Appât du gain
Depuis une dizaine d’années, des plates-formes en ligne sont apparues. Elles permettent à des propriétaires de louer leurs biens meublés durant une courte durée.
La rentabilité de ces opérations est réelle. Pour un beau logement parisien, une location à 200 € par nuitée est parfaitement envisageable. Même en ne louant pas la moitié de l’année, cela représente 36 000 € de revenus locatifs annuels bruts. C’est considérable.
On approche d’ailleurs parfois les 750 € voir 1 000 € la nuit au cœur de Paris (« À Paris, certains logements se louent plus de 1. 000 euros la nuit sur airbnb », BFM immo, 1er novembre 2018).
La Coupe du Monde de Rugby de 2023 et les Jeux Olympiques de 2024 accentueront ce phénomène avec l’afflux d’une clientèle internationale aisée.
Raréfaction de l’offre locative classique
Avec de tels taux de rentabilité, bien des propriétaires sont tentés par ce procédé.
Au lieu d’accorder un bail classique, même meublé, ils préfèrent la location de courte durée.
En fait, il est impossible, y compris pour un beau logement, de trouver des locataires qui accepteront de verser au mois des sommes équivalentes dans le cadre d’un bail d’habitation ordinaire. Ceux qui auraient les revenus nécessaires sont déjà propriétaires eux-mêmes.
Le développement de la location meublée de courte durée conduit donc à la disparition de l’offre locative classique dans les zones touristiques. Paris, l’Île-de-France, le Pays-Basque, le pourtour méditerranéen et la Bretagne sont particulièrement concernés.
Un sénateur et trois députés de bords différents se sont unis pour s’en inquiéter (LR, Horizons, PS et EELV) (Léo MANSON, « Logement : quatre parlementaires s’attaquent à Airbnb et à la location meublée de courte durée », Ouest France, 2 mai 2023).
Des parlementaires européens du groupe La Gauche (Die Linke et la France insoumise) ont également rédigé un rapport pour s’alarmer (« Échecs de la plate-forme : comment les plates-formes de location à court terme ne coopèrent pas avec les villes » ; 9 décembre 2020).
Intérêt général ignoré
La raréfaction des logements disponibles, notamment pour les jeunes ménages, a d’ailleurs des conséquences.
Les travailleurs de première ligne doivent s’éloigner des centres urbains et y sont donc toujours moins nombreux. Des pénuries de travailleurs surviennent dans certains secteurs, ce qui rend plus difficile la vie quotidienne de tous, y compris des plus fortunés. La santé et l’aide à domicile sont ainsi affectées.
L’augmentation des distances de transport a aussi un coût environnemental tout en générant des contraintes financières pour la puissance publique qui doit fournir des services et entretenir des infrastructures.
Très logiquement, des communes importantes ont exigé un encadrement plus sévère des locations de courte durée. Ces règles sont très fréquemment méprisées par les propriétaires, tant à Paris qu’à New York ou à Barcelone (Achille DUPAS, « Airbnb ; un rapport montre comment la plateforme contribue à la crise du logement en France », NEON, 14 décembre 2020).
Règles contournées
En France, dans les communes de plus de 200 000 habitants et dans la petite couronne francilienne, la transformation de logements en locaux meublés destinés à la location de courte durée peut être soumise à autorisation (art. L. 631-7 du CCH, Code de la Construction et de l’Habitation).
Paris a mis en place ce dispositif. L’appât du gain a conduit de nombreux propriétaires à ignorer les règles applicables, au risque de subir des amendes. Un média peu suspect de gauchisme a évoqué une proportion de 80 % d’annonces ne respectant pas la loi sur certaines plates-formes concernant Paris (Jean-Louis DELL’ORO, « Locations airbnb illégales à Paris : ces quartiers où il y a le plus de condamnations », BFM immo, 15 janvier 2019).
