Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus.[1]
C’est une affirmation banale : l’employeur confronté à l’inaptitude pour cause de maladie ou d’accident d’un de ses salariés doit s’efforcer de le reclasser. Cette obligation, d’origine prétorienne, figure aujourd’hui aux articles L.1226-2 et L.1226-10 du Code du travail.
Se pose alors la question des modalités formelles de cette obligation de reclassement. La loi dispose, pour les accidents et maladies d’origine professionnelle, que « l'employeur propose [au salarié] un autre emploi approprié à ses capacités. Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existant dans l'entreprise. Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, le médecin du travail formule également des indications sur l'aptitude du salarié à bénéficier d'une formation destinée à lui proposer un poste adapté. L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail ».
S’agissant des accidents et maladies d’origine non-professionnelle, la disposition est similaire, à l’exception des passages reproduits en italique.
À la lecture de cette disposition, le juriste averti s’interroge : quid du formalisme de cette proposition « d’autre emploi approprié » ?
On le sait, la jurisprudence récente oblige l’employeur à accomplir de réelles diligences pour parvenir à reclasser le salarié[2]. La doctrine n’hésite pas à parler, en la matière, d’obligation de moyens renfoncée. L’on s’attendait donc logiquement à ce que la haute cour retînt une solution relativement stricte à l’endroit de l’employeur. Caramba, encore raté ![3]
Par un arrêt récent[4], la chambre sociale de la Cour de cassation a précisé qu’en l’absence d’exigence de formalisme, l’employeur pouvait formuler verbalement des offres de reclassement à un salarié inapte.
Cette solution, en droit, est évidemment fondée. Reste qu’elle se heurte à d'évidentes difficultés pratiques. Comment l’employeur peut-il prouver qu’il a satisfait son obligation, s’il l’a exécutée oralement ? Sauf à ce que des personnes aient été témoins de la proposition, il se trouvera démuni en cas de contestation par le salarié de l'existence desdites offres. Or, rappelons ici le principe posé par l’article 1315 du Code civil : c’est au débiteur d'une obligation (ici l'employeur, débiteur de l'obligation de reclassement), de démontrer qu’il s’en est libérée… En cas de « parole contre parole », le doute profitera au salarié. Prudence !
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Texte de l’arrêt :
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, qui est recevable :
Vu l'article L. 1226-2 du code du travail ;
Attendu, selon ce texte, que lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités ; que cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise ; que l'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail ; qu'il ne résulte pas de ces dispositions que les propositions de reclassement doivent être faites par écrit ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X... a été engagé le 1er juin 2001 par la société de distribution de Salouël (SDS) en qualité de manager du département boucherie ; qu'à la suite d'un arrêt de travail pour maladie non professionnelle, il a été déclaré le 23 mai 2011, par le médecin du travail, inapte à son poste ; que licencié le 25 juin 2011 pour inaptitude et impossibilité de reclassement, il a saisi la juridiction prud'homale ;
Attendu que pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner l'employeur à payer au salarié diverses sommes au titre de la rupture, l'arrêt retient que les propositions de reclassement présentées au salarié doivent être écrites, qu'un refus global, au demeurant insuffisamment établi du salarié d'un type de poste ne peut pallier l'exigence d'une proposition écrite pour chaque type de poste disponible, et qu'en s'abstenant de proposer par écrit au salarié des postes de caissier, d'employé commercial et d'hôte d'accueil conformes aux préconisations du médecin du travail et disponibles, l'employeur n'avait pas respecté son obligation de reclassement ;
Qu'en statuant ainsi, en ajoutant à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 octobre 2014, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
[1] Là où la loi ne distingue pas, il n'y a pas lieu de distinguer.
[2] Cass. soc., 23 septembre 2014, n° 12-18.912, n° 13-16.106, n° 12-28.599
[3] Tintin et l’oreille cassée, Hergé, 1937 (j’apprécie que vous lisiez les notes de bas de page !)
[4] Cour de cassation, civile, chambre sociale, 31 mars 2016, 14-28.314, Publié au bulletin