On le sait depuis longtemps, les appareils électronique destinés à prendre des mesures, à contrôler des données, tels que, en particulier, les éthylomètres, ne sont pas des systèmes parfaits, infaillibles, et ils ne peuvent jamais exclure une certaine marge d’erreur.
C’est la raison pour laquelle l’Exécutif a pris notamment un arrêté en date du 8 juillet 2003 relatif au contrôle des éthylomètres.
Cet arrêté s'applique à la construction, à la vérification et à l'utilisation des instruments qui mesurent la concentration d'alcool par analyse de l'air expiré, dénommés éthylomètres (et autres appareils du même type).
L’article 15 dudit arrêté prévoit que :
« Les erreurs maximales tolérées, en plus ou en moins, applicables lors de la vérification périodique ou de tout contrôle en service sont :
- 0,032 mg/l pour les concentrations en alcool dans l'air inférieures à 0,400 mg/l ;
- 8 % de la valeur mesurée pour les concentrations égales ou supérieures à 0,400 mg/l et inférieures ou égales à 2,000 mg/l ;
- 30 % de la valeur mesurée pour les concentrations supérieures à 2,000 mg/l.(…) ».
Voilà qui peut présenter une aubaine pour la défense de l’automobiliste contrôlé en état d’alcoolémie et dont le taux révélé par l’appareil se trouve pratiquement à la frontière entre ce qui est toléré par la loi et ce qui ne l’est pas.
La tentation est grande alors de s’attirer la clémence du tribunal en cherchant à faire « basculer » ce taux du côté de la légalité en raison de l’existence non contestée d’une marge d’erreur sur les éthylomètres électroniques.
En effet, on rappellera que la conduite après consommation d’alcool devient pénalement répréhensible à partir d’une concentration d'alcool dans l'air expiré égale ou supérieure à 0,25 milligrammes par litre.
Lorsque le taux d’alcool dans l’air expiré est compris entre 0,25 mg et 0,39 mg, l’infraction constitue une contravention de 4ème classe relevant de la compétence du Juge de Proximité.
Lorsque le taux d’alcool dans l’air expiré est égal ou supérieur à 0,40 mg, il s’agit alors d’un délit qui sera jugé par le Tribunal Correctionnel.
Une illustration de ces considérations peut être trouvée dans un arrêt récent de la Cour de cassation, en chambre criminelle, rendu le 3 septembre 2014.
Un automobiliste avait été condamné par une Juridiction de Proximité pour conduite en état d’ivresse.
Il se pourvoit en cassation.
La chambre criminelle rejette son pourvoi aux motifs suivants :
« Attendu qu'il résulte du jugement attaqué et des pièces de procédure que M. X... a été poursuivi pour avoir conduit un véhicule sous l'empire d'un état alcoolique caractérisé par la présence dans l'air expiré d'un taux d'alcool supérieur à 0,25 mg par litre, en l'espèce 0,26 mg/l ; qu'il a sollicité sa relaxe, en soutenant que la marge d'erreur définie par l'article 15 de l'arrêté du 8 juillet 2003, soit 0,032 milligramme par litre pour les concentrations en alcool dans l'air expiré inférieures à 0, 40 mg/l, devait lui être appliquée, ce dont il résultait que le taux relevé ne constituait plus la contravention de la quatrième classe ;
Attendu que, pour condamner le prévenu, le jugement retient que l'article 15 de l'arrêté du 8 juillet 2003 relatif au contrôle des éthylomètres ne vise pas les contrôles effectués dans le cadre de la constatation des infractions pénales et qu'aucun texte législatif ou réglementaire ne prévoit l'application de marges d'erreur ;
Attendu que, si c'est à tort que le jugement énonce que les marges d'erreur prévues par les dispositions réglementaires visées au moyen ne peuvent s'appliquer à une mesure effectuée lors d'un contrôle d'alcoolémie, l'arrêt n'encourt pas pour autant la censure, dès lors que l'interprétation des mesures du taux d'alcoolémie effectuées au moyen d'un éthylomètre constitue pour le juge une faculté et non une obligation ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ».
La réponse de la Cour Suprême me parait quelque peu déroutante (adjectif approprié en la matière).
En fait elle admet bien, contrairement à ce qu’avait déclaré le Juge de Proximité, que les marges d’erreurs prévues par les textes règlementaires peuvent être invoquées dans le cadre contrôle d'alcoolémie et pas uniquement par les personnes qui construisent, vérifient et utilisent les éthylomètres.
En revanche, pour la Cour de Cassation, même si ces marges d’erreur sont dument reconnues, admises et même consacrées par des textes, le juge n’est absolument pas obligé d’en tenir compte.
Aller d’ailleurs jusqu’à dire que « l'interprétation des mesures du taux d'alcoolémie effectuées au moyen d'un éthylomètre constitue pour le juge une faculté et non une obligation », me paraît, dans les faits, exagéré car je n’ai personnellement jamais rencontré un Juge ou un Procureur qui ne se considéraient pas lié par les taux d’alcoolémie relevés par des appareils de mesure officiels.
Au final, pour se défendre devant le tribunal, l’automobiliste qui se trouve en situation d’invoquer l’existence d’une marge d’erreur, se trouvera en quelque sorte soumis au bon vouloir du juge qui décidera librement s’il applique ou non une marge d’erreur qui pourtant pourrait être retenue en l’espèce.