Lorsqu’une personne est victime d’une agression ou d’un accident, qu’il s’agisse d’un accident de la route, de la vie, médical, sportif…, il en résulte parfois des séquelles justifiant l’intervention d’une tierce personne pour accomplir les actes de la vie courante (se laver, se coucher, se déplacer, manger, boire…).
L’indemnisation de ce poste de préjudice est essentielle puisqu’elle permet à la victime de continuer à vivre en sécurité tout en conservant sa dignité.
Si le principe de réparation intégrale du préjudice est reconnu depuis de nombreuses années, tant par le juge administratif que par le juge judiciaire, seul ce dernier en tire toutes les conséquences.
Ainsi, dès 1991, on trouve des décisions du juge judiciaire qui reconnaissent que le montant de l’indemnité allouée au titre de l’assistance par une tierce personne ne peut être réduit en cas d’assistance familiale (Crim. 21 février 1991, Bull. Crim. 1991, n°88, p 221), et qu’il n’y a pas lieu de justifier des frais exposés (Civ. 2ème, 14 octobre 1992, RCA 1992, n°438).
Or, de son côté, le juge administratif – compétent pour les litiges mettant en cause des personnes publiques (accidents de voirie publique, responsabilité hospitalière...) - a, traditionnellement, la réputation d’indemniser moins généreusement les victimes que la juridiction judiciaire.
Certes, le Conseil d’Etat finit généralement par rejoindre les positions de la Cour de Cassation, mais il reste, au premier abord, guidé par le principe d’ordre public selon lequel l’administration ne peut pas payer ce qu’elle ne doit pas.
Dans ce contexte, l’indemnisation du besoin d’assistance par une tierce personne reconnu par un expert ne pose pas de difficulté lorsque l’assistance est fournie par une personne rémunérée (infirmière, assistant de vie…).
En revanche, la question s’est posée de savoir ce qu’il en était lorsque la réalité du besoin n’est pas établie par le rapport d’expertise ou lorsque l’assistance est fournie gracieusement, le plus souvent par un membre de la famille.
Démentant sa réputation de protecteur des deniers publics, le Conseil d’Etat a récemment réaffirmé que :
1- Le seul besoin en assistance est indemnisé, même lorsque la question n’est pas abordée par le rapport d’expertise ;
2- L’indemnisation est due à la victime, quand bien même l’assistance serait fournie par un membre de sa famille.
I- Sur l’indemnisation du besoin non établi par un rapport d’expertise
Soit que le juge n’ait pas prévu l’évaluation du poste d’assistance par une tierce personne dans la mission qu’il confie à l’expert, soit que l’expert ait omis de se prononcer sur ce point, soit que la victime et/ou son conseil n’en ait pas fait la demande, il arrive que le rapport ne mentionne pas la question de l’assistance par une tierce personne.
Cependant, dans certains cas, le besoin d’assistance est une réalité alors même qu’il n’est pas mentionné par le rapport.
La question s’est donc posée de savoir si le besoin d’assistance pouvait alors être indemnisé.
Par une décision du 4 mars 2011 (n°315902), le Conseil d’Etat a tranché cette question et rappelé que : « pour refuser l’indemnisation des besoins de Mme A en assistance d’une tierce personne, la cour s’est bornée à relever que cette dernière ne saurait solliciter une telle assistance dès lors que l’expert n’a pas prévu cette aide ; qu’en statuant ainsi, alors qu’il appartient au juge à qui une indemnisation est demandée d’apprécier la réalité du préjudice et son lien avec la faute commise à partir de l’ensemble des éléments résultant de l’instruction, la cour a commis une autre erreur de droit ».
Le Conseil d’Etat considère donc qu’il n’est pas possible de refuser d’indemniser le besoin d’assistance par une tierce personne sur le seul motif que l’expert n’avait pas prévu cette aide dans son rapport.
Cette jurisprudence évitera donc des allongements de procédure dus à la nécessité d’interroger à nouveau le spécialiste sur la durée du besoin quotidien en assistance.
Elle suppose également, de la part de la victime et/ou de son conseil, une réelle discipline dans la constitution du dossier.
Établir la réalité d’un besoin en assistance par une tierce personne peut être relativement facile, mais en fixer la quotité sera parfois plus complexe.
Il conviendra donc de s’entourer d’avis d’experts, d’attestations et de tous autres documents de nature à établir cette durée quotidienne pour permettre au juge de se prononcer.
II- Sur l’indemnisation de la victime assistée gratuitement
La difficulté que présente l’indemnisation de la victime qui se fait aider par un membre de sa famille ou par un tiers qui intervient gracieusement est que ce poste d’assistance par une tierce personne ne représente aucun coût financier.
Par conséquent, certains considéraient qu’à ce titre, aucune indemnisation n’était due. Seule la personne fournissant l’aide pouvait demander une réparation pour le temps passé à s’occuper de la victime.
Ce n’est donc pas la victime qui avait droit à l’indemnisation mais la tierce personne en guise de "salaire" ou en tout cas de compensation.
Par un arrêt du 22 février 2010 (n°313333, mentionné aux tables) le Conseil d’Etat a rappelé que « lorsque, au nombre des conséquences dommageables d’un accident engageant la responsabilité d’une personne publique, figure la nécessité pour la victime de recourir à l’assistance d’une tierce personne à domicile pour les actes de la vie courante, la circonstance que cette assistance serait assurée par un membre de sa famille est, par elle-même, sans incidence sur le droit de la victime à en être indemnisée ».
Il a par ailleurs reprécisé que « le principe de la réparation intégrale du préjudice impose que les frais liés à l’assistance à domicile de la victime par une tierce personne, alors même qu’elle serait assurée par un membre de sa famille, soient évalués à une somme qui ne saurait être inférieure au montant du salaire minimum augmenté des charges sociales, appliqué à une durée journalière, dans le respect des règles du droit du travail » (voir CE, 30 mars 2011, n°341222).
Par conséquent, non seulement la victime elle-même dispose du droit à indemnisation alors même qu’elle n’aurait rien payé ; mais en outre, cette indemnisation doit alors être au moins égale au salaire minimum augmenté des charges sociales.
En outre, l’indemnisation doit être faite dans le respect des règles du droit du travail ce qui signifie que le calcul du besoin doit prendre en considération les 5 semaines de congés par an auquel le salarié aurait droit et donc le salaire du remplaçant qui devra être embauché ; le cas échéant, on doit calculer le surcoût du tarif de nuit, prendre en compte le tarif pour le travail dominical ou les jours fériés…
Pour les arrérages – période qui s’est écoulée entre le fait générateur et la consolidation de l’état de santé – la victime peut donc obtenir le versement de sommes importantes.
Avec ces dernières jurisprudences, les droits des victimes en matière d’indemnisation gagnent du terrain, mais cela oblige à une attention accrue sur les calculs à réaliser et les pièces à fournir.