Alors qu’elle est un droit à valeur constitutionnelle (alinéa 7 du Préambule de la Constitution de 1946), la grève n’est que très peu règlementée. Elle n’est d’ailleurs pas définie par la loi. La jurisprudence a pallié à ce manque en estimant qu’un mouvement peut être qualifié de grève dès lors qu’il présente trois caractéristiques :
- Il faut une cessation franche du travaill, les grèves perlées et rèves du zèle sont donc à exclure.
- Cette cessation doit en outre être collective et concertée : plusieurs salariés doivent être concernés.
- Doivent enfin exister des revendications professionnelles, c’est-à-dire que les motifs qui justifient l’arrêt du travail doivent être en lien avec ledit travail.
Lorsque ces trois conditions seront remplies, nous serons en présence d’une grève. Le cas échéant, on parlera de « mouvement illicite ».
La grève permet aux salariés de s’extraire du lien de subordination qui les unit à leurs employeurs. Aussi peut-on se demander à quelles sanctions s’exposent les salariés du fait de leur participation à un mouvement de grève. Comment concilier le pouvoir disciplinaire de l’employeur avec la liberté d’exercer un droit protégé par la Constitution ?
La réponse du droit à cette interrogation est double. Si le salarié doit être légitimement protégé contre les représailles de son employeur pour avoir refusé de se soumettre à ses directives (I), ne doit pas être impuni celui qui, par son comportement, a dépassé les limites de la « rébellion acceptable » (II).
I. La grève, droit fondamental protégé contre toute sanction disciplinaire
La participation d’un salarié à une grève (nous supposons que le mouvement répondu aux trois conditions évoqués ci-dessus) ne peut faire l’objet d’une sanction (A). Ce principe fixé à l’article L.2511-1 du Code du travail. Si, en violation de l’interdiction qui lui est faite, l’employeur sanctionne ou licencie un salarié du seul fait sa participation à une grève, la décision sera nulle (B).
A) Le principe : l’interdiction de la sanction du salarié gréviste
Le salarié gréviste ne peut être sanctionné du seul fait de sa participation à un mouvement de grève. Ce principe est fixé à l’article L.2511-1 du Code du travail (issu d’une loi du 27 juillet 1985), lequel dispose : « l'exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié. Son exercice ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire telle que mentionnée à l'article L. 1132-2, notamment en matière de rémunérations et d'avantages sociaux. Tout licenciement prononcé en absence de faute lourde est nul de plein droit ». Plusieurs observations sont à faire sur ce texte.
De prime abord, il faut noter le caractère non-absolu de la protection faite aux salariés grévistes contre les sanctions de l’employeur. Si le salarié est protégé de manière absolue pour le fait d’avoir arrêté le travail, tel n’est pas le cas pour les agissements commis à l’occasion de cet arrêt. Les faits qui seraient, en temps normal, considérés comme étant constitutifs d’une faute légère ou grave ne peuvent être retenus à son encontre, mais la faute lourde est l’exception à la règle, nous y reviendront.
En outre, le texte fait écho à l’article L.1132-1 du Code du travail. Tout comme pour les autres motifs prohibés par la loi (croyance, origine ethnique, handicap…), la participation à une grève ne peut fonder un traitement discriminatoire. Le texte précise que la règle vaut « en matière de rémunération et d’avantages sociaux », mais l’adverbe notamment souligne le caractère non exhaustif de cette énumération. En pratique, il s’agira de toute sanction, licenciement, mesure discriminatoire en matière de rémunération, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat… Le juge dispose d’un grand pouvoir d’appréciation. Cela signifie que l’aménagement de la charge de la preuve (L.1134-1 du Code du travail) bénéficie au salarié gréviste, et qu’il peut agir en justice par le biais d’un syndicat, d’une association dédiée à la lutte contre les discriminations constituée depuis au moins cinq années… Bref, l’ensemble des droits accordés aux victimes contre les discriminations sont susceptibles d’être invoqués par les individus sanctionnés leur employeur du seul faite de leur participation à un mouvement de grève.
Dernière observation, cette protection contre l’exercice du pouvoir disciplinaire de l’employeur ne vaut que lorsque le mouvement est effectivement qualifié de grève… Le cas échéant, le salarié pourra être sanctionné pour son insubordination.
B) La sanction de l’exercice prohibé du pouvoir disciplinaire de l’employeur
Exception faite de la faute lourde, la sanction (et a fortiori le licenciement) d’un salarié gréviste est nulle (L. 2511-1, C.trav). Logique, dans la mesure où le contrat de travail est suspendu : on ne peut reprocher au travail l’inexécution de ses obligations contractuelles.
Cette nullité de la sanction ne pose pas de problème en cas de sanction classique (blâme…). Mais que se passe-t-il en cas de licenciement ?
