses dans un arrêt – célèbre – en date du 17 juillet 1991. Oui, de telles clauses sont licites, mais à certaines conditions. Elles ne le sont que « lorsqu’elles constituent la contrepartie d’un engagement pris par l’employeur d’assurer une formation entraînant des frais réels au-delà des dépenses imposées par la loi ou la convention collective et dans la mesure où elles n’ont pas pour effet de priver le salarié de la faculté de démissionner ».
Depuis, il n’y a pas eu réellement de consécration légale de la clause de dédit. En revanche, la loi l’a expressément interdite dans certaines hypothèses. Ainsi, la loi du 31 décembre 1991 relative à la formation professionnelle est venue prohiber ce type de clause dans les contrats d’insertion en alternance qui ont pour objet la formation d’un jeune salarié, contrats de qualification, d’adaptation et d’orientation. Cette interdiction a été reprise par la loi du 4 mai 2004. Est aussi prohibée la clause de dédit formation insérée dans un contrat de professionnalisation. On peut aussi envisager l’existence de limitations conventionnelles.
Les conditions de validité des clauses de dédit formation – que certains auteurs qualifient de sensible en ce qu’elle limite, indirectement, la liberté de démissionner d’un salarié – viennent donc de la jurisprudence.
II. Les conditions de validité de la clause
Il existe des conditions de fond et des conditions de forme, toutes posées de la jurisprudence.
- Les conditions de fond
Ces exigences de fond concernent la description de la formation offerte au salarié, ainsi que sur son éventuel remboursement en cas de non-respect de la clause.
Pour la formation, la clause doit préciser :
• la nature de la formation
• la date de début et de fin de la formation
• la durée en heures de formation
• le coût réel de la formation pour l’employeur
Pour le remboursement, seront précisés :
• Son montant. Celui-ci doit être proportionné aux frais engagés. En pratique, il s’avère parfois difficile à estimer.
• Les modalités
La limitation, dans le temps, de la clause, doit être précisée. La clause doit déterminer le point de départ du délai choisi.
Bien que cela soit contestable (et contesté), la période d’essai peut être concernée.
- Les conditions de forme
Point de clause de dédit-formation sans stipulation expresse. La clause figurera donc soit dans le contrat originel, soit elle résultera d'un avenant signé par le salarié.
La date doit en outre apparaitre clairement, dans la mesure où la clause doit respecter un critère d'antériorité.
III. La mise en œuvre de la clause
Plus que l’initiative de la rupture, la jurisprudence retient l’imputabilité de la rupture. La démission est donc concernée, mais c’est aussi le cas de la faute grave / lourde.
En cas de prise d’acte, conformément à la jurisprudence actuelle, les juges rechercheront si les motifs évoqués par le demandeur sont sérieux ou non. Si c’est le cas, le salarié démissionne en raison du non-respect de ses obligations par l’employeur, la clause ne peut être mise en œuvre (Soc. 25 février 2003, pourvoi n° 01-40.588). C’est dans cette droite ligne que l’arrêt de la chambre sociale du 11 janvier 2012 s’inscrit ; précisant expressément qu’une « clause de dédit-formation ne peut être mise en œuvre lorsque la rupture du contrat de travail est imputable à l'employeur ». La prise d’acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d’une démission si les manquements invoqués à l’encontre de l’employeur ne sont pas justifiés ou pas suffisamment graves, ou, dans le cas contraire, d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
IV. Le contrôle opéré par le juge sur la clause
Le juge dispose, classiquement, un pouvoir de contrôle sur la clause. Les clauses qui ne respectent pas les conditions de fond ou de forme évoquées précédemment ne sont pas opposables au salarié. Sur cette question, la jurisprudence est constante.
Se pose en outre la question de la sanction du caractère éventuellement excessif de la clause. Ce caractère excessif peut se trouver aussi bien dans son montant que dans sa durée d’application. Faut-il dans ce cas considérer que la clause est nulle (comme c’est le cas pour la clause de non-concurrence), ou convient-il de reconnaître au juge un pouvoir de réfaction du contrat, ce qui permettrait à la clause dans sa « part raisonnable » ?
En cas de clause excessive, le juge peut en réduire le montant, comme il le ferait pour une clause pénale. Ce qui a parfois été critiqué par la doctrine, la clause de dédit-formation pouvant difficilement être considérée comme une clause pénale
Une clause pénale se définit comme une clause comminatoire par laquelle un débiteur s’engage, au titre de l’inexécution de son obligation, à verser à son cocontractant une indemnité forfaitaire. La clause pénale, à défaut de la garantir, incite à l’exécution de l’obligation alors que la clause de dédit-formation peut être vue comme autorisant l’inexécution, en vertu d’un droit de repentir. Quoi qu’il en soit, la qualification de clause pénale est reconnue en jurisprudence. Le juge dispose donc du pouvoir de révision judiciaire de la clause.
Mais ne peut-on pas recourir à une autre sanction en cas de clause excessive ? Plutôt que de chercher à ramener le montant du dédit ou sa durée à de plus justes proportions, ne pourrait-on pas considérer qu’un dédit excessif est nul ? C’est ce que souhaitent certains auteurs (Madame Florence Canut, dans la Revue de droit social Lamy de 2005), estimant que cette sanction serait plus dissuasive pour l’employeur, qui pourrait ainsi être amené à faire preuve de davantage de circonspection dans la rédaction de la clause.