Suspension du loyer
En matière de logement, le loyer est la contrepartie de la délivrance de locaux décents et habitables. Lorsque le bailleur manque à son obligation de délivrance, le loyer n’est pas dû et il doit même être restitué lorsqu’il a été versé.
Ainsi, un locataire avait signalé à son propriétaire que le chauffage ne fonctionnait plus. Durant de nombreux mois, le propriétaire est resté inerte. Une juridiction a considéré, dès lors, que le loyer était suspendu pendant toute la période où le propriétaire a été incapable de fournir un logement décent (Cour d’appel de Toulouse, 25 mai 2022, n° 21/02532, AJDI, sept. 2022, p. 616, obs. Sylvaine PORCHERON).
En effet, selon l’article 1719 du Code civil :
« Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :
1° De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant ;
2° D'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;
3° D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;
4° D'assurer également la permanence et la qualité des plantations. »
Néanmoins, qu’est-ce que l’indécence ? En quoi se différencie-t-elle de l’indignité, de l’insalubrité ? Quid du bien inhabitable ?
Logement non décent, insalubre, indigne ou inhabitable
La décence le respect des critères fixés par le décret n° 2002-130 du 30 janvier 2002 (et notamment la surface minimale, la présence de l’eau courante, d’un éclairage naturel, d’une installation de chauffage fonctionnelle et d’un accès à des sanitaires).
Ledit décret impose aussi que le bien ne soit pas insalubre. L’insalubrité, néanmoins, est définie par un autre texte, à savoir l’article L. 1331-22 du Code de la Santé publique. Elle implique que le local constitue un danger pour la santé des occupants.
Un bien non décent ou insalubre peut, de surcroît, être indigne, c’est-à-dire impliquer la soumission d’autrui à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine au sens de l’article 225-14 du Code Pénal.
Enfin, lorsque les autorités publiques apprennent qu’un logement est insalubre, indigne ou structurellement non décent, elles peuvent en interdire l’occupation et la location (art. L. 511-22 du Code de la Construction et de l’Habitation). Le bien devient alors inhabitable.
Ainsi, l’indécence englobe l’insalubrité, l’indignité et le fait d’être inhabitable. Un logement décent est toujours salubre, digne et habitable.
Chaque concept est dès lors précis et correspond à un texte législatif déterminé. Cela a pour le bailleur, des conséquences importantes puisque le loyer est donc suspendu. Peut-il échapper à cette lourde règle lorsqu’il n’est pas responsable de l’indécence du logement ? Oui, à certaines conditions.
Cause exonératoire
Lorsque la non décence est liée à des soucis techniques réparables et que le propriétaire réagit dans des délais raisonnables après avoir été prévenu, il remplit son obligation de délivrance (CA Agen, ch. civ., 10 août 2022, n° 20/01002).
Lorsque le locataire fait obstruction à la réalisation des travaux par le propriétaire, là encore, ce dernier ne peut se voir imputer aucun manquement à son obligation de délivrance (CA Paris, 19 mai 2022, n° 19/22872, AJDI, juill. août 2022, p. 528, obs. Sylvaine PORCHERON).
En cas d’absence de garde-corps dans un immeuble ancien qui en est dépourvu, rien ne peut être reproché au bailleur, le décret de 2002 n’imposant que l’entretien des garde-corps existants. On ne peut donc pas évoquer une non décence mais une caractéristique inhérente à l’immeuble existant (Cass., 3e civ., 22 juin 2022, n° 21-10.512).
Toutefois, en cas de descellement d’un garde-corps existant en raison d’un défaut d’entretien, la responsabilité du propriétaire peut être recherchée, y compris par un locataire dont le bail a été résilié pour non-paiement du loyer (Cass., 2e civ., 15 sept. 2022, n° 19-26.249). Ce dernier arrêt peut légitimement susciter des réserves, car le maintien dans les lieux par l’occupant qui ne dispose plus d’un titre constitue une faute équivalente au défaut d’entretien. La responsabilité devrait être au moins partagée.
La démagogie pro-locataire pourrait donner envie de dire le contraire, mais de telles décisions provoquent une évolution finalement très défavorable aux plus vulnérables. L’explosion du contentieux des congés pour reprise le montre, avec une indulgence croissante des magistrats à l’égard des propriétaires dans ce cadre.