Article créé le 10/11/13.
Dans un arrêt du 31 octobre 2013, la chambre sociale de la cour de cassation continue de confirmer une jurisprudence en vigueur depuis longtemps.
A la fin des années quatre-vingt-dix, je connaissais déjà notamment,et évoquais pour le besoin de mes dossiers, un arrêt de la cour d'appel d'AIX en PROVENCE du 10.02.1998 ; Bulletin des Transports du 31.05.99, selon lequel le conducteur qui ne manipule pas son sélecteur de chronotachygraphe est irrecevable à réclamer un rappel de salaire ou une rémunération d'heures supplémentaires.
Par la suite et jusqu'à ce jour, de nombreuses autres décisions, tant en appel, qu'en cassation, sont venues confirmer ce principe.
Dans la décision relatée, un conducteur avait été licencié pour faute grave par une entreprise de transport et, tout en contestant le bien-fondé de son licenciement, il avait saisi la juridiction prud'homale et réclamait diverses sommes au titre de l'exécution de son contrat de travail, dont le paiement d'heures supplémentaires.
Devant la cour d'appel qui avait été saisie par la suite, le salarié avait rejeté ses demandes.
Devant la Cour de Cassation, le chauffeur reprochait à l'arrêt de le débouter de ses demandes au titre des repos compensateurs et des récupérations d'heures, alors que :
« 1°/ la charge de la preuve de l'accomplissement d'heures supplémentaires n'incombe spécialement à aucune des parties et qu'aucune partie ne peut être déboutée ni condamnée à raison de l'insuffisance des éléments de preuve qu'elle produit aux débats ; que le juge saisi d'un litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées doit former sa conviction tant sur l'existence que sur le nombre de ces heures, au besoin en recourant à une ou plusieurs mesures d'instruction ; que si la société Transports X ne produisait aucun élément de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, ce dernier produisait des relevés d'activité mensuelle, des bulletins de salariés, des copies de pages d'agenda et des tableaux récapitulatifs ; que ces éléments étaient à tout le moins de nature à étayer la demande du salarié ; qu'en reprochant pourtant au salarié de ne produire aucune document exploitable, la cour d'appel a violé l'article L. 3171-4 du code du travail ;
2°/ la mauvaise manipulation par le salarié du sélecteur de son contrôlographe ne saurait le priver des droits attachés à l'accomplissement d'heures supplémentaires ; qu'en objectant une telle circonstance au salarié pour le débouter de ses demandes au titre des heures supplémentaires effectuées, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation de l'article 455 du code de procédure civile » .
On rappellera le contenu des articles visés dans le pourvoi :
-article L3171-4 du code du travail :
« En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable ».
-article 455 du code de procédure civile :
« Le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties avec l'indication de leur date. Le jugement doit être motivé.
Il énonce la décision sous forme de dispositif ».
La Cour de Cassation a confirmé la décision de la cour d'appel pour les motifs suivants :
« Mais attendu qu'ayant constaté que le salarié avait à plusieurs reprises été sanctionné ou rappelé à l'ordre pour mauvaise manipulation des disques chronotachygraphes et pour avoir mal renseigné ses suivis de transports, ce dont il résultait que ces éléments ne permettaient pas de déterminer ses heures de travail, la cour d'appel, usant du pouvoir d'appréciation qu'elle tient de l'article L. 3171-4 du code du travail, a estimé au vu des éléments de preuve produits par l'une et l'autre des parties, qu'il n'était pas établi que le salarié avait effectué les heures supplémentaires ; que le moyen n'est pas fondé » .
Ainsi, non seulement il était démontré que :
-d'une part, le chauffeur ne manipulait pas correctement son tachygraphe, ne sélectionnant pas les symboles d'activités correspondant aux tâches concernées.
Dans les cas les plus graves, la mauvaise manipulation peut laisser place à la fraude au cas de retrait du disque sans motif au cours de la journée , voire au délit correctionnel au cas de falsification des documents, détérioration ou emploi irrégulier des dispositifs destinés au contrôle et autres « bidouillages » du chronotachygraphe.
-d'autre part le salarié ne pouvait même pas invoquer en sa faveur ses suivis de transports, pour tenter de justifier de ses horaires puisqu'il renseignait improprement, voire pas du tout peut-être, les heures de chargement et de livraison (heures d'arrivée et de départ), sur les documents de transport.
Notons qu'il s'agit là d'une décision concernant un camion encore doté d'un chronotachygraphe analogique.
Cependant, des problèmes similaires continuent de se poser pour le tachygraphe numérique, malgré sa sophistication et sa technologie, même si sa vocation au départ était justement d'éviter ce type de difficultés.