I. - L'arrêt COCA COLA du 15 décembre 2010
C'est la solution retenue par la Cour de cassation dans sa décision du 15 décembre 2010 (Cass. Soc., 15 décembre 2010, pourvoi n° 09-42691).
En l'espèce, un salarié, employé depuis le 27 février 1990 par la société COCA-COLA - en dernier lieu en qualité de délégué commercial - a été licencié pour faute grave le 10 août 2004 en raison de la découverte sur son ordinateur portable de quatre cent quatre vingt fichiers à caractère pornographique.
II. - Les faits de l'espèce
Dans l'arrêt attaqué du 11 mai 2009, la Cour d'appel de Metz avait constaté, en substance :
- que lors d'une opération de maintenance réalisée le 1er juillet 2004 par les services techniques de la SAS COCA COLA sur l'ordinateur portable à usage professionnel mis à la disposition de Monsieur X..., il a été découvert sur le disque dur de cet ordinateur un nombre important de fichiers à caractère « sexiste », « malsain », « érotique », « pornographique », « pédo-pornographiques », « zoophiles » et autres,
- que le salarié avait reconnu par écrit que les photos et films découverts sur le disque dur de son ordinateur étaient extrêmement choquants et que parmi eux il y avait des images urologiques, scatologiques, sado-masochistes et zoophiles,
- que les centaines de fichiers, reçus et transmis par le salarié, se sont accumulés sur le disque dur de l'ordinateur, sans qu'il n'ait fait diligence pour tenter de les supprimer,
- que la charte d'utilisation des nouvelles techniques d'information et de télécommunication mise en place dans la SAS COCA COLA le 12 décembre 2002, intégrée sous forme d'avenant au règlement intérieur de l'entreprise, et dont le contenu a été porté à la connaissance de Monsieur X... lors de séances de formation, prohibe formellement la consultation, la diffusion ou le téléchargement d'images à caractère pornographique.
La Cour d'appel en a déduit qu' « en stockant sur l'ordinateur mis à sa disposition pour l'exécution de son contrat de travail, un nombre important de fichiers à caractère notamment pornographique et en diffusant certains d'entre eux à d'autres salariés de l'entreprise, Monsieur X... a délibérément violé l'interdiction posée par l'article II B 3 c de la charte NTIC », cette méconnaissance « délibérée et réitérée » constituant « un manquement dont la gravité et la persistance rendent impossible son maintien dans l'entreprise et justifient son licenciement à effet immédiat avec privation des indemnités de rupture ».
III. - La portée de l'arrêt COCA COLA au sujet de la caractérisation de la faute par consultation, envoi et stockage de fichiers dont le contenu revêt un caractère pornographique
Dans sa décision du 15 décembre 2010, la Cour de cassation a, certes, rappelé le principe selon lequel la violation d'une charte d'usage des TIC intégrée au règlement intérieur peut caractériser une faute justifiant un licenciement et, le cas échéant, une faute grave.
Mais gardons nous d'attribuer une portée trop grande à cette décision de la Cour de cassation.
Pour rejeter le pourvoi, en faveur de l'employeur, à savoir la société Coca cola, la Cour de cassation a précisé :
« que le moyen […] ne tend qu'à remettre en cause le pouvoir souverain d'appréciation de la cause réelle et sérieuse du licenciement dans ses première et troisième branches… ».
En d'autres termes, la Cour de cassation ne s'est pas prononcée sur l'administration de la preuve du caractère volontaire du stockage.
IV. - La preuve des échanges et de l'enregistrement de fichiers à caractère pornographique
En réalité, un examen attentif du dossier révèle une certaine méconnaissance, par les juges du fond, des règles relatives à la « preuve numérique » de la faute du salarié (V., par ex. : La preuve numérique de la faute du salarié )
Dans son premier moyen, le salarié faisait, en effet, valoir que :
- l'employeur n'avait pas administré utilement la preuve des faits dans la mesure où l'employeur avait « refusé d'accéder à la demande formulée par le salarié d'une expertise quant au contenu de son ordinateur portable, expertise qui seule aurait permis de savoir quand et par qui les messages litigieux auraient été enregistrés sur le disque dur et s'ils avaient été envoyés par des collègues ou téléchargés par l'intéressé sur des sites internet ».