Après quelques années, les efforts de la Ville de Paris semblent porter leurs fruits. La Cour de Justice de l’Union européenne ainsi que la Cour de cassation ont admis la licéité du mécanisme d’encadrement mis en place (Cass. 3e civ., 18 févr. 2021, n° 17-26.256).
Quant au nombre d’amendes, il a augmenté en 2023, ce qui semble avoir un effet dissuasif (« Airbnb, les contrôles sont de plus en plus efficaces sur Paris », France 3, 7 août 2023).
Lamentations
Certains acteurs économiques, et notamment des agences, profitent pourtant de ces activités illicites, au risque d’être condamnés (« Airbnb à Paris : la justice condamne une agence, la mairie applaudit », Le Point, 22 juillet 2022).
Des groupes d’influence animés par les soutiens les plus radicaux de l’ultralibéralisme se répandent alors en lamentations sur le sort des ‘‘malheureux’’ propriétaires qui utilisent illégalement Airbnb.
Élodie MESSÉANT explique ainsi sans vergogne : « la législation en matière immobilière repose sur une idée erronée, le droit au logement, et transforme l’investissement locatif en un pari beaucoup plus risqué qu’il ne devrait l’être (encadrement des loyers, chasse aux passoires thermiques, difficultés à expulser les mauvais payeurs, lenteur des procédures judiciaires) » (« Locations saisonnières : la crise du logement est causée par la règlementation, et non par Airbnb », Institut de Recherches Économiques et Fiscales, 14 juin 2023).
Ainsi, pour cette dame, le droit au logement, n’existe pas, et cela malgré la position du Conseil constitutionnel qui estime qu’il s’agit d’un objectif à valeur constitutionnelle (décision n° 94-359 DC du 19 janvier 1995).
Au bonheur des riches ?
Les propos de cette commentatrice sont tenus au nom de la défense des possédants et du droit de propriété. Elle perd pourtant de vue l’essentiel. Qui sont les premières victimes des locations meublées de courte durée ? Les voisins !
En plein Paris, ce sont souvent des copropriétaires occupants, très à l’aise financièrement. Eux aussi ont le droit d’être défendus, et ils ne sont en aucun cas des agitateurs qui combattraient le droit de propriété.
Ce dernier est, d’ailleurs, constitutionnellement protégé, puisque l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, incorporée au bloc de constitutionnalité, dispose : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. ».
Chaque possédant doit donc prendre garde. S’il détruit les droits constitutionnels des autres, en contestant par exemple le droit au logement, ce sont ses propres droits constitutionnellement protégés, et notamment le droit de propriété, qui pourraient être menacés. À ce petit jeu-là, les riches ont plus à perdre que les pauvres.
Troubles du voisinage
Ainsi, dans un immeuble du XXe arrondissement, une SCI a subdivisé un lot pour créer trois studios qu’elle destinait à la location meublée de courte durée, sans trop avoir obtenu d’autorisation administrative, d’ailleurs. La SCI a ensuite donné les trois studios à bail à une société commerciale, dont le gérant se présentait comme étant celui de la SCI.
Les voisins ont invoqué un trouble du voisinage et ont obtenu gain de cause en référé, la présence de ces locations constituant un trouble manifestement illicite pouvant donner lieu en urgence à une condamnation à cesser l’activité. Ils ont appelé en intervention forcée la société commerciale.
La SCI et la société commerciale ont tenté d’argumenter d’abord contre l’intervention forcée. Sans succès. Le syndicat des copropriétaires n’a découvert le bail entre la SCI et la société commerciale qu’en cours d’instance et pouvait donc appeler en intervention forcée la deuxième société.
Sur le fond, la Cour de cassation a estimé qu’au vu de la gravité des faits et du trouble manifestement illicite causé aux copropriétaires, ils pouvaient obtenir la cessation de l’activité de location meublée de courte durée immédiatement, et cela jusqu’au procès au fond (Cass. 3e civ., 25 mai 2023, n° 22-17.926).
Prohibition dans le règlement de copropriété
Pour empêcher la multiplication des locations meublées de courte durée, il faut donc compter sur la réactivité du voisinage, qui subit des nuisances du fait du va-et-vient de la clientèle de passage.
