Liberté d’expression
Un citoyen ordinaire peut s’exprimer sur le contenu du droit applicable et souhaiter sa modification. Cela relève de la liberté d’expression.
En effet, selon l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. ».
Le préambule de la Constitution de 1958 faisant référence à la DDHC, celle-ci a également valeur constitutionnelle (Conseil constitutionnel, décision 73-51 DC du 27 déc. 1973, considérant 2).
En outre, selon l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. ».
Limitations très encadrées
Des restrictions à cette liberté sont possibles mais, selon la Cour européenne des Droits de l’Homme, qui siège à Strasbourg, elles doivent obéir à un cadre strict.
Ces restrictions doivent être définies par la loi, reposer sur des objectifs légitimes, notamment la préservation d’autres droits protégés par la Convention, et être proportionnées.
Elles ne doivent pas dépasser ce qui est strictement nécessaires dans le cadre d’une société démocratique (CEDH, arrêt du 7 déc. 1976, 5493/72, Handyside c/ Royaume Uni, point 47 et aussi CEDH, arrêt du 11 mai 2021, 44561/11, Novaya Gazeta c/ Russie point 112, condamnant la Fédération de Russie sur ce point, en sachant que celle-ci a été exclue de la Convention européenne des droits de l’Homme le 16 septembre 2022, voir communiqué).
Protections particulières
La CEDH est particulièrement soucieuse de protéger les droits des opposants politiques, surtout s’ils sont journalistes, y compris en cas de propos particulièrement virulents (CEDH, 28 sept. 2000, 37698/97, Lopes Gomes Da Sivla c/ Portugal, points 34 à 37)
De la même manière, les propos satiriques, y compris émanant de simples citoyens, sont très protégés par la Convention, surtout lorsqu’un gouvernant a utilisé le même registre de langage.
La France a donc été condamnée pour avoir réprimé un manifestant qui avait brandi une pancarte indiquant « Cass-toi pov’con » lors du passage du président de la République en 2008, alors que ce dernier avait déjà utilisé la formulation au Salon de l’Agriculture (CEDH, 14 mars 2013, 26118/10, Eon c/ France, points 60 et 61)
Spécificité de la doctrine juridique
La doctrine juridique, en tant que commentaire sur le droit, peut bénéficier de la protection accordée aux journalistes ou aux opposants politiques, mais moins celle qui concerne l’expression satirique, au vu du sérieux minimal requis pour étudier une décision de justice ou des textes normatifs.
Dans ce cadre, notons que la doctrine juridique, en France, a fait l’objet d’un glissement de sens « qui a conduit à désigner sous ce terme, non seulement la simple expression d’une opinion, théorie, thèse sur le droit (premier sens), mais encore l’ensemble des opinions émises sur le droit (deuxième sens) et, par extension, les travaux eux-mêmes et leurs auteurs (troisième sens) » (Jacques CHEVALLIER, « Doctrine juridique et science juridique », Droit et société, 2002, p. 104).
La doctrine juridique devient donc « le champ social spécifique que forment les professionnels spécialisés dans la production et dans la transmission du savoir juridique, professionnels chargés de connaître et de faire connaître le droit. Cette capacité de parler du droit avec autorité implique l’adoption d’une certaine posture par rapport au droit (distanciation) ; elle suppose aussi la détention d’une certaine compétence, attestée, généralement mais pas exclusivement, par la possession de titres universitaires : alors que le pouvoir d’interprétation du juge résulte d’une compétence légale (habilitation), celui de la doctrine s’appuie sur une compétence scientifique (autorisation) qui doit être conquise et en permanence consolidée (publications) » (Jacques CHEVALLIER, art. cit., même page 104).
Lutte d’influence
Ont de l’influence en doctrine les auteurs qui rédigent des parutions lues par ceux qui sont en capacité de faire évoluer le droit (magistrats, élus, fonctionnaires, professionnels du droit). Durant longtemps, ces commentaires doctrinaux ont été limités aux revues juridiques spécialisées, souvent coûteuses et utilisant parfois un jargon indigeste.
Jusqu’à peu, seuls les auteurs publiés ont donc participé à la doctrine juridique et y ont gagné une autorité. Cela favorisait les enseignants-chercheurs, mais pas seulement. En effet, « le titre universitaire ne garantit pas nécessairement l’autorité doctrinale ; on assiste ainsi à une lutte permanente pour la conquête et le renforcement de l’autorité doctrinale, lutte passant par l’accumulation de ressources (visant à s’assurer un capital d’autorité), stratégies de marquage et de démarquage (destinées à capter l’attention des pairs), des processus de déplacement (d’une spécialité à une autre, espérée plus ‘‘rentable’’) » (Jacques CHEVALLIER, art. cit., pp. 104-105).
Nouveaux intervenants
Des professionnels ont aussi pu élaborer un discours reconnu en doctrine. L’exemple type est la revue Administrer éditée par l’UNIS, un syndicat de professionnels de l’immobilier, d’une grande qualité même si ses idées sont opposées à celles du DAL.
D’autres structures défendant des intérêts différents formulent, elles aussi, des commentaires juridiques, et notamment l’ARC-UNAC avec son Bulletin de l’ARC, la CLCV (Consommation Logement Cadre de Vie) avec le magazine Copropriétaires, la Chambre des Propriétaires, avec l’Actu Immobilière (succédant à la Revue de l’Habitat) ou l’UNPI, avec 25 millions de propriétaires.
Internet et les LegalTech permettent désormais à tous les professionnels du droit et aux associations de faire valoir leurs opinions sur des sites à forte exposition. Cela influence les justiciables qui orientent leurs stratégies initiales au vu de cette information juridique aisément accessible.