Longtemps, la Ccass a estimé que le licenciement n’était pas nul, mais dépourvu de cause réelle et sérieuse (arrêt Talbot, 31 mars 1982). Mais avec la loi du 27 juillet 1985), les choses ont changé
La Cour de cassation a récemment rappelé la règle : le caractère illicite du motif du licenciement tiré de la participation à une grève entraîne à lui seul la nullité du licenciement, peu importe que d’autres motifs indépendants de la grève puissent justifier un licenciement (cf. cass.soc., 8 juill. 2009, n° 08-40.139). Le licenciement n’est pas « sans cause réelle et sérieuse » mais est bien nul. Le salarié peut donc demander l’indemnisation du préjudice subi (paiement des salaires non perçus) ainsi que sa réintégration.
II. Les faits commis à l’occasion de la grève, susceptibles de sanction de la part de l’employeur
A) La faute lourde, exception à la règle de l’interdiction des sanctions relatives à des faits commis à l’occasion de la grève
L’article L.2511-1 du Code du travail dispose : « l'exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié ».
Telle est bien là la limite apportée à la protection offerte au salarié contre les représailles de son employeur. La faute lourde est traditionnellement définie, comme celle qui procède d’une intention de nuire à l’employeur. Seulement, comment apprécier l’intention de nuire à l’employeur en période de grève, alors que le but de la grève est justement de « nuire » aux intérêts de l’employeur afin de faire avancer les revendications ?
Il semble, à la lecture de la jurisprudence, que soit constitutif d’une faute lourde les agissements qui pourraient s’apparenter à un délit. Par exemple, on peut mentionner :
- L’entrave à la liberté du travail
- L’entrave à la liberté de circulation dès lors que tous les accès au site ont été bloqués.
- La séquestration des dirigeants de l’entreprise
- Le sabotage des machines
- La communication d’informations confidentielles
- Les coupures d’énergie
- Les violences et voies de fait exercées à l’encontre des non-grévistes ou des dirigeants
- La destruction, la dégradation ou la détérioration des biens appartenant à l’employeur
- La mise en danger d’autrui
- l’occupation des locaux, lorsqu’elle persiste malgré une injonction du juge d’évacuer les lieux
Cette faute doit être prouvée par l’employeur (cass.soc. 7 novembre 1995), par tout moyen. La faute doit être imputable personnellement au salarié (4 novembre 1992).
Le prononcé du licenciement est à la discrétion de l’employeur : libre à lui de prononcer une sanction plus clémente pour le salarié. En cas de licenciement, l’employeur devra mener la procédure habituelle de licenciement pour faute.
B) L’engagement de la responsabilité civile et pénale du travailleur
La grève peut être une cause de préjudice pour l'entreprise (préjudice commercial, maintien des salaires des non-grévistes…).
Une action en responsabilité civile peut être menée par l’employeur contre les salariés grévistes. Pour ce concevoir une telle action suppose ou que l’on soit devant un " mouvement illicite" ou devant des faits individualisés illicites - le fait de grève ou la grève étant un droit reconnu et protégé. La responsabilité civile des grévistes, meneurs et des syndicats à l'occasion d'une grève peut être mise en jeu en application de l'article 1382 du Code civil qui suppose :
- un fait fautif (nous dirions ici illicite) qui ne se rattache pas à l'exercice normal du droit de grève
- un dommage
- un lien de causalité
La Jurisprudence a écarté 1384 (le syndicat n'est pas le " commettant' des grévistes, de même que le meneur).
La responsabilité civile d'un salarié gréviste ne peut être engagée par l'employeur aux fins de réparer le préjudice économique subi par l'entreprise du fait d'une grève que s'il démontre que ce préjudice est distinct de celui que tout mouvement de grève provoque.
La recherche de responsabilité supposera la preuve de la faute personnelle du défendeur constituée par la participation personnelle à des actes illicites commis pendant l'arrêt du travail. Le lien de causalité direct entre la faute reprochée et le préjudice invoqué doit être un lien direct.
Quant à la compétence et s'agissant d'un différend né entre salariés à l'occasion du travail, ou entre l'employeur et tel salarié, la Cour de cassation retient la compétence du conseil des prud'hommes. On peut imaginer également la mise en œuvre (devant cette fois les juridictions civiles (TI ou TGI) des syndicats.
L’action pénale est quant à elle possible dès lors qu’existe un délit. Pour être recevable devant la juridiction répressive, l'action civile doit avoir pour but la réparation d'un préjudice personnel résultant directement de l'infraction.
- Le délit d'entrave à la liberté du travail
- Les violences et voies de fait
- Les menaces
- La séquestration
- La destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui
- Les violences, les menaces, les blessures et coups volontaires
- La rébellion, les outrages et injures envers les représentants de la force publique
- Etc.