Bail conventionné et équilibres constitutionnels

Publié le 17/03/2023 Vu 1 626 fois 0
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Un conventionnement avec l’ANAH offre aux propriétaires de logements loués une déduction fiscale. Cet avantage justifie, en contrepartie, un durcissement de l’encadrement des loyers et de la décence.

Un conventionnement avec l’ANAH offre aux propriétaires de logements loués une déduction fiscale. Cet ava

Bail conventionné et équilibres constitutionnels

Un dispositif très évolutif

En France, la crise du logement est réelle depuis les années 1990. La production de logements sociaux est insuffisante alors que la population croît et que de nombreux biens restent vacants. Les prix de l’immobilier et le montant des loyers se sont envolés dans les centres urbains, avec des effets économiques lourds, et notamment un étalement urbain et une dépendance aux infrastructures de transports.

Les pouvoirs publics souhaitent donc le développement d’une offre locative dans le secteur privé. Pour cela, un dispositif intéressant a été imaginé. Les propriétaires qui acceptent de conclure des baux d’habitation non meublée entre 6 et 9 ans à des locataires ayant des revenus en-dessous d’un plafond déterminé bénéficient d’une déduction fiscale sur leur revenu locatif.

Initialement, le dispositif, apparu au 1er janvier 1996, s’appelait le « Besson ancien » (voir ANIL, « Dispositif Besson ancien »). Il est devenu ensuite le « Borloo ancien » puis le « Cosse » (Louer abordable) et enfin, actuellement, « Loc’Avantages » (ANIL, « Modalités d’application du dispositif Loc’Avantages ».

 

La carotte et le bâton

Le dispositif est encadré par le très instable article 31 du Code Général des Impôts, où ses multiples évolutions s’empilent, ce qui rend la lecture du texte difficile.

Néanmoins, les notices élaborées par l’ANIL (Agence Nationale pour l’Information sur le Logement) sont assez claires.

Depuis 2005, l’intérêt du mécanisme est également de reposer sur un conventionnement prévu par l’article L. 321-4 du CCH (Code de la Construction et de l’Habitation).

Le propriétaire bailleur conclut une convention avec l’ANAH (Agence Nationale de l’Habitat). Cette convention peut inclure des pénalités en cas de son non-respect par le bailleur. Ce dernier, en contrepartie, bénéficie d’une déduction fiscale modulable en fonction de la zone géographique, du niveau de loyer et de l’acceptation éventuelle d’une intermédiation sociale (c’est-à-dire de la possibilité pour un organisme public de choisir le locataire, voire la location à une association qui, ensuite, sous-loue elle-même le bien).

Le bailleur peut même recevoir une prime à la signature de 1 000 € (en cas de sous-location associative) voire de 2 000 € (en cas d’intermédiation locative sociale), avec même la possibilité de 1 000 € de plus pour les biens de moins de 40 m2 (ayant un intérêt spéculatif très fort).

 

Un succès trop limité

Dans une annexe au projet de loi de Finances pour 2023, le gouvernement a fait le bilan de ce mécanisme pourtant intéressant.

On comptait environ 11 000 conventions en vigueur en 2013, 12 000 en 2016 et seulement 8 000 en 2021, avec une baisse constante année après année.

Clairement, les primes ne sont pas assez attractives, alors même que 3,2 millions de logements sont vides, ce qui constitue un record historique.

La montée des incertitudes liées à la gestion dans les immeubles collectifs n’arrange rien.

Lorsque l’ANAH a financé la réhabilitation d’un bien et que celui-ci est mis en location, il arrive que des dégradations surviennent en raison d’infiltrations provenant du dessus ou qui ont été causées par le mauvais état des parties communes. Ni le locataire, ni le bailleur, ni l’ANAH n’en sont responsables, mais le bailleur, parce qu’il doit garantir la décence du logement, subit un préjudice qu’il ne pouvait prévoir alors que ses ressources, elles, sont limitées par le conventionnement.

Il s’agit d’un point sur lequel il faut réfléchir pour améliorer le mécanisme.

 

Un outil pertinent

Néanmoins, le dispositif reste important et son développement paraît crucial.

On compte en France 4,8 millions de passoires thermiques dont 1,2 million relèvent du secteur locatif privé (Gwenaëlle DURAND-PASQUIER, « Loi Climat et incitation à la rénovation des logements loués par des modifications sensibles du régime des baux d’habitation », Semaine Juridique Notariale, n° 42-43, 22 oct. 2021, p. 33).

Depuis le 1er janvier 2023, les logements ayant une consommation énergétique supérieure à 450 Kilowatt/h annuels par m2 ne peuvent plus être considérés comme décents (art. 3bis décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002).

En 2034, il sera impossible de les mettre en location les logements en dessous de l’étiquette D. Les logements ayant une étiquette E, F ou G ne seront plus décents (Marie LAMOUREUX, « Performance énergétique et baux d’habitation : entre présent et avenir », Semaine Juridique, édition générale, n° 34, 29 août 2022, p. 1532).

Dès maintenant, le conventionnement ANAH ne peut plus concerner les biens ayant une consommation énergétique de plus de 331 Kilowatt/h annuels par m2. Cela exclut ceux qui ont une étiquette inférieure à E.

Or, les conventions sont souvent conclues avec prise en charge de travaux par l’ANAH. Le procédé serait idéal pour réhabiliter les logements dans la perspective de 2034 sans que les propriétaires ne soient mis en difficulté au plan financier.

 

Un contrepoids nécessaire

En effet, depuis la loi ALUR (pour l’Amélioration du Logement et un Urbanisme Rénové) de 2014, le législateur a mis en place un encadrement des loyers dans les zones tendues.

Le Conseil constitutionnel l’a accepté dans certaines limites.

Autant il comprend que la maîtrise des loyers en zones tendues soit un objectif d’intérêt général, autant il refuse qu’il soit interdit au bailleur d’imposer un complément de loyer lié à des circonstances objectives. Les critères des plafonds de loyer doivent également respecter le principe d’égalité entre citoyens sur le territoire (voir décision n° 2014-691 du 20 mars 2014, points 17 à 30).

La situation change dès lors que des dépenses considérables sont imposées aux bailleurs déjà frappés par un encadrement de loyers. Le Conseil constitutionnel n’a pas été interrogé précisément sur ce point lorsqu’il a examiné la loi Climat et résilience. Il a juste censuré la disposition relative au bail intégrant des travaux d’économie d’énergie, parce qu’elle n’avait pas de lien direct ou indirect avec le projet de loi. Il s’agissait donc d’un cavalier législatif, interdit par la procédure parlementaire prévue dans la Constitution (décision n° 2021-825 DC du 13 août 2021, point 29).

 

Débats futurs

Un jour ou l’autre, la question risque d’être posée lors d’une question prioritaire de constitutionnalité. Un propriétaire se plaindra de devoir à la fois respecter l’encadrement des loyers et de devoir effectuer des dépenses considérables liées à l’évolution des critères de décence en matière de performance énergétique.

L’existence du conventionnement avec travaux constituera un élément central pour rejeter cette argumentation.

Dès lors, il appartient à tous les acteurs du monde du logement de signaler aux citoyens, bailleurs comme locataires, les possibilités offertes pour respecter la loi de manière indolore tout en respectant les engagements climatiques de la France et en limitant l’inflation liée à la montée des coûts de l’énergie.

Cela justifie aussi une plus grande fermeté à l’égard de ceux qui ne respectent pas l’encadrement des loyers (DAL, « Loi 4D : Renforcez les contrôles et les sanctions contre les bailleurs fraudeurs »).

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