Or, force est de constater que la Cour d'appel a paru embarrassée lorsqu'il s'est agi de déterminer si le salarié avait volontairement enregistré les fichiers litigieux sur le disque dur de l'ordinateur portable mis à sa disposition par son employeur.
La Cour d'appel de Metz s'était, en effet, prononcée de la manière suivante :
« …le salarié a expliqué que ces fichiers étaient issus de la correspondance qu'il échangeait par le biais de la messagerie électronique « Lotus-Notes » interne à l'entreprise avec d'autres salariés de la SAS COCA COLA qui lui envoyaient ce type de documents et à qui il en a aussi adressé ; que Monsieur X... soutient que la présence des fichiers en cause sur son ordinateur ne résulte pas de sa volonté de les conserver, qu'ils se sont automatiquement et, sans intervention de sa part, installés sur le disque dur et qu'il ignorait comment les supprimer ».
« cependant ainsi que le fait observer l'employeur, ces fichiers n'ont pu, à l'insu du salarié, automatiquement s'enregistrer sur le disque dur, dans la mesure où étant joints à un courriel, leur destinataire peut, en répondant aux options qui lui sont proposées par une boîte de dialogue, soit seulement les ouvrir pour les lire, ou les visionner, soit déclencher la procédure d'enregistrement qui n'a aucun caractère automatique et dont la mise en œuvre requiert l'intervention de l'utilisateur… ».
En d'autres termes, la Cour d'appel a certes constaté l'échange - donc l'envoi et, implicitement, la consultation - volontaire de fichiers à caractère pornographique au moyen de la messagerie de l'entreprise.
V. - Une administration incertaine de la preuve du stockage volontaire des fichiers sur le disque dur
Mais la Cour d'appel - dont l'analyse n'a pas été remise en cause par la Cour de cassation - a également considéré, implicitement mais nécessairement, reprenant l'analyse hasardeuse de l'employeur sur ce point, que les fichiers joints aux courriels n'auraient pu « automatiquement s'enregistrer sur le disque dur » de l'ordinateur et qu'ils auraient pu être « lus » ou « visionnés » sans avoir été préalablement enregistrés sur le disque dur, ignorant visiblement :
- que lors de la réception des courriels accompagnés de pièces jointes, les fichiers joints sont, si le téléchargement des fichiers joints n'est pas bloqué ou limité par paramétrage du serveur et/ou du logiciel de messagerie, automatiquement téléchargés sur le disque dur,
- qu'il est nécessaire de télécharger la pièce jointe sur le disque dur afin de pouvoir l'ouvrir et l'afficher au moyen du logiciel approprié, selon le format de la pièce,
- et que ces fichiers joints demeurent dans un répertoire (fichiers temporaires) tant qu'ils ne sont pas supprimés par une manœuvre volontaire.
VI. - La solution de l'arrêt COCA COLA
L'échange de fichiers de la nature de ceux dont la présence a été constatée sur le disque peut, à l'évidence, justifier le licenciement du salarié qui y a participé, que l'entreprise soit dotée ou non d'une charte informatique, en particulier parce que l'échange de certains d'entre eux (notamment les fichiers à caractère pédopornographique) est susceptible de caractériser un délit pénal, comme l'ont relevé à juste titre la Cour d'appel et la Cour de cassation.
En l'espèce, la charte visait notamment « la consultation » d'images à caractère pornographique. De sorte qu'en l'espèce, le manquement à la charte était en outre, constitué compte tenu du nombre de fichiers à caractère pornographiques trouvés sur le disque dur.
En revanche, la preuve du caractère volontaire du stockage et de la conservation des fichiers sur le disque dur, qui a été pris - un peu rapidement - en considération tant par les juges du fond que par la Cour de cassation nous paraît avoir été retenue dans des conditions assez contestables.
Pascal ALIX
Avocat à la Cour
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