Néanmoins, les syndicats de copropriétaires obtiendront d’autant plus facilement gain de cause en référé si l’activité de location meublée de courte durée est interdite dans le règlement de copropriété.
Ainsi, dans un autre immeuble, le règlement de copropriété interdisait toute activité commerciale et ne tolérait que l’activité professionnelle dans des locaux annexes à l’habitation de l’occupant, et si cette activité avait été exercée auparavant.
Dès lors, la location meublée de courte durée, considérée comme une activité commerciale, pouvait être interdite (Cass. 3e civ., 27 févr. 2020, n° 18-14.305, voir Christelle COUTANT-LAPALUS, « Quand la destination de l’immeuble empêche la location de courte durée d’un lot de copropriété », Loyers et copropriété, avr. 2020, com. 55).
Destination
La Cour de cassation avait eu la même position à propos d’un immeuble dont le règlement de copropriété disait qu’il était à usage d’habitation et, exceptionnellement, à usage mixte professionnel et habitation, avec obligation de soumettre au syndic les baux conclus, dans ce cas.
La location meublée de courte durée, considérée comme une activité commerciale, pouvait alors être interdite (Cass. 3e civ., 8 mars 2018, n° 14-15.864, voir Laurence GUÉGAN-GÉLINET, « La location meublée de courte durée est contraire à la destination d’un immeuble à usage d’habitation », Revue des loyers, n° 988, juin 2018, p. 296).
Dès lors, il faut encourager les maires, le voisinage et les associations à surveiller les clauses des règlements de copropriété dans le cadre de tous les projets d’aménagement visant à créer plus de logements.
La location meublée de courte durée doit être prohibée. Or, ce sont des notaires qui, la plupart du temps, rédigent les règlements de copropriété. De nombreux notaires étant sensibles aux sirènes de l’ultralibéralisme immobilier, il faut bien vérifier qu’ils n’introduiront pas de clauses nuisibles à l’intérêt général sur ce point.
Le voisinage est en droit d’exiger que le projet de règlement de copropriété lui soit transmis pour éviter les mauvaises surprises. En cas de refus du maire, les habitants doivent contacter des parlementaires de droite, de gauche, du centre ou bien écologistes qui les soutiendront dans leur démarche.
Esprit de l’immeuble, es-tu (toujours) là ?
Toutefois, il convient de souligner que la seule insertion d’une clause de prohibition de la location meublée de copropriété dans le règlement de copropriété n’est pas suffisante. En effet, la destination de l’immeuble est un concept à la fois juridique et factuel.
Comme l’a dit Nicolas LE RUDULIER, « La notion de ‘‘destination de l’immeuble’’ est la colonne vertébrale de la copropriété ». Aussi : « Là où l’affectation a pour objet de présenter les différentes variétés d’usages possibles des parties privatives, la destination de l’immeuble va bien au-delà puisqu’il s’agit de prendre également en considération l’architecture de l’immeuble, son environnement, la répartition des lots, ses matériaux, etc. Il s’agit de l’ensemble des caractéristiques de l’immeuble, de son ‘‘esprit’’ » (« Changement d’affectation d’un lot de copropriété », AJDI novembre 2017, pp. 782-783).
Cela signifie qu’en cas de modification concrète des caractéristiques de l’immeuble, la destination peut changer. Si l’interdiction des locations meublées de courte durée n’est pas respectée, le juge peut considérer que la clause est devenue inusitée. Ainsi, dans un immeuble où le règlement de copropriété désignait les lots comme des « habitations », des baux commerciaux ont été conclus au fil du temps. Le syndic a voulu empêcher l’installation d’un coiffeur. Or, la prohibition des activités commerciales, tombée en désuétude, ne pouvait plus être imposée (CA Aix-en-Provence, 11e ch. B, 5 juill. 2018, n° RG 16/19120). La vigilance des maires, des voisins et des habitants est donc de mise.