Indépendance
Les citations des revues qui précèdent ne doivent pas être lues comme une publicité de la part du DAL mais comme une information illustrant le propos du présent article. Ces diverses publications relevées dans le point ci-dessus, en effet, ne respectent pas forcément la charte du DAL (ce qui est d’ailleurs parfaitement le droit de leurs auteurs).
La charte du DAL interdit notamment la vente de prestations d’assistance aux citoyens par ceux qui prétendent les représenter (qu’il s’agisse de conseils relatifs à un dossier spécifique ou de logiciels) (voir Associations prestataires, paille et poutre en copropriété). Ce principe n’est pas partagé par certaines des publications évoquées plus haut.
De la même manière, le DAL refuse la présence de publicités pour des entreprises privées dans des publications de commentaire du droit car elles induiraient une dépendance économique potentielle.
Toutefois, en adultes consentants, les citoyens sont libres d’agir à leur gré. S’ils sont consommateurs et qu’ils se fient à un prestataire pour les défendre contre les abus des prestataires, c’est leur problème. Rien n’oblige donc un auteur de la doctrine juridique à être indépendant, avec quatre réserves.
Tromperie
Aucun acteur économique n’a le droit de tromper le consommateur sur la qualité intrinsèque d’une prestation. Faire passer pour un article d’analyse un propos qui est, en fait, au service d’intérêts économiques bien particuliers pose un gros problème.
Quand il s’agit de publicité dissimulée visant à priver, de surcroît, de droits des justiciables au bénéfice de certaines entreprises, on peut s’inquiéter du respect de l’article L. 441-1 du Code de la consommation dans le cas où l’article ou l’ouvrage sont vendus.
Un auteur a le droit de faire de la publicité pour ses propres articles ou ouvrages, voire même pour les articles ou ouvrages des autres, mais pas pour une entreprise dont il dissimule l’identité et qui le paye pour orienter son commentaire.
Dénigrement
Tout aussi gravement, un auteur peut être payé discrètement pour dire du mal de certains acteurs économiques au bénéfice d’autres intervenants et faire passer cela pour du commentaire juridique.
Cela peut constituer un dénigrement qui constitue une faute civile distincte de la diffamation et de l’injure (Cass. 1ère civ., 6 sept. 2017, n° 16-26.459).
Base factuelle suffisante
De la même manière, un chercheur comme un journaliste qui opèrent un commentaire déplaisant sont tenus de le faire sur le fondement d’une base factuelle suffisante. Cela vaut pour les juristes comme pour les sociologues, les politologues, les anthropologues, les économistes, les spécialistes de géopolitique ou les géographes.
Un chercheur lié à une organisation confessionnelle pouvait être condamné pour avoir stigmatisé ce qu’il a présenté comme les errements d’une structure d’une autre obédience religieuse dès lors que « les propos reprochés, même s'ils traitaient d'un sujet d'intérêt général, étaient dépourvus de base factuelle suffisante » (Cass. crim. 11 mars 2014, n° 13-80.440).
Une association dénonçant des abus d’un syndic professionnel de copropriété a donc pu bénéficier de la totale mansuétude du juge, même si elle tenait des propos particulièrement moqueurs et polémiques. En effet, « les propos incriminés s'inscrivaient dans un débat d'intérêt général sur la gestion des copropriétés, reposaient sur une base factuelle suffisante et ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression » (Cass. crim., 17 mars 2015, 13-85.138).
Prohibition du plagiat
Enfin, et logiquement, il est interdit de s’attribuer le travail d’une autre personne.
L’autorité doctrinale découle de la somme, de la qualité et de la régularité des publications opérées par un auteur.
En mettant son nom sur une parution rédigée par autrui, on perturbe cette évaluation.
Cela constitue une infraction, puisque la contrefaçon qui est un délit (art. L. 335-2 du CPI, Code de la Propriété Intellectuelle). Le mot « plagiat », qui correspond à la contrefaçon, vient du latin et désignait les voleurs d’esclaves ainsi que ceux qui s’emparaient de personnes libres pour les asservir.
Hormis les courtes citations indiquant bien le nom de l’auteur (art. L. 122-5 du CPI), il est donc interdit de s’attribuer les écrits d’une autre personne sans l’accord de celle-ci.
Pour un universitaire, une telle faute est d’une particulière gravité et entraîne des sanctions disciplinaires, même si la procédure doit être respectée (Conseil d’État, 4e et 1ère ch. réunies, 6 avr. 2022, n° 438057).
Épaisseur
Dans le cadre des débats sur le squat, les marchands de sommeil ou la décence du logement, ces règles déontologiques minimales requises à l’égard de tous les commentateurs ne sont pas respectées.
Des assertions déplaisantes pleuvent sans aucune base factuelle.
Parfois, des opérations de tromperie sont manifestement conduites pour abuser les citoyens. On assiste même à des campagnes de dénigrement entre acteurs économiques qui se concurrencent. Peut-on parler alors de doctrine ?
Dès à présent, il faut citer ce commentateur relatant les propos du professeur Edouard TREPPOZ : « ce qui distingue l’écrit doctrinal, c’est l’épaisseur » (Maxime BARBA, « Mille-feuille doctrinal », Recueil Dalloz, 13 avr. 2023, p. 681).
Le commentaire doctrinal implique donc à la fois une base factuelle (textes normatifs ou décisions de justice) mais aussi la prise en compte de ce que les autres disent, y compris des contradicteurs, d’où la nécessité d’un minimum de recul pour replacer notamment la jurisprudence dans son contexte (voir Vincent CANU, « Qui s’intéresse encore à la doctrine juridique ? », Revue des loyers, n° 958, juin 2015, p. 273).
Un comité du DAL s’efforcera de lister, dans un prochain rapport public, les moyens de faire mieux dans ce domaine.