Une situation francilienne classique
Un appartement francilien a été divisé en deux chambres de service de moins de 9 m2 chacune.
On rappelle que le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 fixe les caractéristiques du logement décent. Ce décret dispose dans son article 4, alinéa 1 :
« Le logement dispose au moins d'une pièce principale ayant soit une surface habitable au moins égale à 9 mètres carrés et une hauteur sous plafond au moins égale à 2,20 mètres, soit un volume habitable au moins égal à 20 mètres cubes. ».
Les chambres de service ne pouvaient donc pas constituer, ensemble ou séparément, un logement décent puisqu’elles ne disposaient pas d’une pièce principale de 9 m2 et qu’elles ne disposaient pas d’un volume habitable de 20 m3.
La société civile immobilière propriétaire du logement n’a pourtant rien trouvé de mieux à faire que de conclure un bail d’habitation pour louer ce bien. C’est hélas fréquent en région parisienne.
Expropriation et perte de revenu locatif
Les difficultés majeures, souvent relatées dans ce blog, concernant la gestion des immeubles collectifs du parc privé induisent une dégradation du bâti.
Désespérée, la puissance publique est contrainte d’exproprier les logements situés dans ces immeubles trop difficiles.
Or, selon l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui a valeur constitutionnelle : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. ».
Quand un propriétaire est exproprié, il est en droit d’obtenir une indemnité pour tous les préjudices qui lui sont occasionnés, et notamment la perte du revenu locatif si le bien est loué.
Dans l’immeuble concerné par le présent écrit, une société publique de requalification des quartiers anciens a été autorisée à exproprier le logement scindé en deux.
La SCI propriétaire a obtenu de la Cour d’appel de Paris une indemnité pour perte de revenu locatif. Fort heureusement, la société expropriante a formé un pouvoir en cassation.
Non décence et impossibilité percevoir un loyer
Dans un arrêt du 11 janvier 2023 (pourvoi n° 21-23.792), la 3e chambre civile de la Cour de cassation a censuré, de manière particulièrement opportune, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris.
La cassation intervient au visa des articles 1719, 1° du Code civil et L. 321-1 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
L’article 1719, 1° du Code civil précise, dans sa première phrase, que le bailleur est tenu de « délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. ».
Quant à l’article L. 321-1 du Code de l’expropriation, il dispose :
« Les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation. ».
Le préjudice doit donc être certain. Or, lorsqu’un logement non décent est loué, le loyer n’est plus dû. Même à titre rétroactif, le locataire peut réclamer son remboursement et suspendre spontanément son règlement, à condition d’accepter de partir (Cass. 3e civ., 17 déc. 2015, n° 14-22.754).
Le préjudice de perte de revenu locatif en cas d’expropriation n’est donc plus certain lorsque le logement n’est pas décent.
Logiquement, dans l’affaire étudiée ici, la Cour de cassation a constaté que la société civile expropriée « ne pouvait se prévaloir d'un droit juridiquement protégé dont la perte ouvrirait droit à indemnisation ». L’affaire a donc été réglée au fond sans renvoi, ce qui est assez rare, et la société civile expropriée a été déboutée sèchement de toutes ses demandes en matière de préjudice locatif. L'arrêt sera publié et paraît donc important. Notons aussi que le premier mouvement des magistrats de la Cour d'appel de Paris était mauvais, ce qui a entraîné la cassation. Il faut donc évoquer ces questions pour éviter que d'autres magistrats ne se trompent.
Problèmes de riches, malheurs de pauvres
Cependant, et même si l'arrêt présente un intérêt, pourquoi le DAL parle-t-il de l’expropriation ? Les propriétaires bailleurs ne sont-ils pas à l’aise financièrement ? Le DAL n’est-il pas en train de s’occuper de ce qui ne le regarde pas ?
Non !
En France, il existe un Conseil National de l’Habitat (art. D. 361-1 du Code de la Construction et de l’Habitation).
Le DAL y siège en tant qu’association de défense des personnes en situation d’exclusion concernant le logement (art. R. 361-4-1 du CCH).
Dès lors, les mésaventures de ceux qui habitent des logements non décents intéressent le DAL parce qu’elles affectent les mal-logés et les sans-logis.
Le phénomène des divisions intempestives de logements et de chambrettes exiguës a contribué aux difficultés actuelles dont les ménages vulnérables sont les principales victimes. Les branchements non autorisés sur les canalisations collectives favorisent d’ailleurs la survenance de dégâts des eaux.
Un propriétaire avait demandé une indemnisation à ses voisins parce qu’il n’avait pas été autorisé à se brancher sur des canalisations collectives, alors même qu’il voulait transformer des caves en chambres d’habitation en sous-sol. Un arrêté préfectoral avait déclaré de tels locaux impropres à l’habitation. Le propriétaire a donc été débouté (Cass. 3e civ., 12 juill. 2018, n° 17-16.242).
Les loueurs de biens non décents empoisonnent donc d’abord la vie de leurs voisins propriétaires avant d’exploiter des ménages vulnérables.
Riches et pauvres sont ainsi dans le même bateau. Quand celui-ci coule, les plus démunis boivent la tasse.
Leçons de morale ?
Certains diront : « Voilà ! C’est parti ! Dans le sillage de l’Abbé Pierre, le DAL nous donne des leçons de morale… ».
Le respect des lois sur la décence et l’absence d’indemnisation pour les loueurs peu scrupuleux ne relèvent pourtant pas de la morale mais de l’organisation saine du marché immobilier.
Des intermédiaires de vente, des notaires et des banques acceptent parfaitement que des logements structurellement non décents soient vendus (voir par exemple Cass. 3e civ., 16 nov. 2022, n° 21-12.275 sur un bien non décent par nature en raison d’infiltrations ; la résolution de la vente, c’est-à-dire son annulation non rétroactive, a été prononcée, avec condamnation du vendeur à 40 000 € de dommages intérêts).
Les commentateurs juridiques, dans leur immense majorité, n’y voient pas malice et préfèrent nager dans l’autosatisfaction, non sans accabler les méchants propriétaires.
Le résultat est que les acheteurs ainsi dupés souhaitent réaliser des profits, parfois en louant ces taudis à n'importe quel prix. Ensuite, les notables les conspuent. Pourtant, si ces biens non louables n’étaient pas vendus, nous n’en serions pas là, car personne ne les achèterait ni ne se transformerait en marchand de sommeil !
Gens établis, ne venez donc pas critiquer le DAL qui ne fait que son travail. Occupez-vous plutôt de faire le vôtre.